Cortese a écrit:von Rauffenstein a écrit:Cortese a écrit:J'aimais bien les Belges, moi. C'est quand même le pays de Spirou, Franquin, Maurice Tillieux, Hergé, Jacobs. C'est un peu le pays de mon enfance imaginaire. (Sans parler de l'inénarrable "Jeune Albert" de Yves Chaland qui a reconstruit une Belgique d'après guerre (menacée d'invasion chinoise !) plus vraie que la vraie dans les années 80, c'est la dedans que j'ai appris à dire gotferdom et pachacroute). En fait les Belges ont commencé à m'énerver quand ils ont commencé à se la jouer "moderne". La "modernité", quelle calamité.
Note sur les Belges par Michel Houellebecq
Les préjugés nationaux portent souvent la trace de vérités anciennes, progressivement estompées par la constitution d’une classe moyenne mondiale de culture nord-américaine (dont les comportements et les représentations s’imposent même comme norme aux pays où une part importante de la population survit au bord de la famine).
Un Français en visite touristique pourra ainsi facilement repérer ce qui a permis de qualifier l’Allemand de “ponctuel, discipliné et travailleur”, ou l’Italien de “séducteur, chaleureux et malhonnête”. Il pourra retrouver ces traits, plus ou moins atténués suivant que les natifs du pays, plus ou moins satisfaits de leur propre cliché, souhaitent ou non lui donner une prolongation au moins ironique.
Rien de tout cela ne sera possible en Belgique. Le cliché associé aux Belges est si grossier, si caricatural que toute personne dotée d’un minimum d’éducation le rejettera avec horreur, avec cette conséquence que les Belges, dépourvus de tout cliché distinctif, se voient dénier la moindre spécificité. Ma thèse au contraire est que si les Français se sont contentés d’un cliché aussi grossier, aussi méprisant sur les Belges, c’est d’abord qu’ils ne les comprenaient absolument pas. Plus que les Allemands, plus que les Italiens, plus même que les Anglais, les Belges restent impénétrables aux Français - ainsi, d’ailleurs, qu’aux autres Européens.
Une déviation linguistique implantée depuis plusieurs générations, dépassant le phénomène de mode, a me semble t-il forcément un sens (je serai obligé faute de compétences de limiter au wallon ; il serait bien sûr intéressant d’examiner les déformations qu’a pu subir le flamand par rapport à la langue néerlandaise).
Lorsque le Belge dit : “ça va”, il signifie que la conversation avec son interlocuteur a permis de déboucher sur un accord opérationnel ; qu’il sait maintenant, sans ambiguïté, ce qu’on attend de lui, et qu’il va s’employer à le faire. Il l’emploie en somme exactement dans les circonstances où l’Américain dirait : “OK”. Là ou le garçon de café d’Allemagne du Nord, par son : “Alles klar”, semble figé dans la contemplation esthétique d’un accord parfait client-serveur, le garçon de café belge, par son : “ça va”, nous paraît déjà engagé dans l’exécution de la commande. Il est intéressant que, seul parmi les Européens, le Belge ait spontanément traduit, dans sa propre langue, cette formation linguistique étrangère.
Le célèbre “une fois” semble rebuter l’analyse par sa polysémie même ; mais il me paraît justement intéressant d’examiner les mots que les Belges ont choisi de prononcer avec une telle fréquence, et dans des configurations de phrase si variables, qu’ils en ont perdu toute signification. “Une fois” s’oppose certes à “jamais” ou à “toujours” ; mais il s’oppose surtout à “quelquefois” ou à “un jour ou l’autre”. Réfractaire aux assertions absolues, le Belge l’est plus encore aux assertions vagues. Il souhaite ancrer son discours dans une certitude qui doit moins à la preuve théorique qu’à l’attestation expérimentale du fait, du fait effectivement, “une fois” survenu. Il manifeste, là encore, ces qualités de pragmatisme qui sont classiquement associées au peuple américain.
On voit maintenant où je veux en venir : dit rapidement, les Belges sont les Américains de l’Europe. Une confirmation intéressante pourra en être trouvée dans les jugements diamétralement opposés que les deux plus grands poètes français ont porté sur la Belgique. Par sympathie fraternelle pour Edgar Poe, Baudelaire ne pouvait que détester l’Amérique, “la grande barbarie éclairée au gaz”, le déclin des valeurs aristocratiques qu’elle symbolisait ; on sait le jugement que Baudelaire a porté sur la Belgique. Victor Hugo par contre ne cesse de saluer ce “petit peuple chaleureux et travailleur” ; il n’est pas interdit, même, de penser que ce soit son séjour en Belgique qui lui ait donné l’idée des “états-Unis d’Europe”.
Cette comparaison jette en outre un éclairage supplémentaire - et assez déplaisant - sur le mépris avec lequel les Français, depuis longtemps, traitent les Belges. Par rapport aux Américains, les Français ont développé ce que Brückner appelle le complexe du roquet ; ne pouvant les mépriser - puisqu’ils sont très évidemment les plus forts - ils ont développé à leur égard une jalousie et une hargne impuissantes, et de plus condamnées à rester muettes. Ainsi ont-ils choisi, de manière assez mesquine, de se rattraper sur les Belges, dont ils ressentent, sans pouvoir la formuler clairement, la proximité mentale avec le peuple américain.
Très interessant. J'avais déjà noté l'anglophilie des Belges.
Je pense que la réalité ce situe entre ce texte (je n'ai guère d'estime pour Houellebecq), et ta propre interprétation plus haut. Les deux se recoupent parfaitement. Les Belges sont Américains comme les Américains : par manque d'ancrage national.
Bien comme texte. Pour nous Français (et toi y vivant et étant quelque part un peu Français malgrès toi), il ouvre des perspectives sur un pays peu connu de nous. Par contre j'ai toujours eu de l'estime pour les Belges, et les Wallons en particulier. Créatifs et industrieux. Donc, je ne m'en suis jamais moqué. Mais il est vrai que je suis profondément anti-raciste en fait
