silverwitch a écrit:Ce qui compte n'est pas le Japon comme exemple particulier, mais comme sujet de réflexion. La petite taille, voire le relatif isolement géographique n'est en rien un frein à la prospérité économique. C'est pour cela que je prenais conjointement l'exemple de l'Islande.
Le Japon c'est 120 millions d'habitants ! Le double de la France ! Ce n'est pas un petit pays. Quant à l'Islande, c'est un pays qui a construit sa prospérité sur ses richesses naturelles (pêche, hydro-électricité), ultra-dépendant de l'extérieur (sa balance commerciale est constamment en déficit). L'Islande a du diversifier son économie (notamment dans le tertiaire), et a fait allégeance au libéralisme mondial : privatisation à tout va, libéralisation des services publics, réforme du système social. Par ailleurs, l'Islande est un proctetorat des Etats-Unis qui lui paient une importante dote pour leur base militaire de Keflavik.
Penses-tu sérieusement que l'Islande puisse être considéré comme un modèle économique et politique ?
Ou pas. C'est toute la limite des grandes zones d'influence (qui avant d'être des zones d'influence sont d'abord des zones de libre-échange). Bref, encore une fois tu défends le contraire de l'internationalisme.
Dans ce cas je ne suis pas internationaliste, si c'est ce terme qui te dérange. Je ne sais pas ce que je suis. Seulement quelqu'un qui pense qu'un pays seul peut difficilement trouver les moyens de réguler davantage l'économie, de reaffirmer le primat du politique sur l'économique.
Hormis pour les pays de l'Est, nous ne sommes plus en Europe, dans une phase de développement. Je pense que la logique de croissance économique est un concept dépassé pour des pays comme les notres. Une quête illusoire. Il faut donc passer à autre chose, à une économie plus solidaire, plus maîtrisée, mieux régulée. Et je pense qu'un groupement de pays politiquement coordonné est mieux à même d'y parvenir
Pourquoi ?
Parce que les relations internationales fonctionnent au rapport de force. Plus tu pèses lourd, plus tu es respecté et écouté.
Il faut voir plus loin Shunt. La fédération dont tu rêves a une réalité, le paradis du libéralisme. Parce que l'objectif poursuivi est justement de briser les cadres nationaux et d'organiser de vastes zones de libre-échange (ce qui se passe aujourd'hui), d'homogénéiser le monde pour faciliter les échanges commerciaux au profit des multinationales.
Pas du tout. La seule chose que je souhaiterais homogénéiser, ce sont les règles du jeu du commerce international. Pour le reste, les Etats peuvent garder les mains libres ou coordonner certaines politiques (armée, éducation, police). Je ne vois le fédéralisme comme un carcan contraignant. Juste un instrument au service de l'intérêt de chacun, dans le respect de tous.
Personnellement, le libre-échange intra-européen ne me dérange si chaque acteur obéit aux mêmes règles du jeu. Est-ce que le libre-échange intra-français te dérange par exemple ? Ou est-ce que tu penses que l'Ile-de-France devrait imposer des taxes aux produits exportés par la région PACA ? Le problème du libre échange dans le TCE, c'est qu'il organisait la concurrence entre des pays aux régimes salariaux et fiscaux extrêmement disparates , ce qui concourent naturellement au dumping social.
Pour résister au libéralisme, seule vaut l'indépendance nationale (regarde l'Amérique du Sud, si tu crées une fédération, le libéralisme balayera les maigres tentatives du Brésil ou du Vénézuéla, alors qu'un accord international entre pays les protégerait via la coopération) et la possibilité de préserver des coutumes spécifiques, des institutions singulières, une langue, des modes de vie qui sont autant d'obstacles au libéralisme.
Mais quels obstacles au libéralisme ? C'est un fantasme ! Le Brésil a du se conformer aux dictats libéraux du FMI. Quant au Venezuela, son économie dépend à 40% de la production pétrolière (50% de ses recettes fiscales), alors que la source tend à se tarir. C'est son statut de pays pétrolier qui lui confère sa relative indépendance. Le jour où cette manne se tarira, ça risque de dégénérer sévèrement.
Le commerce international obéit aux principes du libéralisme via les accords du GATT et l'OMC, auxquels la quasi-totalité des pays du monde se sont soumis. Aujourd'hui, la lutte contre le libéralisme, elle doit se faire à l'OMC. C'est à ce niveau là que tout se joue... l'OMC est un rempart aux politiques protectionnistes.
C'est là où tu te trompes. Une Europe fédérale sera toujours moins démocratique que ne peut l'être une nation. D'abord par la taille qui empêche l'unité nationale indispensable (ce qui passe notamment par la langue), mais surtout par le fait que là encore tu adhères à une théorie qui va à l'encontre des principes fondateurs de la démocratie: le moins d'échelons possibles (de filtres) entre le citoyen et le pouvoir.
Quel échelon existe-t-il quant une fédération fonctionne sur un modèle parlementaire élu au suffrage universel direct ?
L'objectif d'une fédération est d'arriver à une citoyenneté unique, à une nation fédérale. Dans le cas de l'Europe, c'est matériellement impossible sinon par une entreprise coercitive. D'abord parce que les histoires nationales sont trop vieilles, les institutions trop ancrées dans l'âme de chaque nation
C'est pour ça qu'on a connu cinq républiques en France. Dont trois dans le seul XXe siècle. Avec à chaque fois une nouvelle constitution.
que l'Europe comptera d'ici deux ans vingt-trois langues officielles
Que devrait dire l'Inde avec ses 150 langues parlées sur son territoire !

et surtout, parce que la richesse historique de l'Europe s'oppose au fédéralisme. La force de l'Europe a toujours été sa diversité dans un espace réduit qui n'empêchait ni un essor culturel national incroyable, ni des échanges fructueux entre nations européennes, ni des pouvoirs politiques.
Je n'ai pas cette vision du fédéralisme. Ce n'est pas celle que j'ai eu en allant en Suisse, en Allemagne, ou même aux Etats-Unis. Regarde les prérogatives des Etats, aux Etats-Unis. L'Etat fédéral n'est pas une autorité toute puissante. Les Etats ont des compétences sur énormément de domaines. Idem pour les Länder allemands ou les cantons suisses.
Shunt a écrit:Au contraire, plus une nation est petite, moins elle suscite de rivalités, de convoitises (quant à son marché intérieur).
Faudra expliquer ça aux Taiwanais...
La taille n'est jamais un atout, parce qu'elle oblige à la grandiloquence.
C'est un non-argument.
Le problème de la démocratie c'est justement cette stratification. On sait que l'instrument le plus efficace de la démocratie (le seul en fait) est la démocratie directe.
C'est faux. Le plus "pur" théoriquement peut-être, le plus "efficace" je ne crois pas. Renseigne toi sur le déroulement des votations en Suisse (qui connaissent d'ailleurs un taux d'absentéisme assez élevé). Une démocratie qui fonctionnerait uniquement en mode direct serait administrativement lourde et ralentirait les processus de décision (puisque chaque décision politique doit être soumise à l'approbation du peuple, même le moindre petit décret).
Le parlementarisme européen aboutit à une dissolution de la démocratie, et tu te réjouis de l'apparition de niveaux supplémentaires, parfaitement inutiles.
Je me demande si tu me lis parfois. Je ne vois pas en quoi le parlementarisme européen dissolurait la démocratie. C'est d'un dogmatisme assez effarant.
Je peux te rassurer, la France seule présente mille fois plus de garanties de prospérité économique à long terme que la Chine. Il est plus facile d'assurer l'égalité démocratique de 60 millions d'habitants que de 1,3 milliards d'habitants. Je sais que tout cela est l'évidence, mais parfois il faut s'en souvenir.
Dans ce cas vive l'indépendance de l'Essonne ou des Yvelines ! Découpons la France pour sauver la démocratie ! Vu le nombre de provinciaux qui parlent des "décisions de Paris", on voit bien que l'autorité nationale ne satisfait personne, que la République française est un déni de démocratie. Tiens je vais lancer le mouvement indépendantiste du 9e arrondissement. Ou plutôt celui de ma rue ou de mon immeuble.
On nous aveugle en parlant de la Chine (qui émerge avec l'argent et le savoir-faire occidental), alors que ce pays crée une richesse annuelle inférieure à la France (malgré une population 20 fois plus importante et une superficie 10 fois plus importante), avec l'Inde dont le PIB est à peine 1/3 de celui de la France, avec le Brésil qui pèse à peine plus lourd que l'Australie et moins que l'Espagne. Tout cela est un grand mensonge qui vise à nous convertir au cosmopolitisme libéral, et à nous faire peur. Voilà la réalité de ce projet européen: l'utopie et la peur. L'utopie (un monde sans frontières, du moins en Europe), la peur (l'obligation de devenir gros pour faire face aux menaces mondiales) de la guerre économique. Alors que tu sais très bien, que la guerre économique est une illusion. Les multinationales s'entendent parfaitement au-delà de leur nationalité pour détruire les cadres nationaux.
Tu parles toute seule là. Prends au moins la peine de lire ce que j'écris. Je ne conçois pas la construction européenne comme un instrument de guerre économique. Je parle de poids POLITIQUE (souvent dépendant d'ailleurs du poids économique). Encore une fois, penses-tu que la France parviendra seule à imposer la taxe Tobin ou à promouvoir le commerce équitable.
Pour finir là dessus, je crois que le problème se situe ailleurs et concerne notre rapport au monde et au travail. Si nous ne donnons pas à l'individu la possibilité d'une autonomie et de la maitrise de ce qu'il produit (et mange), alors la démocratie est condamnée quoi qu'il arrive. Si l'on continue à penser que la mise en équivalence de toutes les activités humaines par l'argent est naturelle, alors il est inévitable que l'échange de biens et de services ne soit que le prétexte à transformer de l'argent en plus d'argent.
Sérieusement, tu te vois aller chercher ton billet d'avion avec la copie de ton dernier scénar... et moi je vais chez le boucher avec une copie Beta de mon dernier reportage.
C'est étrange comment tu peux prôner l'ordre naturel des choses pour défendre le concept de nation, et de l'autre le nier totalement, en passant outre les causes historiques et anthropologiques de l'invention de la monnaie.
Il faut mettre en cause ce que l'économie produit, comment elle le produit. On doit critiquer l'industrie, le capitalisme réel (bref, tout ce qu'une organisation comme ATTAC ne fait pas).
Oui super. Et tu y parviens comment ? Encore une fois, je te repose la question : quel pays parvient aujourd'hui à se soustraire totalement du libéralisme mondialisé, en dehors de la Corée du Nord ? Et avec quels effets ? Où sont les vaillants résistants ?
Je crois qu'entre nous, il existe une divergence profonde et irréconciliable: tu penses que le monde actuel (et ses technologies) permet de résister au libéralisme et de fonctionner selon une forme démocratique, quand je suis persuadée qu'il s'agit d'un nouveau pas décisif vers la dépossession.
La différence fondamentale, c'est que j'essaie moi de passer du raisonnement théorique à son application concrète et pratique. Je tente d'avoir une approche pragmatique des choses. Encore une fois, j'aimerais que tu m'expliques comment un pays seul, de la taille de la France, peut domestiquer la mondialisation de l'économie, résister au libéralisme, faire passer ses vues à l'OMC, remettre en cause le capitalisme, redonner aux travailleurs le fruit de leur travail et garantir des lendemains qui chantent. Par la coopération ? Chiche. Mais celà suppose alors qu'au moins deux pays aient à un moment donné des vues convergentes sur les points que je viens d'énoncer. Seulement, chaque pays ayant sa vie politique propre et autonome, la probabilité de trouver simultanément des gouvernements partageant exactement les mêmes vues est plutôt réduite (c'est en celà que je trouve aberrant le fonctionnement institutionnel prévu dans le TCE). Un accord total et complet (et durable) entre deux pays sur les points énoncés paraît difficile. Alors pour que cet accord soit partagé par 5, 10 ou 20 pays... c'est pratiquement impossible. Par ailleurs, en prônant le modèle "national", tu étriques la "conscience" politique à un champ restreint. Puisque la nation peut s'auto-suffire, quel intérêt de mener des coopérations au niveau international.
La production socialisée comme la consommation de masse nient la politique.
Ta solution alors ? Une production politisée ? Le plan ? Le kolkhoze ?