Arrêt sur Images / POURQUOI ON RISQUE DE RESTER EMBOURBÉS DANS L'EURO : LES "ÉDUQUÉS SUPÉRIEURS" AUGMENTENTPrécisions d'Emmanuel Todd après notre émissionComment expliquer le vote pro-européen, majoritaire lors de ce premier tour de l'élection ? Invité sur notre plateau le 28 avril, l'historien et démographe Emmanuel Todd avait livré quelques éléments de réponse. Alors que Macron (et d'autres) ont réagi depuis à ses propos sur le second tour, Todd partage ajourd'hui quelques précisions sur son analyse du vote pro-européen et pro-Macron.Lors de l'agréable débat avec Olivier Tonneau j'avais essayé de comprendre le conservatisme pro-euro de la société française, malgré l'échec de cette monnaie qui nous a conduit à 10% de chômage structurel, à une marginalisation des jeunes et, déjà, à une montée de leur violence.
J'avais identifié l'augmentation de l'âge médian du corps électoral comme un facteur majeur. J'avais précisé que je ne considérais plus les retraités, les retraités ordinaires, non-riches, comme conservateurs par essence, mais comme privés d'un véritable droit de vote, parce qu'ils sont officiellement menacés par les puissants qui nous gouvernent de perdre leur pension en cas de sortie de l'euro et de dévaluation du franc. Je maintiens évidemment cet élément d'explication. Les retraités anglais ont eu le droit de voter le Brexit; les retraités ordinaires français n'ont pas le droit au Frexit.
CRISTALLISATION DE LA HIÉRARCHISATION CULTURELLE
Je continue, depuis l'émission, à réfléchir, et il m'est finalement apparu - la recherche en direct est un exercice difficile - que j'avais oublié une deuxième dynamique conservatrice. La stratification éducative en éduqués primaires, secondaires et supérieurs explique selon moi la montée d'un subconscient social inégalitaire. Je l'ai dit durant l'émission. Les éduqués supérieurs, trop souvent, finissent par se croire vraiment supérieurs. Olivier Tonneau n'avait pas tort de mettre en doute leur capacité réelle à penser de façon efficace et responsable les problèmes sociaux et économiques.
En 1992, nous avions vu exploser la thématique peuple contre élite, que nous voyons s'épanouir à nouveau, en 2017, jusqu'à la caricature, dans l'affrontement "France d'en haut contre France d'en bas", dans la comédie "Le Pen versus Macron". Or, si le quart de siècle écoulé depuis 1992 a bien mis en évidence l'échec de l'euro, il a aussi vu la proportion d'éduqués supérieurs passer de 12% à 25% du corps électoral. Autrement dit, la base socio-culturelle du macronisme est très élargie par rapport à celle du maastrichtisme. La hiérarchisation culturelle de la société française a augmenté et cristallisé. C'est, je crois, avec le vieillissement du corps électoral, la deuxième raison pour laquelle la société française va sans doute rester embourbée un certain temps dans une monnaie qui ne peut pas fonctionner correctement pour les jeunes, les ouvriers, les employés, les professions intermédiaires et les retraités ordinaires.
J'ajoute que j'avais également oublié de préciser que, selon moi, l'euro, qui a privé les Grecs d'un droit de vote effectif et donc de leur citoyenneté, et qui a fait des Italiens, des Espagnols et des Portugais des citoyens de deuxième catégorie, est, de fait, une monnaie qui re-ethnicise le continent, et donc une monnaie multi-xénophobe.
Pour terminer sur une note optimiste, je répète que la structure du vote Mélenchon, qui réconcilie tous les groupes sociaux, et notamment les éduqués de tout niveaux, est une raison d'espérer, pour un jour prochain, l'émergence d'une France toujours insoumise mais aussi fraternelle.