Alzam a écrit:Un poil de victimisation... je te prends à partie, relis un peu ton entrée en matière pour relativiser.
Et deux pincées de lecture précipitée... Je n'ai pas dit que j'hésiterais à communiquer mes désaccors avec toi à l'avenir. Juste qu'avant de prendre pour argent comptant tes consignes de boycott, je ferais l'effort de voir par moi-même le film avant de me laisser piéger. C'était donc une critique de mon propre comportement, de l'auto-critique, tu connais ?
Faut pas me prendre pour un canard sauvage. Ton appréciation sur le film se résume en trois lignes, et c'est moins qu'il ne t'en faut pour vilipender
l'élitisme bobo auto-proclamé et son contexte (quatre lignes).
Je n'ai jamais dit que Argo était un grand film... J'ai juste émis l'idée honteuse qu'il ne méritait pas le boycott auquel tu entends le soumettre et qu'il y avait certaines choses intéressantes dans le propos qui y est tenu. Bon pour toi, c'était sans grand intérêt et sans doute ridicule, mais l'entrée en matière du film me paraît pour ma part courageuse et fortement explicite.
Ce n'est pas une entrée en matière, c'est un
prétexte. Quant à cette affaire de boycott, pardon mais c'est un peu fort de café: j'avais des bonnes raisons, personnelles pour le faire. Je n'empêche personne de voir ce film, je ne conseille à personne de le faire. Je ne me suis pas répandue en commentaires peu amènes. J'ai simplement dit que je refusais d'aller le voir, en reprenant les mêmes termes (boycott) que dans mon message précédent à propos du dernier film d'Olivier Assayas. Ce ne sont pas les films hollywoodiens ou français que je boycotte, ce sont les mauvais films, ceux qui me font perdre mon temps ou ceux qui veulent me faire avaler une propagande infecte. Et quand il s'agit de l'Iran, c'est vraiment trop fort de café.
*Je ne vois pas le rapport. Pour le coup, c'est toi qui est hors sujet. Quel rapport entre le blues du terroriste qui vient déposer sa bombe et la peur du citoyen lambda américain bloqué dans une Révolution dont la violence ne peut que l'effrayer. Comment peux-tu assimiler les deux ?
Le choix du point de vue est essentiel et il doit être discuté (contesté) par le spectateur dans sa logique arbitraire. C'est en plein dans le sujet, de savoir vers qui va notre compassion, pourquoi raconter telle histoire plutôt que telle autre, dans tel contexte plutôt que tel autre.
Je suis désolé,mais pour ma part je suis aussi concerné dans le film par le destin de ces six américains que je le suis par celui de cette iranienne qui ne dénonce pas pour sauver sa vie, ou celui de ce pauvre bougre dans le bazr ivre de douleur et de colère qui a perdu son fils et qui voue une rancoeur parfaitement humaine à ceux qu'il associe de façon compréhensible aux auteurs de sa tragédie.
Ta réponse n'est pas sérieuse. La construction du point de vue ne fonctionne pas de cette manière, tu te livres à une reconstruction abstraite. Au cinéma, comme dans toute forme de récit narratif, tout est affaire de
focalisation. Si le film présentait la scène sous l'angle du marchand du bazar, le point de vue serait en effet bien différent. Or, ce n'est pas la focalisation choisie par le film, ni dans l'espace, ni dans le temps. Pour le dire autrement, la focalisation, c'est l'intention perceptive de
l'énonciateur (le récit filmique).
Tu mets sur le même plan une justification verbale et une expérience perceptive qui contredit volontairement et violemment cette justification. Il s'agit pourtant d'un procédé classique employé par les schémas narratifs hollywoodiens (un personnage méchant, un
opposant y est souvent décrit comme une ancienne victime métamorphosée par une expérience traumatique). Reprenons cette séquence:
Une analyse sommaire contredit bien évidemment ton point de vue. Après un plan d'exposition à la
focalisation neutre (le guide qui les attend), on passe immédiatement à une focalisation très serrée (abus des gros plans sur les visages des personnages filmés par une caméra portée) quand arrivent les héros. S'ensuivent quelques plans dont la fonction est de montrer à la fois
la foule, compacte et homogène, potentiellement menaçante, comme l'exprime le raccord dans l'axe sur le personnage de Ben Affleck. Dès le début de cette séquence,
le spectateur a été plongé dans une atmosphère oppressante et de menace diffuse, confirmée après un peu plus d'une minute par le fait que les Américains sont suivis, espionnés et photographiés (L'Iran révolutionnaire est présenté pendant tout le film comme un État policier et militaire, au mépris de toute vérité historique), et la mise en scène adopte des plan moyens en alternance avec des plans subjectifs des personnages principaux (afin d'accentuer l'impression d'isolement et le sentiment de séparation éprouvé entre
nous et
eux). Avant l'incident, le montage est de plus en plus haché, les plans de plus en plus court, afin d'augmenter la tension (l'impression que quelque chose menace, sans savoir quoi), la foule est de plus en plus dense, les Américains se heurtent à des badauds, une femme est dévisagée par un Iranien (la mise en scène nous annonce classiquement ce qui va arriver au personnage clé de la séquence). Sans prévenir (c'est également important, le spectateur ne doit pas comprendre immédiatement l'élément déclencheur), l'incident se produit (un plan général et une focalisation serrée sur la jeune femme qui prend des photos), sous un angle de caméra bien spécifique,
la menace vient dans le dos de la jeune femme (elle est doublement innocente, elle ne comprend pas et ne peut voir). Ensuite la séquence alterne de manière attendue entre tous les éléments,
vus sous l'angle exclusif des Américains, témoins impuissants privés de la parole et de la maitrise du langage. On remarquera ironiquement que
le guide-interprète est présenté comme faible: il est confronté à des interlocuteurs nettement plus grands et visiblement plus forts, plus imposants que lui. Il ne peut représenter une protection pour les protagonistes, dont le personnage central est une femme, ce qui a un sens précis et une signification encore plus large:
c'est une femme faible et innocente, face à des hommes. Si j'étais plus brutale, j'ajouterais que pour les spectateurs, c'est une femme blanche entourée d'une foule d'hommes "bronzés" en colère.
De même, j'ai été pour ma part sensible aux messages de ces femmes voilées à l'égard de l'Amérique et du monde pour les prendre à témoin du fait que la puissance US est la vraie puissance terrorrisante du monde. C'est dit avec des mots simples, peut-être naïfs, mais c'est parfaitement porteur du désespoir de ce discours face à un adversaire puissant économiquement, militairement et médiatiquement. Ce peuple qui uni lutte pour sa révolution, les hommes, les vieux, les femmes, les enfants, personnellement j'ose y voir quelque chose de grand et de transcendant face à la barbarie occidentale, aux armées d'occupation et aux médias d'endoctrinement.
Mais j'ai dû être piégé servilement.
Voilà, tu as été piégé par un prétexte, et par ton appétit de comprendre, par ton humanité.
C'est réducteur... Le faible est faible tant qu'il n'ose pas briser les chaînes, les siennes et s'introduire dans le symbole d pouvoir qu'est l'ambassade. Les forts deviennent faibles quand ils sont noyés dans le nombre, dans la langue non parlée, dans la violence à l'abri de laquelle il se situaient derrière leur muraille d'impunité.
C'est tout le principe actif du film que de renverser sciemment le rapport de puissance et de domination. Après tout, un lapin peut bien tuer un chasseur.
Personnellement, je me réjouis quand je vois sauter ces verrous aussi bien matériels que psychologiques.
Après la lutte de ces quelques êtres, ce n'est plus l'Amérique contre l'Iran, c'est juste le trajet de quelques humains au milieu d'une cause qui les dépasse mais où leur vie se joue. QUand à l'affreux Ben Affleck, il ne prend pas la décision de les faire sortir pour glorifier l'Amérique et flétrir le vil Iran... Non, juste faire son boulot qui est d'exfiltrer les victimes de la politique de son pays.
Exactement comme Chuck Norris dans
Delta Force (déjà des Iraniens, d'ailleurs), ou n'importe quel autre film de mercenaires où des innocents sont pris en otage par un régime policier ou militaire. Un héros solitaire est envoyé dans une
mission impossible, et c'est l'autre preuve de son héroïsme qu'il soit empêché par une bureaucratie technocratique, voire abandonné à la fin par un pouvoir indigne. Rien de nouveau à ce schéma, c'est comme je l'écrivais plus haut celui du film de mercenaires.
L'originalité du récit, c'est un autre déplacement: les armes de guerre ne sont plus des armes automatiques mais des images, des films. Cette idée est développée en toute simplicité et dans toute sa puissance, les cibles ennemies ne sont plus subjuguées uniquement par la puissance de feu américaine mais dans leur imaginaire, piégés comme le spectateur par un double appétit de
divertissement (au sens péjoratif du terme, le film ne le cache pas puisque c'est proprement une série B kitsch qui sert d'appât) et un désir de
compréhension, où un récit nous propose de prendre le parti perceptif de victimes potentielles innocentes, en terre étrangère sous la menace de foules fanatiques et à la merci d'un pouvoir policier militarisé. Qui ne prendrait le parti de la veuve et de l'orphelin ? Qui ne voudrait défendre un enfant en danger ? Le parti de l'humanité, c'est le parti de l'Amérique.
Dois-je ajouter que le film se moque tellement d'être lu pour ce qu'il est qu'il en devient vertigineux ?
Les intérêts supérieurs de l'Amérique sont défendus par le cinéma hollywoodien, dont la force repose dans sa capacité à mettre en place des mécanismes perceptifs et narratifs dont la vocation est de subjuguer le spectateur, désormais désarmé. Tout cela le film le dit explicitement, et il le dit de manière d'autant moins inhibée qu'il repose tout entier sur le pari de l'identification, du transfert mimétique.
D'abord, le film américain est un navet terrifiant... Et le fait même que les américains bombardent ces pays de cette culture que tu identifies toi-même à la verroterie à destination des indiens ou qu'on pourrait élargir aux breloques déversées en Afrique pour se procurer des esclaves est à mon sens absolument pas dénué de sens. C'est d'ailleurs le douanier le plus circonspect vis à vis de l'Américain et des ses compagnons qui s'y laisse le moins prendre. Lui, c'est la signature d'un fonctionnaire ministériel et la vérification de l'existence même du film qui l'incite à finalement abandonner tout en restant fort suspicieux.
Un schéma narratif fonctionne sur plusieurs niveaux qui n'ont pas la même fonction. S'il y a un douanier/militaire pointilleux, sa fonction narrative est de prolonger la tension du récit, en ralentissant la perception du temps, tandis que les autres douaniers ont une fonction de
prescription, qui se lit elle-même à différents degrés: ils sont des adjuvants (ils aident l'accomplissement de la mission) bien involontaires sur le plan narratif et ils permettent également l'accomplissement du message du film, à savoir que le cinéma américain est
universel, il capture sans état d'âme. On pourra évidemment y voir un certain mépris pour les indigènes, puisque par le miracle de
la focalisation (le point de vue) qui est avant tout une relation de savoir, le spectateur sait lui que le film n'existe pas, et le film lui fait un clin d'oeil. Rien de plus
efficace que cette ironie contemporaine: le spectateur est pris en souriant avec une certaine commisération envers les pauvres ères qui s'y sont laissés prendre.
Le piège fonctionne d'autant mieux qu'à nous on ne la fait pas. Et pour ma part, même si tu persistes à montrer dans quel piège je suis tombé, pauvre de moi... pour ma part, j'ai eu la faiblesse d'espérer que les américains puissent partir et ne pas se faire plomber tout en m'inquiétant des douaniers qui les avaient laissé filer, surtout si on trouve à l'arrivée dans leurs mains ce qu'y ont laissé le fuyards.
Oui, en effet.
C'est bien le piège: un récit est une construction artificielle qui choisit un point de vue arbitraire. Tous les mauvais films trouvent le moyen de légitimer la compassion du spectateur pour un héros vengeur. Il est très intéressant que tu y ajoutes de la compassion pour les malheureux douaniers/militaires (le film ne tranche jamais, d'où un caractère indécidable), puisque cette compassion isole plus encore l'Iran révolutionnaire comme un territoire où tout est soumis à l'arbitraire du pouvoir. Le récit filmique te laisse imaginer à ton gré que les malheureux seront sévèrement punis, alors même qu'ils n'y sont pour pas grand chose. Punis pour avoir succombé à l'imagerie hollywoodienne ? Quoi de mieux pour dénoncer la barbarie.
Tu sais, si à la place des six pauvres bougres en fuite, tu avais mis des mecs qui ont balancé du stuxnet sur les centrales iraniennes, je me serais personnellement fortement réjoui que leur voyage se termine avant terme.
Je n'en doute pas. D'ailleurs, quand la femme/fille de Charles Bronson se fait sauvagement violer et torturer par des voyous, qui peut rester insensible à la colère et la haine du malheureux époux/père de famille ? Le problème, c'est le point de vue adopté sur une situation plus large.
Le rapprochement me parait déjà douteux. Pour le reste. Le film commence avec la prise d'otages, donc il est difficile d'avoir un jour sur les événements qui précèdent... bien que même si tu as préféré chastement tourner les yeux ailleurs, il y a eu beaucoup de choses de dites qu'on ne voit pas ailleurs et en particulier dans nos médias.
Bon la séquence d'introduction t'a paru lénifiante. Pour moi elle était éclairante et courageuse. Il n'y a qu'à voir ce que peut risquer un film américain aujourd'hui quand il se risque à jouer du patriotisme US.
J'ai peut-être l'esprit mal placé, peu importe. Oublions ce rapprochement. En revanche, je suis désolée d'insister, mais l'ouverture du film est au sens propre un
prétexte. Elle n'a rien à voir avec le récit filmique, rien à voir avec la narration.
C'est une manière piéger l'esprit pour mieux qu'il s'abandonne à une classique fable des mercenaires chez les bronzés en toute décontraction. On parle aussi de la Savak, de la torture sous le Shah, de la complicité américaine permanente et des buts de guerre US dans cette dictature. Oui effectivement, on ne montre pas la tentative de sauvetage avortée et qui fut une honte pour les Etats-Unis... ou presque. C'est parce que cette intervention doit avoir lieu que l'on demande à ton très honni Affleck (je suis pas fan de l'acteur, je le dis hein avant de ramasser un pruneau) de mettre un terme à son opération de sauvetage sans intérêt. Que valent six hommes aux yeux de l'Amérique face au risque d'être ridiculisés et à la difficulté de mettre en place l'opération qui devait permettre aux Américains e se reforger une fierté ?
Tu comprends donc parfaitement l'intérêt pour le film de fermer les yeux sur un fiasco et de mettre en avant la réussite d'une autre opération, d'autant plus exemplaire qu'elle est moderne.
Comme dans tous les films de mercenaire, l'honneur s'oppose à la raison d'État. Il n'y a nulle originalité dans ce traitement narratif, c'est au contraire un stéréotype du genre, nécessaire au schéma: il faut éprouver la solitude du héros, abandonné par sa patrie. Bon, évidemment, contrairement à la plupart des films de mercenaire (
"Les Chiens de Guerre" de John Irvin, par exemple pour prendre un bon film), l'opération réussit, et les mercenaires ne sont pas abandonnés à une mort certaine. Les temps ont changé, foin de radicalisme. Les innocents ont été sauvés, et c'est l'universel en nous qui peut s'en réjouir.
Non ce n'est pas un héros... C'est un raté, il n'a plus ni mariage, ni gamin, ni reconnaissance de ce qu'il peut accomplir. Il n'est guidé que par l'idée de sortir des personnes auprès desquelles il s'est engagé et qui ont fini par lui faire confiance. C'est une histoire d'êtres humains... certainement pas d'américains quand l'Amérique a déjà fait une croix sur eux. Ce n'est que quand leur histoire est terminée, les lauriers à ramasser, sans danger ni compromissions que cela a pu se faire... 18 ans après quand même et certainement pas sans arrière-pensés.
C'est exactement la figure du héros solitaire dont la vie privée est un échec et qui se trouve tout entier dans sa mission. Je devrais ajouter que c'est un cliché assez éculé, mais si tu veux, nous citerons quelques exemples.
Le film n'est pas sur la Révolution iranienne. Ni sur la prise de l'ambassade US. Il est bien sur le sauvetage un peu ubuesque de six personnes qui se sont perdues un peu n'importe où et n'importe comment et qui de ce fait ne pourront pas profiter de la protection de leur puissante tutelle. L'Amérique en a un peu rien à foutre de ces six-là. Elle part sur un plan foireux pour les faire libérer et abandonne le plan dès qu'elle a plus important en tête. Ils ne comptent plus pour rien, ils ne sont plus rien, ni plus personne, ni américains ni humains. Les Iraniens des salauds ? Parce que tu simplifies... Ceci dit, on est à l'ère des simplification.
Tu as tout dit, c'est vrai.
C'est une carte postale, où les Iraniens tiennent lieu d'Indiens. Ce seraient des Irakiens, des Afghans, que ça serait pareil. Alors évidemment ça relativise le vernis de bonne conscience. Mais quelle importance...
Quand on ne peux pas dire que Mandela était un terroriste... parce que en disant cela on légitimerait ceux sur lesquels on pose la même accusation en Palestine ou ailleurs. Non franchement, je ne vois pas d'iraniens salauds dans ce film. Je vois des fils de putes d'américains qui la main sur la panse se marrent de ce qu'ils font endurer à leurs pays satellites. Des connards d'Américains prêts à oublier que six personnes sont américaines mais prompts à tirer profit au final de l'issue heureuse de leur histoire. Je vois un peuple iranien qui a cru obtenir sa démocratie et qui l'a perdu deux fois du fait de la corruption de ses élites à la botte des puissances occidentales qui réitèrent le même schéma un peu partout sur la planète. Au final, 60 ans de dictature et de malheurs... Comment peut-on voir des salauds dans ce camp ?
Ce n'est pas du tout mon point de vue, mais ça tombe bien, il n'y a rien de tout cela dans le film.
Quant à l'adjuvant dont tu parles, la gouvernante, je pense qu'on ne peut remettre en cause ni sa nature iranienne, nis les traumatismes subis, la peur vécue dans cet enfer made in US et son héroisme humain. Elle n'a trahi personne, ni les siens, ni son humanité. Le traitement en est d'ailleurs juste sobre.
Le seul personnage iranien traité avec "sobriété", c'est donc quelqu'un (une femme, évidemment, cliché quand tu nous tiens) qui permet aux Américains d'échapper à un
enfer (sic). Et ça ne te pose aucun problème, pardon,
tu ne vois même pas le problème.