BWT a écrit:Ne pas être de ton avis procède nécessairement d’une méconnaissance du sujet, je connais le refrain. Tu ne m’empêcheras pas de penser que sentir le besoin de définir un terme aussi largement compris que celui de « culture » relève déjà d'un condescendance inutile...
Vraiment ? Ça promet.
BWT a écrit:Tu peux pinailler, et longtemps, pour m’expliquer que je comprends mal chacun des mots que j’utilise pour m’exprimer, mais crois-moi, j’utilise le mot « culture » à dessein dans son acception commune : ce qui est acquis par opposition à ce qui innée, « la nature ».
Non. Je te cite (et je souligne):
vouloir dépouiller l’individu de la « culture » sur laquelle est structurée son identité pour lui substituer une autre « culture », largement artificielle.Tu parles d'une
culture artificielle (contradiction dans les termes selon ta définition ci-dessus), ergo tu postules une
culture naturelle. D'ailleurs tu précises ton opposition en parlant d'abord d'une culture qui structure l'individu, postulant ainsi mais sans l'exprimer distinctement une culture intérieure (structurante) et une culture extérieure. Je t'invite donc à revoir ta définition, ou plutôt à la préciser. Et n'y vois pas une inutile pédanterie, mais au contraire une nécessité pour aiguiser ton point de vue.
BWT a écrit:Passé cette intro, on peut se demander ce qui constitue une culture, et ma réponse est simple : l’ensemble des us et coutumes transmis par les parents, par la tribu, par le peuple, par l’école etc. et qui constituent son idiosyncrasie.
Tu passes de la culture individuelle à la culture collective, sans établir de relation dialectique entre l'individu et la culture collective "structurante" à laquelle tu fais allusion (en la naturalisant). Résultat, sans vouloir te froisser, tu laisses de côté une problématique centrale faute de l'exprimer clairement: tu postules une définition de l'individu par son appartenance (j'emploie le terme à dessein) à une culture collective particulière, sans articuler cette définition par l'enracinement d'une relation à l'individualité de la culture qui distingue un individu d'un autre, signe de sa liberté. C'est une pensée organiciste et holiste. Ce qui n'est pas un gros mot conceptuel mais pose des difficultés insolubles à ton propos, voir plus bas.
BWT a écrit:Mais il arrive que les cultures se confrontent, et même si je ne crois pas du tout au prétendu choc des civilisation (ou plutôt, je n'y crois pas comme étant un phénomène naturel dans le monde moderne mais comme étant un phénomène largement sinon exclusivement orchestré par des gens qui y trouvent un intérêt) il arrive que des cultures s'entrechoquent. Et je prétends que les assimilationnistes n’ont pas un bagage d’us et coutumes assez dense pour contrer ce qui constitue la culture du marché, largement américaine : l’esprit de la France est mort depuis bien longtemps. Je prétends aussi que les communautaristes n’ont pas un bagage d’us et coutumes assez dense pour contrer cette même culture américaine.
Ce qui reste des uns et des autres, c’est un résidu, un dépôt culturel qui n’est que superficiel : les uns feront appel aux mânes de Barrès tout en mangeant McDo, les autres se réclameront d’une arabité ou d’une islamité qui ne se manifeste que par un sabir arabe de 100 mots…tout en mangeant McDo.
Tu ne distingues pas l'individu du collectif, le citoyen du Peuple, la culture individuelle de la culture collective, la culture des cultures singulières ou pour le dire plus techniquement, le processus d'intériorisation d'une source extérieure. De plus, si tu décris justement et très lucidement la situation des esprits sous l'emprise de l'américanisation du monde, tentés par un inopérant refuge identitaire, tu n'articules pas la thèse que tu laisses poindre en refusant de naturaliser la "confrontation des cultures". Or la confrontation des cultures (ou plus exactement la revendication identitaire) n'est pas liée à l'américanisation du monde, par principe, elle y préexiste.
- Qu'est-ce que la politique ? Un art architectonique qui structure les activités humaines.
- Que peut la politique ? Inventer des structures.
La politique d'intégration dans la communauté nationale de tous les individus qu'ils soient ou non nés Français, de parents français ou étrangers implique des structures publiques qui n'ont pas une vocation totalitaire. Car enfin, comment qualifier autrement une conception où la politique aurait un droit de regard sur tout. Comme le fait remarquer Aristote, est-ce à la politique de gouverner les dieux ?
On pourrait donc écrire que la politique c'est de l'art de structurer les activités d'hommes qui vivent ensemble sans se ressembler. Ergo, la politique repose sur le pari de la liberté. Si les sociétés produisaient une culture totale, il n'y aurait pas besoin de politique: chaque chose, chaque être humain serait naturellement à sa juste place. L'histoire de France a consisté à faire vivre ensemble des gens qui ne se ressemblaient pas: ils ne parlaient pas la même langue, se reconnaissaient dans des coutumes singulières et avaient à l'occasion une religion différente. Bref, ils n'étaient pas une nation parce qu'ils se reconnaissaient comme semblables, ils étaient une nation parce qu'ils étaient sujets du Roi. Le lien politique entre les hommes n'est pas d'abord un lien culturel, mais une relation à une souveraineté. C'est la souveraineté qui engendre l'État qui produit une homogénéisation structurelle, en inventant des structures politiques qui finissent par se confondre avec des structures sociales. Par extension, la relation politique si elle représente le pari de la liberté s'oppose au déterminisme qui assigne l'individu à ses origines. La République fait un autre pari, celui de la liberté mariée à la raison universelle.
Cette universalité de la raison permet la distinction entre les cultures et la culture. La raison ne se transmet pas, elle s'apprend, elle s'enseigne. Tu cites Péguy, Rabelais ou Barrès. Que permettent-ils sinon l'accès à l'universel ? Si tu n'avais pas lu, appris, compris et aimé Péguy ou Simone Weil, serais-tu la personne que tu es ? La personne que tu es grâce à la culture (en ce sens on parlera bien de culture générale en opposition aux cultures particularistes, liées à la tradition) affine ton sens critique et te conduit à interroger les préjugés. Il y a donc bien une différence essentielle entre la culture et les cultures.
Le rôle de l'activité politique n'est pas de transmettre des normes, des traditions, des valeurs comme autant de préjugés culturels, mais de créer des structures émancipatrices, sous condition de souveraineté, évidemment. On perd beaucoup de temps à parler de questions culturelles qui ne pourront être tranchées que si la France retrouve son indépendance, sa souveraineté. C'est un autre sujet dont on pourrait parler, mais contentons-nous de lier souveraineté et culture, culture dans le sens que rappelait Jacques Muglioni:
"Quand la sociologie n'avait pas encore décrété dans l'école l'interdiction de penser, on appelait culture cette distance favorisée par la lecture des plus grandes oeuvres et très propice à libérer le jugement. Le même mot sert aujourd'hui à désigner tout le contraire, à savoir l'adhésion non critique à la somme des préjugés entretenus par le milieu".