Dervi a écrit:Nous mélangeons régulièrement l'analyse des retraites seules d'un côté et la mise en place d'un Etat plus social.
Le besoin de financement n'est pas le même selon que l'analyse porte sur l'un ou l'autre.
Dans mon paragraphe, toutes mes excuses si je n'ai pas été assez clair, je parlais bien sûr de l'Etat social que tu décris (gratuité totale de l'école, gratuité totale de la santé, retraite à hauteur de 75% des revenus de la vie active, âge de la retraite plus précoce, etc.). Bref, nous en sommes loin et cela nécessite une collecte plus élevée que dans ton exemple.
Cela nécessite de revenir sur les baisses d’impôts consenties depuis des décennies, ainsi que sur les exonérations de cotisations sociales qui fragilisent l’équilibre de l’État social. C’est une question de
volonté politique, vertu première du politique, incarnée dans l’action. C’est donc le refus du laisser-faire, du laisser aller, de la fatalité comme du
catastrophisme et du
déclinisme (et les théories de l’explosion, de l’effondrement).
Dervi a écrit:Oui, j'évoquais un déficit passager futur (qui peut être plus que passager dans l'hypothèse la plus sévère) dans mes messages plus haut tout en regrettant que les prévisions n'évaluent pas de scénario en décroissance (le rapport Meadows est systématiquement occulté dans toutes les décisions politiques).
Parlons de
besoin de financement plutôt que de déficit. C’est une définition à la fois plus exacte techniquement et surtout plus ouverte politiquement.
Dervi a écrit:Revenus socialisés, oui. Revenus différés, il n'y a aucune certitude, comme dans toute assurance.
Oui, ces droits sont acquis par le travail contre le capital avec des règles du jeu définies par le capitalisme, règles du jeu admises avec trop peu de verrou jusqu'à preuve du contraire par la France et bien d'autres pays. Donc tout prélèvement sur le capital sera perçu comme une charge et le capital a horreur des charges car il ne travaille que pour dégager plus de rentabilité que le voisin, raison pour laquelle j'expliquais qu'in fine le salaire trinquera en différé.
Je ne dis pas que je suis en faveur de ce fonctionnement, mais cela marche ainsi aujourd'hui.
Ton explication m’apparaît assez hasardeuse car la politique et l’économie ne sont pas régies par un fonctionnement de
marché. La lutte entre le capital et le travail (ou les travailleurs si tu préfères) est un combat dont l’issue toujours incertaine est liée à des rapports de pouvoir. La délibération politique est la manière d’entraver la force du capital. La loi souveraine contre la loi du plus riche.
Depuis cinquante ans, les attaques contre la socialisation de l’économie n’ont pas eu la peau de cette économie non marchande, simplement l’idéologie néo-libérale participe à retirer toute légitimité à cette socialisation, d’où la tentation de tout repeindre en noir: le système est en danger, il est foutu, l’avenir est déjà écrit...
Dervi a écrit:Mais à cette fin, il convient de récompenser les retraités de manière juste, ni plus, ni moins. Et la source de notre désaccord très partiel selon moi est là.
Tu n’as pas défini la valeur des retraites sinon par la négative en opposant les retraités aux actifs, une erreur à mes yeux, au nom d’une prétendue guerre des générations et au seul profit du marché, je le montrerai plus loin. Il y a des points sémantiques qui sont assez intéressants dans ton discours, car tu utilises parfois des termes assez décalés. La retraite n’est pas une récompense, c’est une assurance qui suppose un droit conquis (et non offert pour bonne conduite, car il pourrait être repris si les retraités ne sont pas sages, s’ils manquent de sobriété ou de reconnaissance, voire s’ils votent mal) et des droits acquis.
Par la négative
tu assimiles les retraités à une charge.Dervi a écrit:Pour l'assurance chômage, je n'ai pas le même avis. L'actif a besoin d'un cadre le plus stable possible compte tenu des risques immédiats qui flottent au-dessus de sa tête (perte de travail) couplé à ses responsabilités à rembourser ses dettes, subvenir aux besoins de sa progéniture (si l'Etat souhaite continuer d'avoir de futurs actifs qui travaillent), etc.
Sauf que tu ne réponds pas à ta propre objection initiale:
viser les plus hautes pensions ou les allocations les plus importantes, au nom de la charge qu’elles représentent. Dans les deux cas, les allocations ou les pensions sont soumises à un plafond, directement lié aux droits acquis par son travail ou ses cotisations.
Si l’exemple te déplaît, prenons en un autre: le traitement des fonctionnaires. Les traitements les plus élevés devraient-ils être réduits au nom de la charge qu’ils feraient peser sur l’économie marchande et les travailleurs du privé ? Après tout, les fonctionnaires disposent de la sécurité de l’emploi et de la même manière que tu penses supporter collectivement la charge des retraités, tu supportes aussi des fonctionnaires possiblement improductifs puisqu’ils ne participent pas à l’extension infinie du PIB sinon à hauteur de leur salaire.
Dervi a écrit:L'arrivée à la retraite n'est en revanche pas une surprise, elle est planifiable. Les actifs aisés y arrivent aujourd'hui dans une situation confortable et une capacité d'épargne importante.
Parce qu’ils ne sont pas assez imposés, tout simplement. Ce refus de prendre en compte la part essentielle de la fiscalité, c’est-à-dire de
contribuer selon ses moyens me paraît vraiment gênante dans ton propos. Pas de justice sociale sans fiscalité pour réduire les inégalités de revenus ou de patrimoine (sans parler de l’accès à la santé, à l’instruction, au logement). La fiscalité rétablit un meilleur équilibre entre les actifs et entre les retraités, sans avoir à remettre en cause le principe d’assurance au coeur de la construction de l’État social (au départ c’est la charité, on s’incline, ensuite c’est l’assurance, on relève la tête, enfin c’est le mieux être une direction vers l’avenir).
Dervi a écrit:Concernant les actifs, leur situation n'est pas la même dans le temps :
- les baby boomer qui ont été actifs ont profité d'années fastes et ont peu cotisé,
- les actifs actuels sont dans des situations bien plus précaires et perçoivent des retraités qui n'ont jamais eu les poches aussi pleines dans l'histoire, ce qui est aussi le résultat de la forte croissance. Il se trouve que ce sont les anciens baby boomer. Ce qui n'empêche pas qu'il y a plein de retraités qui vivent aussi avec rien. Les actifs actuels ont aussi la perspective que le système de retraite actuel va tomber, car l'Etat montre une volonté de le détricoter.
Retour de la
guerre des générations ! Ce que tu écris est largement inexact: le chômage de masse s’impose après la crise pétrolière de 1973 et les politiques d’austérité d’inspiration néo-libérales déterminent les politiques fiscales et sociales à partir du milieu des années 80. La génération de l’après guerre (née entre 1945 et 1960) a été touchée de plein fouet par la crise économique, le chômage de masse, et les politiques néo-libérales (pré retraite contrainte, taux d’emploi en berne chez les plus de cinquante cinq ans), endettement privé en hausse...
Catastrophisme ensuite, avec la
théorie de l’effondrement. D’une manière générale, je trouve tes qualificatifs peu amènes (les poches pleines) concernant les retraités et j’ai l’impression que tu ne peux pas t’en empêcher. C’est intéressant à analyser, donc je vais faire un petit hors-sujet nécessaire pour comprendre l’impuissance conceptuelle dans laquelle tu es plongé:
La vertu politique s’incarne dans une trinité: lucidité, volonté, espérance. La lucidité consiste à se confronter au réel, sans a priori, à anticiper les risques et à identifier plusieurs chemins. La volonté c’est la clé de l’action et de la délibération collective, et l’espérance (qui n’est pas l’optimisme ou le pessimisme) c’est le ciel de la politique, à savoir que l’avenir n’est pas écrit. Si le futur est déjà déroulé sous nos pieds, l’Histoire et la liberté sont des chimères.
J’ai un peu de mal à m’expliquer ton renoncement à remettre en cause le divin marché (tout combat contre le capital est perdu d’avance sauf à renverser le système globalisé) et un catastrophisme (le système risque de tomber).
Dervi a écrit:L'étalon est simple. Tous les revenus, le capital.
Pour le dire autrement, si on mettait tous les retraités à la pension maximum d'aujourd'hui, ce serait donc incorrect, car cela ne distinguerait pas les anciens actifs les mieux rémunérés et rendrait leur pension de retraite trop faible en comparaison avec leurs autres revenus ? Ce n'est pas sérieux.
Cela revient à étendre la marchandisation contre la socialisation.
D’une manière générale, plus le revenu en activité était important, plus le taux de remplacement est déjà bas. Si tu proposes de baisser d'avantage les pensions d’une partie aisée des retraités sans corriger par la fiscalité les revenus et les rentes pendant la vie active, tu transfères presque automatiquement l’épargne publique vers la capitalisation privée. Comme tu détruis la logique d’assurance, pilier de l’État social, tu accentues la méfiance et la tentation de se tourner vers l’individualisme forcené. Le résultat est évident: si tu supprimes l’assurance, reste l’assistance: un minimum charitable pour les plus pauvres et les fonds de pension pour tous les autres, au prix d’une rupture progressive de tout le pacte social, et à un prix collectif particulièrement élevé, au bénéfice exclusif du capital. Évidemment la fiscalité elle-même perd son caractère républicain (égalitaire) si les assurances (cotisations et droits ouverts) disparaissent. La socialisation d’une partie de l’économie (toutes les économies capitalistes sont des économies mixtes) est dévalorisée puisque tous les transferts sont identifiés à des charges (contrairement à la cotisation). Bref un retour en arrière terrible dont il serait tentant de faire peser la responsabilité sur les générations précédentes.
Dervi a écrit:Oui rien d'étrange dans une société capitaliste qu'il y ait des inégalités de salaires. Cela n'a rien de néo-libéral, c'est intrinsèque à la nature même d'une entreprise privée et la valorisation de la rareté de certaines compétences. Que l'Etat social persévère dans cette voie, c'est en revanche plus étonnant.
Ce n’est pas ce dont je parle. Je rappelle le caractère inédit du néo-libéralisme, l’argent public est détourné vers l’activité privée au profit exclusif du capital. Pour le dire plus brutalement, on subventionne massivement l’activité privée (directement et indirectement le coût annuel est extraordinairement élevé)
sans aucun droit de regard sur l’emploi des subventions. Pas de contrôle des salaires, pas d’échelle mobile, pas de participation des travailleurs à la détermination de la vie économique, pas de limite à l’expansion du capital, tu l’écris toi-même face à chaque proposition.
Dervi a écrit:l était question de l'inéluctabilité de la voie choisie pour réformer les retraites, donc j'explique juste qu'il y a d'autres voies. Et comme les retraites sont un bien commun, il est bien logique de s'interroger sur les moyens de collecter et de reverser, voire de ne pas continuer les inégalités de pensions après les inégalités de revenus. Mais bien sûr les autres problèmes que tu cites me préoccupent.
Les retraites ne sont pas un
bien commun, sauf à tordre la définition du terme. Ta logique m’apparaît toujours incompréhensible puisque tu refuses la fiscalité, et j’essaye de montrer que ta proposition consistant à détricoter de fait la logique d’assurance est un très mauvais coup porté à la justice sociale, contrairement à ce que tu sembles croire. Il me semble, mais c’est une position personnelle que tu entretiens à la fois un certain ressentiment et un renoncement: le ciel va nous tomber sur la tête, c’est en partie la faute des retraités riches.
Le trou noir, c’est chez toi l’impensé de la fiscalité qui conduit à des positions assez incompréhensibles où tu veux venger les inégalités de revenus et de patrimoine, non par l’impôt pendant toute la vie mais par la baisse des pensions de la frange la plus aisée des retraités. Faute de continuité entre la vie active et la retraite, faute de justice fiscale, pas besoin d’être Jérémie pour deviner le sort qui est promis: les actifs les plus aisés (ceux qui épargnent, ceux qui achètent des biens immobiliers ou spéculent) feront basculer une part plus grande de leurs revenus vers la capitalisation privée, et exigeront en conséquence toujours plus de revenus, toujours moins de fiscalité pour préserver leur train de vie. Tout ce que tu accomplis ainsi c’est de transférer toujours plus vers l’économie marchande et potentiellement largement spéculative et au coût très élevé (les assurances privées coûtent toujours beaucoup beaucoup plus cher).
C’est le coeur de mon propos: défendre l’assurance avant l’assistance, les droits acquis avant la charité, la gestion par les travailleurs contre l’étatisation, et pour garantir ces droits, la cotisation avant l'impôt. Face à l’inégalité ou au besoin temporaire de financement, il y a la fiscalité. Si un retraité touche une pension importante, il paye des impôts sur ses revenus, sur la pension comme sur ses rentes. Cela réduit l’inégalité et contribue à financer la socialisation de l’économie.
Pourquoi donc faire compliqué ? J’ai montré suffisamment, je crois, que le système des retraites par répartition n’est pas du toute menacé à court ou moyen terme, que les pistes sont nombreuses pour des politiques plus ambitieuses et surtout qu’il était mal avisé de ne s’attaquer à l’inégalité qu’après la retraite puisque les inégalités de revenus et de patrimoine se développent essentiellement avant. Il faut sans faiblesse défendre les prestations définies qui garantissent le niveau des pensions et ne pas faire de la retraite une punition redoutée par les actifs aisés. Si tu défends la République sociale, il faut que nous soyons tous dans le même bateau, que les riches et les pauvres croient à ce système, nous devons tous y trouver un intérêt !