Shunt a écrit:silverwitch a écrit:Plus on en montre (de manière neutralisée, objectivée), moins on voit l'invisible, plus on est dans la bêtise au sens premier du mot.
C'est un peu excessif.
Oui, j'entendais le mot
bêtise dans un sens plus philosophique qui voit la réalité comme platement tautologique (cf Clément Rosset: l'idiotie du Réel).
Shunt a écrit: Il est effectivement question de regard et de distance. De la bonne distance en quelque sorte. Savoir jusqu'où incarner la violence.
Oui, une affaire de regard et de distance. Je partage ton point de vue.
Shunt a écrit:Cette distance n'a pas prémuni Kubrick d'être accusé de complaisance, notamment lors de la sortie d'"Orange Mécanique". Ses Droogs ont suscité les mêmes fantasmes chez certains spectateurs que les légionnaires romains d'Alex. "Orange Mécanique", par sa distance, apparaît pour beaucoup comme une satire, une farce (aspect sans doute accentué avec le temps par le "kitsch" seventies des décors et des costumes). On peut même le trouver drôle et "fun".
On voit toute la complexité de la représentation de la violence et de sa réception.
Exactement. Tu remarqueras que le film de Kubrick n'en était pas dupe, il montrait déjà cette ambiguité fondamentale (je pense à l'excitation d'Alex à l'écoute de la musique de Beethoven, par exemple). Pour l'exprimer autrement, il n'y a pas de recyclage cathartique de la violence par la culture (échec du traitement Ludovico).
On voit bien que la représentation de la violence ou du sexe n'est pas un spectacle comme les autres. Le plus problématique, c'est cette forme de banalisation qui tend à naturaliser la représentation de la violence. Une violence circulaire auto-produite qui ne regarde personne et que personne ne regarde, mais qui nous sidère, nous pétrifie (c'est la même chose qui force les automobilistes à ralentir pour regarder un accident, une pornographie du réel qui sature la conscience). La morale esthétique, c'est de renvoyer la violence à l'expérience du regard: la vision du spectateur, le regard du sujet qui l'éprouve, la vision de celui qui la commet. Tout le cinéma de Kubrick tourne autour de cette intuition, le renversement du regard,
au-delà de la vision, à l'infini et pour l'éternité: