Cortese a écrit:Il y a quand même un problème qu'on ne peut pas (plus) éluder, c'est ce qu'il faut bien appeler le triomphe du wahabisme sur les autres courants religieux musulmans (à l'exception du chiisme). Aujourd'hui, un occidental de culture chrétienne qui se convertit à l'islam devient sans même le savoir, wahabite. L'islam traditionnel du Maghreb, un islam maraboutique et soufi, a été quasiment éradiqué, non pas par les Etats (qui ont plutôt assisté impuissants, ou ignorants, à cette mutation) mais par les prédicateurs formés directement ou indirectement par les Séoudiens. Comme le rappelle Shoe, les Frères Musulmans (un mouvement politique créé par le grand père de Tariq Ramadan en 1929, avec l'aide parait-il de l'Intelligence Service) professent grosso modo la même doctrine que le wahabisme (alors qu'ils sont quasiment en guerre aujourd'hui, via Erdogan et le Qatar contre l'Arabie Séoudite et ses satellites émiratis etc...). On dit même que Hassan El Banna (grand pa) se serait inspiré de Mussolini, ce qui parait vraisemblable, le FMisme étant un courant paradoxalement moderniste (tout comme le fascisme), héritier de la "Nahda" ("Renaissance" de la culture islamique de la fin du 19eS). Ce courant réformiste-FM a une histoire quand même compliquée : il a assassiné le Premier Ministre de l'Egypte du roi Farouk, puis, après qu'ils aient été assez proches des officiers putschistes de 1952, Nasser a fait pendre leur chef dans les années 60, et les a violemment réprimés. Son successeur, Sadate, lui-même renversant la politique de Nasser, artisan d'un rapprochement avec les Américains et les Séoudiens et opposé aux Russes et au socialisme, a été assassiné par un FM ! Lorsque le FLN a déclenché la lutte armée algérienne en 1954, ses idéologues, profondément francisés, avaient deux influences principales : le communisme et Robespierre ! Les oulémas (association cultuelle de l'élite des muftis et imams) était officiellement pro-Algérie française et n'a rejoint bon gré mal gré le combat du FLN qu'en 1956, lorsque Ben Bella, basé au Caire où il militait aux côtés de Nasser pour un panarabisme socialiste moderne, avait fait emprisonner pour trahison leur leader, le cheikh El Ibrahimi, alors que celui ci faisait escale en Egypte sur la route de Bagdad où il devait participer à un congrès islamique, alors que l'Irak était le pivot du "pacte de Bagdad", une tentative de fédérer les Etats arabes naissants sous l'égide du Royaume-Uni !
Dans les années 60/70, en réalité, les populations arabes étaient en voie de désislamisation. L'islam traditionnel était démodé, le socialisme était en plein essor ainsi que le nationalisme arabe, l'Egypte était en guerre contre l'Arabie Séoudite dans le Nord Yémen, et la libération de la Palestine de la colonisation sioniste européenne était imminente. C'est dans ce contexte que le wahabisme a fait irruption. Après la déroute totale du nationalisme arabe, du socialisme soviétique, de l'écrasement des "dictatures" modernistes irakiennes, syriennes etc... (qui n'étaient pas beaucoup plus tyranniques que les dictatures "gentilles" du sud est asiatique (Corée du Sud, Singapour...) il ne restait rien pour des peuples déboussolés, à conquérir donc. Je me souviens très bien de notre stupéfaction à Alger devant les premières barbes et les premiers hidjabs. On croyait voir débarquer des Martiens ! Et quand je dis "débarquer" ce n'est pas au hasard. Dans mon milieu citadin bourgeois, les traumatismes des parents voyant leur progénitures descendre de l'avion en provenance de Londres ou New York où ils avaient été envoyé étudier (grâce aux bourses de l'Etat socialiste) se répétaient et se racontaient à voix basse entre femmes devant le café-maqrouts de l'après midi.
Ce que tu dis est juste, même si tu as perdu en route les 3/4 de tes lecteurs, dans les arcanes de l'Orient compliqué...
Ce que tu dis tout au début est fondamental. Le Sunnisme contenait en lui, 2 germes.
Le premier, tendance "sympa", prenait le dessus, comme tu le précises, dans les années 60/70, époque bénie où peu à peu, la société musulmane se laïcisait, tout doucement, tout tranquillement. Je l'ai vécu aussi bien à Alger que dans mon village de l'Algérie profonde (sans parler de l'Egypte du Roi Farouk, par exemple, phare du monde Arabe, dans les années 40/50 : suffit de voir le cinéma de l'époque, qui influençait intensément les cultures).
Mais l'autre germe dans le sunnisme, tendance intégriste, au lieu de disparaître, s'est soudain réveillé avec une virulence terrible, en entrant en conjonction avec l'afflux de l'idéologie wahabite et frériste importée de Saoudie et d'Egypte. Et tout ce que le Sunnisme contient de "pervers", d'archaïque, s'en est nourri, et s'est déchainé, s'est libéré, et a fait que, oui, effectivement, la tendance wahabite-frèriste est devenu, peu ou prou, l'essentiel de l'Islam actuel (les raisons exogènes aussi, sont connues, et ne souffrent d'aucun doute : chute du nationalisme Arabe, échec de la modernisation post coloniale, les USA poussant leur valetaille saoudienne à exporter le virus wahabite pour fragiliser ce qui restait dans les Etats arabes républicains de l'après chute du mur de Berlin, le tout sur fond de guerre du pétrole et de sionisme hyper guerrier au MO, etc etc etc etc etc........).
Bref, oui, l'intégrisme (appelons la chose ainsi) a pris massivement le dessus, dans l'islam. Le nier serait un aveuglement coupable. Partout. Dans les pays musulmans, et, pour revenir au sujet, dans les pays Occidentaux à forte présence musulmane. A l'époque de la globalisation, il n'y aucune raison pour que le virus, tel le nuage de Thernobyle, s'arrête aux frontières.
Maintenant, il reste tout de même quelques raisons de ne pas désespérer complètement. Il y a la globalisation elle-même. Les jeunesses musulmanes ne peuvent se frotter à la culture globalisée mondiale (aussi pourrie soit-elle), faite de Mac do, de Rap et de ponographisme délirant, sans que cela ne cause aucune brèche dans leur "intégrisme". Il y a l'épuisement naturel des doctrines trop extrêmes. Les jeunesses musulmanes, après un temps d'exaltation religieuse, trop "intense", faite exclusivement d'interdits et d'auto flagellation, finiront tôt ou tard par laisser tomber le logiciel intégriste, et il tombera beaucoup plus vite qu'il est monté à l'assaut des consciences ; question d'énergie cinétique.
Au début, les "Arabes" se sont réfugiés aussi, dans l'intégrisme, parce que la modernité fulgurante de l'Occident les a repoussés par ses excès, mais aussi les a complexés, par sa force triomphante et fulgurante. Mais on s'habitue à tout, même à l'humiliation, et peu à peu, d'autres voies s'ouvrent, pour que la décompression thérapeutique se fasse.
C'est comme en Iran (le chiisme présentant un intégrisme d'une toute autre nature) : je suis certain qu'une fois la période de crise passée, l'intégrisme chiite s'effondrera vite de sa belle mort, devenant "inutile", dans un Iran ouvert, apaisé, tranquille (à moins que d'ici là il ne se fasse transbahuter au Moyen Age par qui on sait ! c'est pas encore gagné !).
Bref, je ne pense pas que l'intégrisme persiste longtemps. Trop dur, trop extrême, trop superficiel, archaïque, bête, violent... Il disparaîtra, mais laissera un grand vide, car il aura détruit tout le vieil humus culturel vieux de plusieurs siècles, en terre musulmane. Ce qui en résultera, je ne sais pas. La prochaine génération le verra. Pas nous.
Et ici, pour ce qui intéresse les Français, d'abord, les électeurs feraient une bonne chose en exigeant que l'Etat Français cesse radicalement de soutenir l'intégrisme ailleurs ET sur son propre sol (rigueur et autorité). Puis, en espérant que tout cela ne finisse pas en bouillabaisse immangeable, il ne restera de l'intégrisme que quelques illuminés en mode secte au fin fond du Larzac... On parlera de tout ça comme d'une incongruité passagère. Il n'y aura ni grand remplacement, ni Président Ben Abdallah, d'une manière ou d'une autre.