Feyd a écrit:En fait, il faut se rendre à l'évidence que la période kémaliste n'aura été qu'une parenthèse. Ses réformes ne faisaient pas l'unanimité malgré le grand prestige (militaire notamment) du personnage. Il les a imposées de façon quasi dictatoriale mais le pays ne voulait pas renoncer à son lien avec l'Islam (qui n'était plus religion d'état par la volonté de Kémal) et ne voulait pas d'une société inspirée du modèle européen.
Sur le fond ça peut se comprendre. On ne change pas les fondements culturels d'un pays de manière aussi forcenée. Abandon de la dimension impériale pour la République, adoption de l'alphabet latin, droit de vote des femmes, institutions inspirées de celles européennes... Et tout ça en qq années. Nombreux devaient être ceux qui n'acceptaient pas de tels changements.
C'est un peu comme le Japon qui a connu un bouleversement sociétal et politique énorme après son ouverture au monde forcée par les USA et les autres pays occidentaux durant la seconde moitié du XIXème siècle. L'empereur Meiji avait compris que si son pays devait jouer un rôle dans le concert des nations, il fallait transformer la société féodale traditionnelle en société occidentale industrielle. Peu de pays ont autant changé en qq décennies que le Japon à cette époque. Ce qui a déclenché une vague nationaliste dans les années 20 car malgré ses efforts, le Japon continuait à être regardé de haut par l'Occident (notamment avec les traités inégaux de limitation de tonnages des flottes de guerre que les USA et l'Angleterre imposaient au pays). Ce qui a provoqué un rejet de plus en plus massif de l'Occident et une montée du nationalisme telle que le pays s'engagera dans une politique impérialiste.
Bon, il n'est pas dit que l'empreinte kemaliste soit définitivement effacée. Elle a quand même été profonde, même si rapide et brutale. L'évolution d'un peuple, ça se fait aussi par à-coup, une avancée par-ci, un recul par-là... Parce que les peuples, pour diverses raisons notamment sociales, politiques, culturelles..., ont tendance à vouloir "expérimenter" (on sent bien la "tentation" FN ici même en France, ne serait-ce que pour "essayer autre chose"..., et cet "autre chose", quoi qu'on en pense, promet un retour vers des valeurs "anciennes", etc etc.).
On tente la modernité, qui presque toujours est très difficile à mener, et souvent contrariée par 1000 causes, internes et externes, alors on se sent en danger, on se réfugie dans un passé en vérité à jamais révolu, ça donne les intégrismes/populismes qui sont des illusions sans lendemain, etc... (l'Algérie a bien essayé la "modernité", mais au vu de ce que subit le monde Arabe depuis les années 70 jusqu'à aujourd'hui - presque partout des guerres, des bombardements, des destructions...-, au vu de cet environnement international hostile, ce pays a "pris peur" et s'est réfugié illusoirement dans un intégrisme tout prêt à l'emploi, servi par des mains complices (Saoudie), mais sans espoir en vérité).
D'ailleurs le Japon, excellent exemple, on le voit bien depuis le début que tu évoques bien, osciller entre course effrénée vers la "modernité", revenir à un archaïsme dur, puis se casser la gueule avec même deux bombes nucléaires sur la tronche pour que ça rentre bien dans sa tête, et enfin repartir de plus belle, pour le "bon départ", avec ENFIN un équilibre harmonieux et brillant entre "traditions" et "modernité" : souvent, le Japon est aujourd'hui la "norme" internationale, en matière d'hyper branchitude !
Je crois raisonnablement que les Turcs ne sombreront pas définitivement dans un régime islamiste qui reluque sans arrêt vers un passé illusoire. Après une poussée irrésistible, on a bien vu que le parti islamiste a reculé à Anakara, je crois. Ok, c'est la capitale, là où vivent les élites, les classes moyennes supérieures, etc. Mais le fait est là, certes il y a poussée intégriste post-kemalisme, mais Erdogan a bien compris qu'il fallait y aller doucement (les bistrots sont toujours ouverts !
). Il a ouvert l'économie au marché, n'a pas au début touché aux intérêts US. Ca a donné le coup de développement qu'on sait. Mais pourtant, les USA pour le rappeler à l'ordre suite à je ne sais quelle ruade de sa part, ont fait plonger sa monnaie instantanément, sans oublier le coup d'Etat raté in extremis grâce aux Russes dit-on. Coups de semonce... (en Libye, les USA jusqu'ici voient d'un bon œil son intervention) Etc etc etc...
Bref, les jeux ne sont pas faits, loin de là.
Et d'ailleurs, c'est exactement la même affaire en Iran, l'autre grande puissance en devenir, Musulmane mais non Arabe. Et là bas, le régime est infiniment plus "radical" que celui d'Erdogan. Mais il a été soutenu par la population par réaction à la politique indigne et désastreuse du Shah. Et ce régime islamiste, selon moi, là aussi, il mènera sa mission au bout (régime-refuge, retrouver de la dignité...), puis les Iraniens le dépasseront, parce que l'intégrisme a une limite vite atteinte. C'est quasi super certain. Quand, je ne sais pas. Mais pas dans un siècle. Et d'ailleurs, je l'ai déjà dit ici, il se peut qu'une fois ce régime dépassé, les Iraniens renoueront de plus belle avec les USA, mais sans les erreurs du Shah. Ils auront appris, et cela, paradoxalement, grâce aux Mollahs ! (sans oublier Israel qui retarde à fond un retour à une situation apaisée, comme on le sait).
C'est très paradoxal, ces histoires... Très complexe... Mais ça fonctionne, le Japon, la Corée, la Chine, l'Indonésie (plus grand pays Musulman !), ... le prouvent chaque jour.