Yo a écrit:Ce soir, sur Ciné Cinéma Succès, Silverwitch vous a préparé une soirée Bébel, Le magnifique suivi de L'incorrigible. Du bon Bébel ( excellent même dans le cas du Magnifique ) avant qu'il ne se parodie lui-même.
Yo,
Merci pour ta clairvoyance! Deux excellents films avec le grand, l'immense Jean-Paul Belmondo sous la réalisation du non moins talentueux Philippe de Broca (un des cinéastes français les plus sous-estimés). Dans l'Incorrigible Victor Vauthier (JP Belmondo) dit à Marie-Charlotte (Geneviève Bujold): "Le destin aurait du nous dresser l'un contre l'autre, comme la langouste et le cobra". "La mangouste" corrige Marie-Charlotte. Si vous en avez l'occasion, ne manquez pas ces deux films qui reçurent à l'écriture la collaboration de Francis Véber (Le Magnifique) et Michel Audiard (L'Incorrigible).
Quant au Magnifique! On tente de traduire les paroles du terroriste bulgare, et on en arrive à une régression à l'infini: on passe du bulgare, au serbe, au croate, au roumain, au tchèque, pour arriver au français...et découvrir que la traduction était vaine puisque le terroriste n'émettait qu'un râle! Philosophiquement Broca et Véber nous font voir l'impossibilité de la traduction, dans la mesure même où celle-ci renvoie à un univers dualiste qui présuppose un référent fixe: le sens. Or chez de Broca, le texte n'a pas besoin de sens, il se suffit à lui-même. Ainsi dans l'Incorrigible, la chanson chantée par un gitan (le peuple tzigane étant déjà un peuple sans origine fixe) se suffit à elle-même: "C'est beau comme ça, y a pas tellement intérêt à traduire" répondra Belmondo à Marie-Charlotte qui veut savoir "qu'est-ce que ça veut dire".
Pour en revenir au Magnifique il faut donc bien comprendre que nous sommes dans un monde baroque et le cinéaste n'oppose pas la réalité "François Merlin" et le rêve "Bob Saint-Clare". Tout dans le film n'est qu'apparence: le dernier plan, Merlin et Christine (Jacqueline Bisset) regardent les feuilles du roman voler est une véritable image d'Épinal, le procédé meme du ralenti renvoie au rêve et à la suspension du temps. L'opposition est volontairement outrée entre les deux; à la voiture blanche dans laquelle Saint-Clare saute sans même prendre la peine d'ouvrir la portière, répond la vieille Peugeot grise de Merlin qui est victime tout à la fois des embouteillages et des rigueurs de la police pour stationnement illicte, comme si le mouvement et le repos lui étaient également interdits. De meme, alors que Saint-Clare réussit à obtenir instantanément les communications téléphoniques les plus lointaines (même quand il fait du ski nautique), Merlin se heurte lui à tous les obstacles accumulés qui peuvent surgir...
Et au-delà de l'aspect trivial du cinéma de Philippe de Broca se cache vraiment un point de vue philosophique. Dans l'Incorrigible, après le vol du Gréco et au contact de Victor, Marie-Charlotte semble avoir découvert les vertus du rêve (comme Victor aurait de son côté découvert le sens du réel). Mais elle prétend vivre son reve et ainsi retombe dans la réalité la plus banale: riche des millions dérobés, elle prétendra en jouir et mènera une vie de farniente sous les cocotiers. Mais c'est là une caricature de rêve que Victor ne peut accepter. Riche, Marie-Charlotte a trahi le reve et ne pourra vivre que dans la chimère. En la quittant, Victor reste donc fidèle à lui-même, c'est à dire au rêve. On pense à la phrase de Proust: "Il vaut mieux rêver sa vie que la vivre, encore que la vivre, ce soit encore la rêver". Dans "Le Roi de Coeur", son chef d'oeuvre, Philippe de Broca termine son film sur cette phrase qu'on lit sur les lèvres sans l'entendre: "Les vrais voyages se font par la fenêtre". C'est une belle déclaration d'amour au rêve et au cinéma.
Silverwitch (

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