Alzam a écrit:Déjà, il n'a jamais été question de te baillonner ou de baillonner quiconque, puisque c'est là-dessus que tu reviens et Rainier en écho.
Et quand on nous explique il y a plusieurs mois comme plus récemment qu'on a plus envie de venir sur le sujet cinéma, juste parce que d'autres (nous en l'occurrence) y évoque quelques films, par la peur imaginaire d'une critique acerbe... On ne peut pas cohabiter?
Troisième aspect, parce que c'est là que le bât blesse... La critique autoproclamée supérieure, incontestable reposant sur une grille incontestable et incontournable qui fait les films ou les défait à l'encontre d'ailleurs d'autres critiques infatués d'eux mêmes et qui délivrent leur propre vérité.
Je ne suis pas sûr de tout avoir compris ce que tu voulais exprimer (donc développe, ou non, comme tu le souhaites ! )
Je ne crois pas comme Silver qu'il y ait une lecture, un credo et une approche des films... Une seule façon de les juger... Un chemin incontournable, un seul prisme, une théologie du cinéma. Je ne pense pas qu'on puisse en retirer l'effet "estomac/intestins" que vous persistez à exorciser. J'y vois personnellement un tout ! Un film parle à notre tête, à nos tripes, à notre âme et à notre coeur aussi. Et s'il s'arrête en cours de route, c'est qu'il ne remplit pas sa fonction de façon complète.
Il reste que parfois des films encensés par la critique contemporaine à ces films disparaissent dans les limbes de la mémoire du cinéma... (parfois cette mémoire choisit d'ailleurs des films que seul les spectateurs avaient soutenu, des succès en entrée...
La fille de Ryan que j'ai évoqué sur l'autre sujet pour parler justement de ce sur quoi nous sommes en train d'échanger, c'est un succès populaire, un échec critique... Mais curieusement, maintenant, en parler ici relève de l'élitisme... )
Et parfois (comme je l'ai sous-entendu dans la parenthèse précédente) des films rejetés par la critique (et par aussi le public ou non, le plus triste étant évidemment ces films qui ont eu le double rejet) se révèlent à la patine du temps comme des chefs d'oeuvre éternels.. (on pourrait en faire une liste longue)
La nullité de tel ou tel film, devenu ancien, encensé à l'époque du fait de l'air du temps, de la sociologie des critiques, elle se conteste difficilement.. C'est donc qu'il y a dans l'art une vérité.. Au delà du sentiment personne (Et que le travail critique n'est pas une simple affaire de faire de son sentiment un bon texte..)
Et que tout n'est pas équivalent, que tout ne se vaut pas.
Ou pour le dire différemment la chanson
Bibifoc ne vaut pas celles des Beatles, de Crosby Still Nash & Young, Rolling Stones, Leonard Cohen ou j'en passe..
Je ne crois pas à vrai dire que silverwitch ait jamais évoqué une grille de lecture, sinon que
- logiquement, pour que des éléments extrinsèques au film (extérieur au film : l'air du temps, des évènements personnels, la sociologie du spectateur, sa fatigue, sa forme, une allergie bien personnelle à tel ou tel thème) n'influent pas sur le regard, tout ce qui finalement va fausser la perception du film, elle essaie de s'en détacher.. Est-ce à dire qu'il n'y a aucune émotion qui traverse le spectateur devant les films qu'elle recommande.. Bien au contraire... D'ailleurs parfois c'est par l'émotion qu'on comprend qu'il y a à creuser sur un film, plus qu'on croyait... Mais justement, si l'émotion peut faire entendre, avant l'intelligence, un grand film, elle est faillible .. C'est pour ça que ces émotions, il fuat les creuser, pour finalement découvrir si c'est bien l'intelligence, l'original qui a été touché, ou bien l'éculé, le répété, le facile.. Et ne pas écarter un film pour lequel l'émotion fut rare, si elle a touché en premier l'intelligence..
- elle a défini dans une discussion d'il y a deux ou trois ans ce qui s'approche du chef d'oeuvre (sans forcément l'être), ce qu'on nomme un bon film... et il n'y a rien d'illogique à chaque critère qu'elle a énoncé, il suffit de se demander soi-même qu'est-ce que finalement un chef d'oeuvre et comment l'approcher:
- un bon film est édifiant (c'est à dire qu'il enseigne sur nous-mêmes les hommes)
- un bon film est pertinent (ce qu'il nous enseigne est juste, vrai... par exemple il ne vaut mieux pas qu'il fasse l'apologie du mal)
- un bon film est original (il dit quelque chose qui n'a jamais été dit, ou bien si c'est une redite, il le dit mieux que cela ne fut jamais dit)
- un bon film est cohérent (sa forme, qui est souvent une part du "mieux" en question évoqué précédemment est aussi singulière que ce qu'il enseigne.. la forme, les choix artistiques sont au service de ce qu'il enseigne en la rendant plus intelligible.. parce qu'un bon enseignement d'un film qui ne serait finalement qu'un reportage, c'est une leçon de vie, il n'y a pas l'apport du cinéma, l'apport de l'art, de l'imaginaire, qui nous apprend mieux que la vie [les histoires aux enfants, les contes, la tradition orale enseignent souvent mieux que l'expérience])
Et un chef d'oeuvre dans tout ça qu'est-ce que c'est .. c'est une multitude de choses en plus et en même temps cela peut se définir en quelques mots qui approchent cet ineffable.. Dans un chef d'oeuvre il y a une grâce, inexplicable, ineffable.. Un chef d'oeuvre, c'est une épiphanie (pas forcément au sens religieux, mais au sens religieux aussi parfois).. Si une fois, on a touché cette épiphanie, cet indicible perception d'être confronté à un chef d'oeuvre, cette grace indescriptible dans l'oeuvre, qui est en sus de toutes les qualités précédentes.. Alors cette épiphanie par la suite se reconnait plus aisément, comme si ce premier regard sur le génie d'un homme avait offert le don de voir au delà de l'horizon qui était le notre jusque là..
C'est pourquoi un chef d'oeuvre n'est pas un simple "bon moment", un simple "[incroyablement] excellent moment".. C'est quelque chose d'exceptionnel c'est une transformation en soi-même...
C'est une sidération absolue, quelque chose capable de mettre un homme à genou .. quelque chose capable je crois de faire perdre le sens commun, de faire devenir fou...
Le vivre c'est alors mieux comprendre les mots de Stendhal à Florence (ceux qui donnèrent dénomination aux syndrômes de Stendhal et du voyageur, qui touchent par an quelques âmes au Louvre, à Paris, à Venise, à Florence etc..):
Enfin, je suis arrivé à Santa Croce. Là, à droite de la porte, est le tombeau de Michel-Ange; plus loin, voilà le tombeau d'Alfieri, par Canova : je reconnais cette grande figure de l'Italie. J'aperçois ensuite le tombeau de Machiavel ; et, vis-à-vis de Michel-Ange, repose Galilée. Quels hommes ! Et la Toscane pourrait y joindre le Dante, Boccace et Pétrarque. Quelle étonnante réunion ! Mon émotion est si profonde qu'elle va presque jusqu'à la piété. Le sombre religieux de cette église, son toit en simple charpente, sa façade non terminée, tout cela parle vivement à mon âme. Ah ! si je pouvais oublier... ! Un moine s'est approché de moi ; au lieu de la répugnance allant presque jusqu'à l'horreur physique, je me suis trouvé comme de l'amitié pour lui. [...] Je l'ai prié de me faire ouvrir la chapelle à l'angle nord-est, où sont les fresques du Volterrano. Il m'y conduit et me laisse seul. Là, assis sur le marchepied d'un prie-Dieu, la tête renversée et appuyée sur le pupitre, pour pouvoir regarder au plafond, les Sibylles du Volterrano m'ont donné peut-être le plus vif plaisir que la peinture m'ait jamais fait. J'étais déjà dans une sorte d'extase, par l'idée d'être à Florence, et le voisinage des grands hommes dont je venais de voir les tombeaux. Absorbé dans la contemplation de la beauté sublime, je la voyais de près, je la touchais pour ainsi dire. J'étais arrivé à ce point d'émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les beaux-arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j'avais un battement de cœur, ce qu'on appelle des nerfs à Berlin ; la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber. Je me suis assis sur l'un des bancs de la place de Santa Croce ; j'ai relu avec délices ces vers de Foscolo, que j'avais dans mon portefeuille ; je n'en voyais pas les défauts : j'avais besoin de la voix d'un ami partageant mon émotion [... suivent les vers 154 à 197 en italien,
d'un poème extrêmement emporté de lyrisme de son contemporain et ami Foscolo sur les tombes, les sépultures, leur sens, leur rites, en évoquant la Grèce antique la supériorité de la poésie finalement sur les tombes dans la préservation de la mémoire, et dans le passage cité par Stendhal justement une description de ce panthéon italien de l'Eglise Santa Croce de Florence pour signifier le sens privé et public de la mort... Ugo Foscolo fait donc la même visite en quelque sorte que celle dont sort Stendhal.. Stendhal dont on pourrait penser rationnellement qu'il devrait s'épargner de revivre ou prolonger le vertige qu'il vient de ressentir, le recherche tout au contraire à ne pas l'interrompre, tant l'expérience est singulière ]
Et justement (et je ne pensais pas faire ainsi cette transition involontaire!), cette épiphanie, cette transformation, ce sont des moments que l'on recherche...
Ce qui est vu comme de l'ostracisme, du mépris, je ne sais quelle prétention, c'est au contraire une recherche une soif permanente de retrouver au plus vite le même sentiment... Comme une possession, comme un ensorcellement...
Alors choisir 5/10/15 films plutôt que d'autres, écarter par avance tel auteur qui ne nous a jamais semblé à la hauteur de produire ce quelque chose de l'éternel*, ça n'est pas dire que ces autres films ne méritent pas d'être évoqué, partager, discuté.. mais c'est choisir dans le peu de temps qui est offert ce qui est doué de ce pouvoir au dépends de ce qui ne l'est pas, ce qui nous change au dépends de ce qui ne nous change pas...
Ca n'est pas mépriser, en aucun cas, le bon moment que tel ou tel a pu vivre devant tel ou tel film (et moi aussi** parfois, mais le bon moment ça n'est pas ce que je poursuis)
Je n'ai aucun doute que ce que j'exprime là est grandiloquent, pontifiant, asséné (au sens le plus péjoratif du terme).. allumé, illuminé...
Et pourtant, c'est vraiment le plus profondément sincère, ce qui peut décrire le mieux ce sentiment épiphanique, qui naît de qualité objectives, que je souhaite de vivre à tout un chacun au moins une fois (je me dis souvent que j'aurais pu passer à côté de tout ça si facilement..)
Hugues
*: parfois par grandeur d'âme, on lui laisse une autre chance [ce que j'ai encore fait cette année un bon nombre de fois, afin de ne pas rester sur les a priori qui nous sont reprochés] et il reste en deça de la confiance qu'on lui a offerte...
**: lors de ces autres chances évoquées dans l'astérisque précédente)