(bon comme ce message a été commencé tôt dans la journée et pour quelques contretemps arrive bien tard, il ne sera plus du tout en phase avec l'avancée de la discussion mais tant pis)
Shunt a écrit:silverwitch a écrit:Ce n'est pas ce dont parle le film, à moins de confondre ce qui est montré et ce qui est représenté.
J'ai compris aussi que ce film était plus ou moins autobiographique, mais il y a vraiment plusieurs choses qui m'ont rebuté. Certes la perte du job ébranle le système de valeurs du père (tout comme la mort du frère plus tard ébranlera la foi religieuse de la mère), mais l'autocritique formulée dans le dialogue père/fils me paraît un peu trop forcée pour être honnête (d'ailleurs ce dialogue entre le père et le fils a-t-il vraiment eu lieu, ou ce mea-culpa est-il imaginaire, comme un dialogue a posteriori, rêvé par le personnage de Sean Penn, pour relativiser, justifier et pardonner la violence physique et morale du père).
Ce film démontre clairement l'aversion que Malick nourrit pour la "modernité", qu'il illustre et résume de façon totalement simpliste. En soi, ce n'est pas un problème sauf qu'il ne nous dit finalement rien sur cette modernité. Elle n'est abordée qu'en creux, par un jeu d'opposition un peu facile (alors que les "Moissons du Ciel" dépeignaient avec acuité l'entrée des Etats-Unis dans l'ère moderne et ce que cela signifiait).
Finalement, pour Malick, la modernité, c'est la fin du rêve, de la transcendance, une impasse historique - pour ne pas dire anthropologique - en quelque sorte. Mais il n'y a d'autre moyen de dépasser cette modernité qu'en revenant à la source. Le salut de notre âme et de nos vies se trouve dans notre rétroviseur. Regardez nos parents ! Ils étaient peut-être bigots, rigides et limite psychotiques, mais au moins ils nourrissaient de grands rêves, ce qui les connectaient à l'Eternel. Retrouvons nos rêves, notre naïveté enfantine et nous réenchanterons ce monde laid et froid... c'est en celà que je trouve "the Tree of Life" réactionnaire. Si on ajoute à cela, les images de la fin du monde placées à la fin du film, on frôle le discours sectaire apocalyptico-new age : puisque notre monde physique est voué irrémédiablement à disparaître, notre salut ne passe que par la transcendance spirituelle, le dialogue intime avec Dieu et l'Eternel.
C'est vrai que le style de Malick a évolué vers une forme plus floue, peut-être trop large, et qui excède le plan ou même la séquence. Cependant, les éléments (l'eau, l'air, la terre, le feu, l'herbe, le ciel) étaient déjà au centre de son premier film.
Je ne sais pas si le montage de son dernier film est aussi elliptique que celui de "Tree of Life" qui était particulièrement pénible. Certes, dans "Tree of Life", il s'agit d'une rêverie mais je comprends tout à fait sccc quand il dit qu'il a le sentiment de se fader une longue bande-annonce. Ces ellipses continuelles renforcent l'aspect déjà déstructuré du récit, au risque de perdre tout le monde en route. Ce qui est finalement le plus inquiétant chez Malick, c'est qu'il semble avoir totalement perdu de vue le spectateur.
D'abord Shunt, je dois te remercier, c'est l'amabilité avec laquelle tu as répondu, tu n'étais pas obligé et c'est méritoire de ta part.
Mais enfin, tu te fourvoies quand même en t'acharnant à y voir, et liens du sang, et un discours sur la modernité...
Comme disait silverwitch au printemps dernier
Il faudrait commencer par avoir une bonne lecture du film.
(La pique gratuite c'est fait
)
Et ta lecture, elle nait peut-être de ce que tu écris au départ ..
"en apprenant la mort de sa mère"
Non, tout est dès le départ autour du frère... D'un deuil qui ne se fait pas durant 20 ou 30 ans, dont on célèbre l'anniversaire d'année en année. Un deuil qui pourrit la vie... Qu'on a même essayé de dissoudre en multipliant les relations amoureuses.
Le sujet de l'appel au père au début du film, c'est cela. "I think about him every day"
C'est aussi des excuses qui révèlent des relations toujours conflictuelles avec son père, "visiblement au sujet du frère ou de la mère..
Le sujet du film n'est pas restreint aux liens du sang .. Il s'agit du deuil d'un être aimé en général (que tu reproches le fait qu'il retrouve l'être aimé, et que tu associes celà aux liens du sang, est donc un peu absurde.. d'ailleurs, bien d'autres visages familiers sont là, comme celui de l'enfant brûlé)
Un deuil d'autant plus fort qu'il y a une culpabilité d'avoir survécu ...
Pour faire une parenthèse, parce que finalement nous n'avons pas à le savoir, dans le script, Jack dit de R.L. qu'il était
"the true artist", on nous décrit une maison où le père refuse qu'on touche, qu'on bouge la guitare du fils (on la voit dans le film cette maison qui s'est arrêtée dans le temps, où les pinceaux comme la guitare n'ont pas bougé)
"Speak! Let me hear - see! Let it not have been in vain ! Sing with me -- through me -- you, the true artist -- lend me your strength"Remarque finalement assez étrange de la part d'un simple architecte d'habitation de se considérer implicitement de la fratrie le faux artiste, l'artiste par défaut et surtout comme artiste tout court.
C'est que ces mots prêtés à Jack, ce sont en fait sans nul doute les propres mots de Malick, des mots qui l'ont hanté, lui le journaliste et enseignant en philosophie du MIT qui en soudainement quelques mois, abandonna tout pour apprendre le métier de cinéaste, dans l'année qui suivit le suicide de son frère Lawrence R. Malick, guitariste qui dans un accident avait perdu le plein usage de ses mains ...
Le message du film c'est celui d'un chemin de deuil.. Le cheminement de l'âme vers la paix face à la finitude en laquelle est est jetée, face à la mort... Comme le sont tous les films de la deuxième période de l'oeuvre..
To the Wonder est aussi après tout pour une part le chemin de deuil d'un amour fusionnel, celui de Marina (et de l'autre un chemin à travers une crise de foi, celui de Quintana)
Et ce cheminement, cette résolution l'est toujours en retrouvant ce qui est le thème de toute l'oeuvre, l'éternel toujours présent en notre existence.. La beauté que nous ne savons plus voir, celle de ce Monde qui nous a été offert. Ce Monde qu'il faut prendre pour ce qu'il nous a offert, et plus encore pour l'offrande qu'il est lui même et non pour ce qu'il nous enlève..
L'éternel qui, sans protéger du malheur, permet d'échapper au désespoir.
Dans
To the Wonder, c'est dans les deux cas, ce plus grand amour, qui sauve, ces amours bien différentes qui se transforment en acceptant l'éternité en leur sein, quelque sorte en un même amour.
Et ce qui est finalement extraordinaire, à mes yeux, c'est que c'est finalement des deux épiphanies celle qui concerne l'homme de foi, celui censé être le plus éloigné de moi, qui parvient à toucher plus encore, parce qu'elle semble en dire plus encore sur les Hommes, peut-être parce qu'il y a quelque chose d'ineffable en elle qui à mes yeux n'élude pas la gratuité absolue de celle-ci.. Ce fait qu'elle peut être sans retour, sans objet... Ce devoir d'aimer pour ce qui a été donné, au delà du doute, quel qu'en soit l'absurdité (la phrase vaut aussi pour Marina)*
Ce que nous dit Malick dans ce prochain film, à la fois il ne nous l'a jamais dit auparavant.. Et pourtant dans le même temps, on découvre qu'il n'a cessé de nous le dire, parce que soudainement les autres films éclairent d'une lumière différente, parce que tout y était déjà dit sans que nous ne l'entendions.
Pour finir, ce que tu perçois peut-être comme une critique de la modernité, ça n'est pas à l'homme moderne qu'il est reproché, ça n'est même pas un reproche.. C'est la nature même, l'état même de l'Homme, plongé dans la quotidienneté, qui ne sait pas voir l'éternel en chaque instant, qui ne sait plus l'entendre.
Enfin sur la forme, silverwitch t'a entre temps mieux répondu que moi. Mais je dirais que ça n'est en rien une misanthropie, un repli sur soi.. Au contraire une formidable confiance dans ses semblables, comme l'écrivait Dylan Cave du BFi pour le classement 2011 de Sight and Sound : "The whispered dialogue and ponderous questions may have felt like Malick clichés but the film’s audacity, scale of ambition and faith in audiences impressed."
Confiance de se livrer à nu, que le spectateur saura, dans toute la sincérité qui y est mise, sans plus de concession avec les nécessités commerciales** , voir ce qu'il y a à y voir.. Comprendre ce qu'il y a à y comprendre... Ecouter ce qu'il y a à écouter.
Hugues
*: et même finalement à tout bien considérer pour Jack, et pour Rebecca...
**: qui pesaient encore, à l'aulne des derniers films, quoi qu'on en dise, aussi sur
La Ligne Rouge et
Le Nouveau Monde (alors qu'ils sont vus pourtant souvent comme sans concession et totalement malickiens)