La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede RIPUS le 13 Mar 2012, 20:53

Ambrose a écrit:C'est un film que j'adore Runaway Train. J'ai usé ma VHS jusqu'à la corde et ça fait une éternité que je ne l'ai pas revu. Je me demande s'il a été édité en DVD.


http://www.amazon.com/Runaway-Train-Jon ... 0792838424

:wink:
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede sccc le 13 Mar 2012, 21:20

Hugues a écrit:
sccc a écrit:Si Brigitte bardot et Sean Connery avaient joué dans ce western, je pense que je m'en souviendrais.



Il n'y a aucune des scènes que j'ai décrites dans ce film.

A se demander si tu m'as lu. :0:

Recalé. saoul:


sccc tu es bien gentil, mais j'ai passé un temps que tu n'imagines pas à rechercher quel pouvait être le film que tu décrivais et à vérifier qu'il correspondait bien

Par exemple La scène du chien égorgé (assez singulière dans un western) y est, qui provoque la sortie d'un de ceux réfugiés de la cabane et le fait qu'il soit abattu d'une flèche dans le torse
Ainsi que la scène de la flèche dans la cuisse.

Autant dire que, la pique un peu gratuite que tu fais comme seul réponse est quelque peu blessante.

A toi de peut-être reconsidérer ton jugement assez lapidaire ...
Ca n'est peut-être pas ton film. Mais c'est le plus semblable que j'ai pu trouver selon les scènes que tu as décrites.

Hugues


Hugues,

De 1 je ne pense pas que tu aies des raisons de prendre la pique de cette manière (et si j'ai pu être blessant c'était alors involontaire, j'ai plutôt voulu être moqueur).

De deux, il n'y a pas de cabane ou de ranch dans une vallée entouré de collines dans lequel un apache (je dis bien un seul) cherche à faire la peau des occupants. Même la scène du chien n'a rien à voir en dehors du fait que le chien se fait zigouiller: je vois un convoi de caravanes dans un endroit plutôt aride et des ruines d'habitation et surtout une attaque de nombreux indiens. La flèche dans la cuisse, c'est pas dans un combat entre indiens et occupants d'un convoi mais entre un indien et deux blancs qui ont décidé de ne plus se terrer dans la cabane mais de débusquer l'ennemi dans les collines. L'indien est embusqué dans un buisson et tire sa flèche au passage de l'un deux qui ne l'a pas vu.

Bref, je dis merci pour ta tentative honorable mais ce n'est pas le bon film. :o

PS: en y repensant, le chien est lâché par son propriétaire (un vieux trappeur) dans la nuit pour attaquer l'indien qui rôde, ce dernier le zigouille et le vieux, fou de rage, part dans la nuit pour se venger; il prends une balle ou une flèche je ne sais pus dans le...visage. Quelques détails reviennent. :D
Dernière édition par sccc le 13 Mar 2012, 21:41, édité 1 fois.
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Messagede Cortese le 13 Mar 2012, 21:27

De toute façon il est impossible que Brigitte Bardot ait joué dans un film où des indigènes assassinent un chien.
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede sccc le 13 Mar 2012, 21:28

Neoflo a écrit:Sccc, possible que ce soit cela ?

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Je vais regarder mais à priori non.

Le thème du film est plutôt celui de Cry blood apache, c'est -à-dire un duel un (l'apache) contre plusieurs blancs. Pas de tribu, pas de cavalerie.
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede sccc le 13 Mar 2012, 21:29

Cortese a écrit:De toute façon il est impossible que Brigitte Bardot ait joué dans un film où des indigènes assassinent un chien.


:10: :good
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede metomoll le 13 Mar 2012, 22:48

Ambrose a écrit:C'est un film que j'adore Runaway Train. J'ai usé ma VHS jusqu'à la corde et ça fait une éternité que je ne l'ai pas revu. Je me demande s'il a été édité en DVD.


Tu oublies un détail important : c'est aussi et surtout la première apparition au cinéma du futur Machete, dans le rôle du boxeur face à Eric Roberts :D

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Messagede Madcad le 13 Mar 2012, 23:44

sccc a écrit:
Neoflo a écrit:Sccc, possible que ce soit cela ?

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Je vais regarder mais à priori non.

Le thème du film est plutôt celui de Cry blood apache, c'est -à-dire un duel un (l'apache) contre plusieurs blancs. Pas de tribu, pas de cavalerie.

Et Chato's land ?
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Ambrose le 13 Mar 2012, 23:46

metomoll a écrit:
Ambrose a écrit:C'est un film que j'adore Runaway Train. J'ai usé ma VHS jusqu'à la corde et ça fait une éternité que je ne l'ai pas revu. Je me demande s'il a été édité en DVD.


Tu oublies un détail important : c'est aussi et surtout la première apparition au cinéma du futur Machete, dans le rôle du boxeur face à Eric Roberts :D

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Ah oui, tiens, je me souvenais plus. :good
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Messagede Silverwitch le 14 Mar 2012, 18:12

Shunt a écrit:La justice peut rester un désir, un idéal, un rêve, une ambition, face à une réalité injuste. La figure du justicier solitaire incarne en général ce désir.


Certainement. On peut aussi penser que si nous sommes capables du pire, nous pouvons aussi faire preuve d'abnégation comme de compassion. J'ai tendance à m'intéresser à des personnages complexes plus qu'à des ectoplasmes.







La vie telle qu'elle est et telle qu'elle devrait être. J'oubliai d'ailleurs, quand nous parlions des personnages féminins:


Frontière Chinoise, John Ford

Il y a plus de quarante-cinq ans, c'est Ford qui dans son dernier film offre un vrai rôle de héros-justicier à une femme, Anne Bancroft. Quel rôle ! Quel film !


Le point de vue - et c'est assez clairement souligné - est plus ou moins celui que porte le héros sur lui même, parfois dans tout son infantilisme et son narcissisme. Ces 3 scènes sont à mon avis les plus explicites.


À comparer avec la manière dont Kubrick représente son personnage principal dans Orange Mécanique:



Ou pour voir la différence entre une esthétique de la naïveté (qui n'exclue en rien l'humanité, la complexité) et une esthétique infantilisante:



Henry Fonda, c'est quand même autre chose que Ryan Gosling !


Je pense que le héros de "Drive" est aussi un miroir qui nous est ironiquement tendu.


Je ne vois pas l'ironie.


Je ne dis pas pas le contraire, encore que j'ai des souvenirs très très lointains de "Runaway Train" que j'ai du voir il y a une bonne vingtaine d'années. Je me pose juste la question de la pertinence de ce mode de représentation pour "connaître le monde", fonction que l'on assigne au cinéma. Parce que le cinéma déforme aussi parfois notre rapport au monde sensible, au réel, conditionne et influence nos modes de représentations. La fiction a toujours eu un rôle structurant dans les sociétés humaines, mais avec le développement des mass médias - comme le cinéma - la fiction a pris une dimension encore supérieure, elle imprègne encore davantage nos vies, au point que la frontière entre fiction et monde réel devient de plus en plus floue (il suffit de voir l'actuelle campagne présidentielle qui s'écrit en "séquence", comme une fiction" ).


:o

C'est un questionnement passionnant. Le cinéma est une représentation ordonnée et idéalisée du monde, à fin de connaissance. C'est en quelque sorte un miroir du monde. Je m'explique. Ce que le cinéma représente n'est pas la réalité, pas plus qu'un tableau ne se confond avec ce qu'il montre. Un film c'est une représentation idéalisée du monde, et cette représentation Platon la qualifie (République VII, 533d) ainsi: le regard de l'âme. Le regard du spectateur est lié à l'oeuvre, l'oeil est une fenêtre par laquelle notre âme peut voyager (c'est-à-dire sortir de notre corps); le film est un miroir qui reflète ce que seul l'âme peut voir.

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Ou:

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Ce que l'on voit, c'est ce qui n'est pas visible dans le réel, qui en fait partie, mais sans s'y réduire. Le cinéma (comme tous les arts de la représentation) a pour fonction d'éclairer la réalité avec le regard d'une âme pour révéler le fond de la réalité. On peut donc ainsi résumer la quête du film et de son spectateur: pour approcher l'essence de la réalité, il faut regarder une lumière différente de la lumière de la réalité. Un oeil, c'est comme un miroir, et l'oeuvre d'art est bien un miroir du monde visible et invisible. L'oeil comme le miroir réfléchissent et un miroir aussi petit soit-il peut contenir l'image de toute une montagne, de tout un monde.

Je m'interroge donc sur la façon la plus pertinente de représenter la violence... en surlignant le conflit intérieur, le dilemme, la tragédie, choisissons nous vraiment le bon prisme ? La violence justement n'échappe-t-elle pas parfois, et même très souvent, à tout dilemme, tout tiraillement, toute introspection... c'est d'ailleurs ce qui la rend effrayante, imprévisible et incontrôlable. A trop vouloir éclairer cette part d'ombre, est-ce qu'on ne se fourvoie pas sur son essence même ?


Il y a autant de regards sur la violence que de grandes oeuvres qui s'y confrontent. Le tout est de ne pas confondre, la vue et le regard. Je pourrais donner une réponse, mais cette réponse ne vaudrait que pour moi. L'important n'est pas de savoir seulement ce que l'on montre, si l'on plonge dans le conflit intérieur ou si l'on reste extérieur à une violence banalisée. Tout dépend du regard porté sur ce que l'on montre. J'ajouterais bien qu'il faut peut-être accepter que la violence échappe à la figuration, elle tient de Méduse: elle fige dans la stupeur. Je crois donc qu'il ne faut pas objectiver la violence, mais lui opposer un regard indirect, subjectif, détourné, comme Persée et son bouclier. La violence et le sexe sont des astres trop lumineux, comme le soleil on ne peut les regarder en face sans s'y brûler les yeux.

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Messagede Cortese le 14 Mar 2012, 19:20

silverwitch a écrit:




Je dis suffisamment de mal des histoires d'amour en général pour ne pas souligner à quel point j'avais été bouleversé par cette scène où, en prenant le spectateur par surprise, John Wayne le super-gros-dur invincible, sorte d'Achille du Far-West, s'effondre psychologiquement et tente de se suicider en mettant le feu à sa chambre nuptiale (qu'on l'avait vu préparer avec flegme au début du film) lorsqu'il se rend compte qu'il a perdu la femme qu'il aime au profit du faible et innocent (mais héroïque) James Stewart, qui sans lui se serait fait massacrer une deuxième et définitive fois par Liberty Valance, sorte d'incarnation de la toute-puissance du mal.
On se demande si John Ford dénonce la disparition du monde de la "virtù" triomphante ou s'il exalte la civilisation, la loi et l'émancipation féminine. Le ramollissement quoi.
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Messagede sccc le 14 Mar 2012, 20:34

Madcad a écrit:Et Chato's land ?


Non, c'est pas ça non plus.
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Cortese le 15 Mar 2012, 10:32

Cortese a écrit:
silverwitch a écrit:




Je dis suffisamment de mal des histoires d'amour en général pour ne pas souligner à quel point j'avais été bouleversé par cette scène où, en prenant le spectateur par surprise, John Wayne le super-gros-dur invincible, sorte d'Achille du Far-West, s'effondre psychologiquement et tente de se suicider en mettant le feu à sa chambre nuptiale (qu'on l'avait vu préparer avec flegme au début du film) lorsqu'il se rend compte qu'il a perdu la femme qu'il aime au profit du faible et innocent (mais héroïque) James Stewart, qui sans lui se serait fait massacrer une deuxième et définitive fois par Liberty Valance, sorte d'incarnation de la toute-puissance du mal.
On se demande si John Ford dénonce la disparition du monde de la "virtù" triomphante ou s'il exalte la civilisation, la loi et l'émancipation féminine. Le ramollissement quoi.


Mais on pourrait très bien se dire que sa crise de dépression n'est pas due tant à la perte de la gonzesse (un dur à cuire comme ça ça ne doit pas être si impressionnable) qu'au fait qu'il se comporte lui-même de manière déshonorante. Car dans le duel au pistolet, c'est Liberty qui se comporte de manière loyale : connaissant sa supériorité de pistolero sur un blanc-bec efféminé (pendant le duel Stewart porte quand même son tablier de cuisinière de laveur de vaisselle !), il tire une première fois sur une lanterne à côté de la tête de Stewart, puis voyant celui-ci persister, tire sur le bras portant le pistolet, et enfin voyant Stewart ramasser le pistolet de la main gauche et se préparer encore à lui tirer dessus, se décide à l'abattre. C'est à ce moment, que Doniphon-Wayne, hors de vue, viole la seule vraie loi de l'Ouest en abattant en traître Lee Marvin-Liberty. Alors, on se moque de qui quand on nous dit dans le film que Doniphon meurt anonymement en laissant généreusement la gloire d'avoir vaincu Valance à Stewart ? On avait bien sur intérêt à dissimuler l'acte honteux de Doniphon ! A deux contre un et en tirant littéralement dans le dos d'un adversaire qui s'était comporté d'une manière parfaitement loyale, c'est sur qu'on n'avait pas intérêt à imprimer une "légende" aussi lamentable !
Enfin, je m'étonne de ne voir aucun psychanalyste amateur relever le nom caricaturalement symbolique du "méchant" : Liberty Valance ! Connaissant la proximité phonétique du "v" et du "b", John Wayne-Doniphon a abattu en traître "l'équilibre de la Liberté" ! Pas étonnant qu'il soit allé directement tenter de se suicider après !
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Silverwitch le 15 Mar 2012, 17:04

Cortese a écrit:
Cortese a écrit:

Je dis suffisamment de mal des histoires d'amour en général pour ne pas souligner à quel point j'avais été bouleversé par cette scène où, en prenant le spectateur par surprise, John Wayne le super-gros-dur invincible, sorte d'Achille du Far-West, s'effondre psychologiquement et tente de se suicider en mettant le feu à sa chambre nuptiale (qu'on l'avait vu préparer avec flegme au début du film) lorsqu'il se rend compte qu'il a perdu la femme qu'il aime au profit du faible et innocent (mais héroïque) James Stewart, qui sans lui se serait fait massacrer une deuxième et définitive fois par Liberty Valance, sorte d'incarnation de la toute-puissance du mal.
On se demande si John Ford dénonce la disparition du monde de la "virtù" triomphante ou s'il exalte la civilisation, la loi et l'émancipation féminine. Le ramollissement quoi.


Mais on pourrait très bien se dire que sa crise de dépression n'est pas due tant à la perte de la gonzesse (un dur à cuire comme ça ça ne doit pas être si impressionnable) qu'au fait qu'il se comporte lui-même de manière déshonorante. Car dans le duel au pistolet, c'est Liberty qui se comporte de manière loyale : connaissant sa supériorité de pistolero sur un blanc-bec efféminé (pendant le duel Stewart porte quand même son tablier de cuisinière de laveur de vaisselle !), il tire une première fois sur une lanterne à côté de la tête de Stewart, puis voyant celui-ci persister, tire sur le bras portant le pistolet, et enfin voyant Stewart ramasser le pistolet de la main gauche et se préparer encore à lui tirer dessus, se décide à l'abattre. C'est à ce moment, que Doniphon-Wayne, hors de vue, viole la seule vraie loi de l'Ouest en abattant en traître Lee Marvin-Liberty. Alors, on se moque de qui quand on nous dit dans le film que Doniphon meurt anonymement en laissant généreusement la gloire d'avoir vaincu Valance à Stewart ? On avait bien sur intérêt à dissimuler l'acte honteux de Doniphon ! A deux contre un et en tirant littéralement dans le dos d'un adversaire qui s'était comporté d'une manière parfaitement loyale, c'est sur qu'on n'avait pas intérêt à imprimer une "légende" aussi lamentable !
Enfin, je m'étonne de ne voir aucun psychanalyste amateur relever le nom caricaturalement symbolique du "méchant" : Liberty Valance ! Connaissant la proximité phonétique du "v" et du "b", John Wayne-Doniphon a abattu en traître "l'équilibre de la Liberté" ! Pas étonnant qu'il soit allé directement tenter de se suicider après !


:D

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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Waddle le 15 Mar 2012, 17:34

Vous donnez envie d'aimer le cinéma!
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Cortese le 15 Mar 2012, 17:41

Waddle a écrit:Vous donnez envie d'aimer le cinéma!


Ah si c'est pour parler de John Ford je risque d'être intarissable ! Par contre je ne connaissais pas le dernier film de Ford, "7 Women" que je suis content de découvrir grace à silverwitch. Je trouve les couleurs dans ce film (sans doute un peu "passées" dans cet extrait) remarquables. La lumière de la salle où sont regroupées les femmes et la composition font penser à un tableau classique de l'art hollandais. Et bien sur j'ai adoré la phrase finale de la dernière séquence du dernier film de Ford : "So long, bastard !"
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Ouais_supère le 15 Mar 2012, 17:47

Dernièrement j'ai vu Picasso, de Francis Troën, c'est sur les grands espaces.
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede metomoll le 15 Mar 2012, 23:28

J'ai vu "In Time" hier soir, scénario surprenant et assez bonne intrigue mais au final on reste un peu sur sa faim car l'ensemble n'est pas extrèmement bien torché.

En tout cas c'est marrant, car en 2161, le parc automobile se résume à des Dodge Challenger 1970 légèrement maquillées, ainsi que des limousines Lincoln Continental du début des années 60 :D
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Cortese le 15 Mar 2012, 23:39

metomoll a écrit:J'ai vu "In Time" hier soir, scénario surprenant et assez bonne intrigue mais au final on reste un peu sur sa faim car l'ensemble n'est pas extrèmement bien torché.

En tout cas c'est marrant, car en 2161, le parc automobile se résume à des Dodge Challenger 1970 légèrement maquillées, ainsi que des limousines Lincoln Continental du début des années 60 :D


C'est un film de Roger Corman ?
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede metomoll le 16 Mar 2012, 00:01

ça aurait (presque) pu ! :D
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Shunt le 16 Mar 2012, 01:22

silverwitch a écrit: :o

C'est un questionnement passionnant. Le cinéma est une représentation ordonnée et idéalisée du monde, à fin de connaissance. C'est en quelque sorte un miroir du monde. Je m'explique. Ce que le cinéma représente n'est pas la réalité, pas plus qu'un tableau ne se confond avec ce qu'il montre. Un film c'est une représentation idéalisée du monde, et cette représentation Platon la qualifie (République VII, 533d) ainsi: le regard de l'âme. Le regard du spectateur est lié à l'oeuvre, l'oeil est une fenêtre par laquelle notre âme peut voyager (c'est-à-dire sortir de notre corps); le film est un miroir qui reflète ce que seul l'âme peut voir.

Ce que l'on voit, c'est ce qui n'est pas visible dans le réel, qui en fait partie, mais sans s'y réduire. Le cinéma (comme tous les arts de la représentation) a pour fonction d'éclairer la réalité avec le regard d'une âme pour révéler le fond de la réalité.


Oui, le cinéma est un regard, un point de vue. Une proposition. Une lecture de la réalité, une tentative d'approcher la vérité. Mais le cinéma est aussi un spectacle. Et le spectacle, c'est une déformation, une simplification de la réalité, un faux-semblant. Le cinéma a besoin de rendre spectaculaire ce qui ne l'est pas nécessairement. Or, il y a une vérité - et beaucoup de vérités - qui échappent au spectacle.

Oui, le cinéma a vocation à éclairer la réalité mais le montage enferme également notre regard en nous imposant un point de vue. On peut admirer une sculpture ou un tableau sous différents angles, s'arrêter ou se concentrer sur des détails. Difficile d'en faire autant sur un film. Le paradoxe du cinéma, c'est qu'il tente de nous élever tout en nous conditionnant.

Le spectacle, c'est la talon d'Achille de la représentation cinématographique. Pourquoi un cinéaste aussi brillant et épris de vérité que Terrence Malick a-t-il besoin nécessairement de représenter John Smith...

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...de la sorte.

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Il ne s'agit pas, par cet artifice, de révéler un quelconque fond de réalité, mais de créer un attachement au personnage, voire un argument promotionnel. On est dans une pure logique de spectacle qui conduit finalement à un appauvrissement de la réalité et de la représentation.
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Silverwitch le 16 Mar 2012, 14:26

Shunt a écrit:
Oui, le cinéma est un regard, un point de vue. Une proposition. Une lecture de la réalité, une tentative d'approcher la vérité. Mais le cinéma est aussi un spectacle. Et le spectacle, c'est une déformation, une simplification de la réalité, un faux-semblant. Le cinéma a besoin de rendre spectaculaire ce qui ne l'est pas nécessairement. Or, il y a une vérité - et beaucoup de vérités - qui échappent au spectacle.


Au contraire, pour cerner la vérité, on a besoin de l'artifice. Je préfère ce terme à spectacle, dont la définition est aujourd'hui déformée par son acception debordienne. En somme, il convient non pas d'opposer comme tu le fais ici l'artifice et la réalité, mais de comprendre que si l'objectif du cinéma est de retrouver derrière la réalité, la vérité des êtres et des choses, alors on ne peut comprendre quelque chose qui a réellement eu lieu qu'en le réinventant par l'imagination, par l'artifice, par le spectacle. Pour découvrir le vrai, on a besoin du faux.

C'est donc grâce au cinéma, grâce au roman, grâce à la peinture que l'on regarde vraiment ce que l'on voit. Connaître la vérité de l'art, c'est croire qu'un portrait représente mieux l'essence de la personne représentée, son âme, sa vérité intérieure que de voir cette même personne dans la réalité.

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L'oeuvre d'art n'est pas un mensonge, c'est la réalité portée à un niveau supérieur. C'est la réalité éclairée, revisitée, transfigurée, complète. Ou bien pour le dire autrement et peut-être de manière plus abrupte, la vie est insensée sans le secours de l'oeuvre de l'esprit. Les oeuvres d'art donnent un sens au monde et à l'existence, et le monde visible se double d'un monde invisible. Si on ne croit pas à l'invisible, on ne peut croire à la vérité des oeuvres d'art. J'ajouterai enfin que seule la représentation permet de sortir de l'enfermement du moi, seul le récit permet d'arracher les choses et les êtres à la mort, et ainsi s'ouvrir à une réalité transcendante.

Réalité de l'érotisme:


Trains étroitement surveillés, Jiri Menzel

Réalité du rêve:


L'enfance d'Ivan, Tarkovski

Réalité du fantasme:


Huit et demi, Fellini

Réalité du mal:


M le Maudit, Fritz Lang

Réalité du bien:


La vie est belle, Capra

Réalité de l'éternité:


Qu'elle était verte ma vallée, John Ford

Shunt a écrit:Oui, le cinéma a vocation à éclairer la réalité mais le montage enferme également notre regard en nous imposant un point de vue. On peut admirer une sculpture ou un tableau sous différents angles, s'arrêter ou se concentrer sur des détails. Difficile d'en faire autant sur un film. Le paradoxe du cinéma, c'est qu'il tente de nous élever tout en nous conditionnant.


S'il n'y a pas de point de vue, il n'y a pas de regard. Le cinéma ne conditionne pas, il donne à voir avec d'autres yeux, avec le regard de l'âme.

Shunt a écrit:Le spectacle, c'est la talon d'Achille de la représentation cinématographique. Pourquoi un cinéaste aussi brillant et épris de vérité que Terrence Malick a-t-il besoin nécessairement de représenter John Smith...

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...de la sorte.

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Il ne s'agit pas, par cet artifice, de révéler un quelconque fond de réalité, mais de créer un attachement au personnage, voire un argument promotionnel. On est dans une pure logique de spectacle qui conduit finalement à un appauvrissement de la réalité et de la représentation.


En quoi est-ce un appauvrissement ? Le cinéma opère un transfert par l'identification aux personnages et par la combinaison de processus d'introjection (empathie pour le personnage) et de projection (on plaque des expériences vécues sur l'histoire). Ces critère sont nécessaires pour permettre au processus cognitif d'opérer. C'est un mouvement du sensible vers l'intelligible, et de l'intelligible vers le sensible.

Si John Smith est joué par Colin Farrell, c'est donc non seulement parce qu'on peut éprouver de l'empathie pour ce personnage énigmatique et taciturne, mais également parce que le film nous montre les êtres humains avec le regard de l'âme. Le cinéma fait de simples personnages, nos prochains. Un peu comme avec les êtres que nous aimons, nous ne voyons plus tant leur apparence que leur âme.

J'ajoute que ce film est un film où la rencontre de deux êtres a une importance vitale, et le John Smith que nous regardons, c'est à travers la pupille de Pocahontas que nous le voyons. Il est beau, il est aimable, et c'est une qualité essentielle du film. Au spectateur de faire l'épreuve de cette rencontre, l'épreuve de ce regard, de regarder l'Autre avec le regard amoureux et bienveillant, pour en être métamorphosé.





Un grand film, c'est ça: un point d'intersection entre le monde visible et le monde invisible, c'est aussi fugace qu'un battement des cils. Les choses telles qu'elles sont et telles qu'elles pourraient être, le passé, le présent et l'avenir. D'un clignement des yeux à une constellation. Cette lumière que nous suivons, c'est l'étoile polaire qui brille en nous, mais a besoin de la lumière magique des oeuvres d'art pour apparaître.

Et je courais derrière cette voix à travers les rues pour ne pas perdre de vue cette splendide couronne de corps planant au-dessus de la ville et je savais, avec l'angoisse au coeur, qu'ils volaient comme les oiseaux et que je tombais comme la pierre, qu'ils avaient des ailes et que je n'en aurais plus jamais.

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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Cortese le 16 Mar 2012, 14:53

Colin Farrell, je l'ai trouvé extrêmement antipathique en John Smith, un vrai repoussoir. Je trouve que le choix de cet acteur est le point faible principal de ce film que je n'ai pas beaucoup aimé pour d'autres raisons. Et je crois que justement, là, Mallick a fait une faute de stylisation. On n'y croit pas une seconde à son personnage, il est beaucoup trop "moderne", stupidement moderne, là où il aurait fallu jouer sur un subtil décalage ! Je comprends que pour faire des films il faut bien faire rentrer beaucoup de cons (jeunes en général) dans les salles, mais là c'était trop. Quel gouffre entre lui et l'élégance raffinée, sobre et délicieusement gauche de Henry Fonda dans "My darling Clementine" !
Il est vraiment déroutant Mallick. On dirait qu'au dernier moment il n'ose pas ce que tout devrait le pousser à oser. Timide à la limite du timoré, c'est l'impression qu'il me donne.
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Silverwitch le 16 Mar 2012, 17:10

Cortese a écrit:Colin Farrell, je l'ai trouvé extrêmement antipathique en John Smith, un vrai repoussoir. Je trouve que le choix de cet acteur est le point faible principal de ce film que je n'ai pas beaucoup aimé pour d'autres raisons. Et je crois que justement, là, Mallick a fait une faute de stylisation. On n'y croit pas une seconde à son personnage, il est beaucoup trop "moderne", stupidement moderne, là où il aurait fallu jouer sur un subtil décalage ! Je comprends que pour faire des films il faut bien faire rentrer beaucoup de cons (jeunes en général) dans les salles, mais là c'était trop. Quel gouffre entre lui et l'élégance raffinée, sobre et délicieusement gauche de Henry Fonda dans "My darling Clementine" !


Je le trouve très bien dans ce film, Colin Farrell. Non seulement il est très beau, très sombre, mais il a une profondeur dans le regard qui me fait penser aux beaux yeux des vaches. Il est ici tout en étant ailleurs. Il fait évidemment penser à Richard Gere dans Les Moissons du Ciel:





Le rôle qu'aurait pu jouer Henry Fonda, c'est celui que tient Christian Bale.
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Tarod le 16 Mar 2012, 17:11

metomoll a écrit:J'ai vu "In Time" hier soir, scénario surprenant et assez bonne intrigue mais au final on reste un peu sur sa faim car l'ensemble n'est pas extrèmement bien torché.

En tout cas c'est marrant, car en 2161, le parc automobile se résume à des Dodge Challenger 1970 légèrement maquillées, ainsi que des limousines Lincoln Continental du début des années 60 :D

Pareil j'ai acheté le Blu Ray pour compléter ma collection de SF et parce que c'est le même réalisateur que le très bon "Gattaca" mais ce n'est pas aussi bon. Comme tu dis le scénario est intéressant mais le film manque de contenu et au final on reste avec cette impression de superficialité :?
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Cortese le 16 Mar 2012, 18:31

silverwitch a écrit:Non seulement il est très beau, très sombre, mais il a une profondeur dans le regard qui me fait penser aux beaux yeux des vaches.


Moi aussi j'aime bien les vaches.

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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede iceman46 le 16 Mar 2012, 20:01

de dimanche a mardi 3,50 euros la place de cinema. :good
http://www.toilef1.com/IMG/jpg/140107spa.jpg

au revoir mon ami,continue a regarder les grands prix la haut au paradis des fans de sport auto.
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Shunt le 17 Mar 2012, 12:42

silverwitch a écrit:Au contraire, pour cerner la vérité, on a besoin de l'artifice. Je préfère ce terme à spectacle, dont la définition est aujourd'hui déformée par son acception debordienne. En somme, il convient non pas d'opposer comme tu le fais ici l'artifice et la réalité, mais de comprendre que si l'objectif du cinéma est de retrouver derrière la réalité, la vérité des êtres et des choses, alors on ne peut comprendre quelque chose qui a réellement eu lieu qu'en le réinventant par l'imagination, par l'artifice, par le spectacle. Pour découvrir le vrai, on a besoin du faux.

C'est donc grâce au cinéma, grâce au roman, grâce à la peinture que l'on regarde vraiment ce que l'on voit. Connaître la vérité de l'art, c'est croire qu'un portrait représente mieux l'essence de la personne représentée, son âme, sa vérité intérieure que de voir cette même personne dans la réalité.


Je crois que le cinéma, ce n'est pas la même chose que le roman, la peinture. Parce que le cinéma n'est pas seulement un art, c'est aussi un spectacle et une industrie qui nécessite une importante levée de fond. Le cinéma a cette double ou triple dimension.

L'oeuvre d'art n'est pas un mensonge, c'est la réalité portée à un niveau supérieur. C'est la réalité éclairée, revisitée, transfigurée, complète. Ou bien pour le dire autrement et peut-être de manière plus abrupte, la vie est insensée sans le secours de l'oeuvre de l'esprit. Les oeuvres d'art donnent un sens au monde et à l'existence, et le monde visible se double d'un monde invisible. Si on ne croit pas à l'invisible, on ne peut croire à la vérité des oeuvres d'art. J'ajouterai enfin que seule la représentation permet de sortir de l'enfermement du moi, seul le récit permet d'arracher les choses et les êtres à la mort, et ainsi s'ouvrir à une réalité transcendante.


Le danger, c'est quand l'art ou la fiction tend à se substituer au réel, à l'existence. Quand il conditionne davantage qu'il n'éclaire.

Par ailleurs, un film étant aussi un produit commercial, il se doit de séduire, de créer du désir, de capter son auditoire en créant une tension... le cinéaste "soumet" d'une certaine façon le spectateur.

S'il n'y a pas de point de vue, il n'y a pas de regard. Le cinéma ne conditionne pas, il donne à voir avec d'autres yeux, avec le regard de l'âme.


Mais contrairement au peintre ou à l'écrivain, le cinéaste ne laisse ni choix, ni latitude, ni temps au spectateur... quand on lit un livre, on peut s'attarder sur un chapitre, le relire, prendre son temps... quand on admire un tableau, on peut se rapprocher, s'éloigner, s'attarder sur un détail... dans une salle de cinéma, c'est de l'instantané. La distanciation est difficile voire impossible. Le cinéma produit essentiellement des réactions émotionnelles : joie / tristesse / ennui / jubilation / excitation /dégoût...

En quoi est-ce un appauvrissement ? Le cinéma opère un transfert par l'identification aux personnages et par la combinaison de processus d'introjection (empathie pour le personnage) et de projection (on plaque des expériences vécues sur l'histoire). Ces critère sont nécessaires pour permettre au processus cognitif d'opérer. C'est un mouvement du sensible vers l'intelligible, et de l'intelligible vers le sensible.

Si John Smith est joué par Colin Farrell, c'est donc non seulement parce qu'on peut éprouver de l'empathie pour ce personnage énigmatique et taciturne, mais également parce que le film nous montre les êtres humains avec le regard de l'âme. Le cinéma fait de simples personnages, nos prochains. Un peu comme avec les êtres que nous aimons, nous ne voyons plus tant leur apparence que leur âme.


Colin Farrell, c'est l'archétype du "beau gosse" contemporain, une icône marketing. Le processus d'identification ici flatte le spectateur, qui s'identifie au "beau gosse". Mais c'est factice, artificiel. Mon "prochain", comme tu dis, n'est pas nécessairement l'homme beau. Mon prochain, c'est aussi l'homme banal, l'homme laid, l'homme pas nécessairement charismatique, l'homme effacé, transparent... quand je me balade dans la rue, je ne suis pas entouré de Colin Farrell.

J'ajoute que ce film est un film où la rencontre de deux êtres a une importance vitale, et le John Smith que nous regardons, c'est à travers la pupille de Pocahontas que nous le voyons. Il est beau, il est aimable, et c'est une qualité essentielle du film. Au spectateur de faire l'épreuve de cette rencontre, l'épreuve de ce regard, de regarder l'Autre avec le regard amoureux et bienveillant, pour en être métamorphosé.


Ce que tu dis en fait, c'est qu'on ne peut comprendre l'amour de Pocahontas pour John Smith, si John Smith n'est pas incarné par un beau gosse. Mais c'est une mystification totale ! La rencontre entre deux êtres ne peut se limiter à ça. C'est un cliché simpliste. Le message latent de tout ça, c'est que si on n'a pas un physique avenant, on ne peut aimer et être aimé. C'est grossier.

Je trouve qu'au contraire, en représentant John Smith et Pocahontas de manière plus "banale", le film aurait gagné en vérité, leur histoire n'en aurait été que plus touchante et bouleversante. C'est l'une des contradictions du cinéma de Malick. Il arrive à nous montrer la beauté du monde, de la nature, dans ce qu'elle a finalement de plus banal, dans ce qu'on oublie de regarder... mais il est incapable de faire la même chose pour les êtres humains, de sublimer leur banalité. Les héros malickiens sont nécessairement "beaux" physiquement. C'est Richard Gere, Brook Adams et Sam Shepard dans "les Moissons du Ciel", la casting GQ de "la Ligne Rouge" (Caviezel, Brody, Penn, Clooney, Cusack, Chaplin, Travolta, Harrelson...), Colin Farrell, Christian Bale et Q'Orianka Kilcher dans "le Nouveau Monde", Brad Pitt dans "the Tree of Life". Or la nature humaine ne se limite pas à ça. C'est en cela que je parle de pauvreté de la représentation. Quand la beauté de l'âme humaine ne peut être exprimée que par la beauté plastique.

Pour moi, les castings malickiens relèvent donc soit d'une facilité, soit d'une nécessité marketing, soit les deux.

Kubrick aussi savait faire appel à des "beaux gosses", mais avec beaucoup d'ironie. Quand il recrute Ryan O'Neal - énorme star à l'époque, héros de "Love Story" - pour incarner Barry Lyndon, ça fait sens et corps avec le film. Parce que la trajectoire de Barry Lyndon, c'est exactement la même que celle d'un jeune premier dans le star-system hollywoodien. D'ailleurs la vie de Ryan O'Neal s'est révélée finalement assez proche de celle de Barry Lyndon...

Même chose dans la façon dont il utilise le narcissisme du couple Kidman/Cruise dans "Eyes Wide Shut". La séquence devant le miroir est d'une ironie absolue, Kubrick se fout littéralement de leur gueule. Je me suis toujours demandé s'ils en étaient conscients ou non.
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Silverwitch le 17 Mar 2012, 13:24

Tu pardonneras la brièveté de mes réponses:

Shunt a écrit:Je crois que le cinéma, ce n'est pas la même chose que le roman, la peinture. Parce que le cinéma n'est pas seulement un art, c'est aussi un spectacle et une industrie qui nécessite une importante levée de fond. Le cinéma a cette double ou triple dimension.


Un roman ce n'est pas la même chose qu'une symphonie et une symphonie ce n'est pas la même chose qu'un portrait peint. Cependant aucun art n'existe sans une société pour le voir naître, la littérature, la photographie, le cinéma et le théâtre n'y échappent pas.

Le danger, c'est quand l'art ou la fiction tend à se substituer au réel, à l'existence. Quand il conditionne davantage qu'il n'éclaire.


Aucune oeuvre d'art ne se substitue au réel, ce sont les produits de consommation qui sécrètent de l'oubli et font écran à la réalité. C'est la réalité qui sécrète un filtre d'abstraction qui recouvre le monde.

Par ailleurs, un film étant aussi un produit commercial, il se doit de séduire, de créer du désir, de capter son auditoire en créant une tension... le cinéaste "soumet" d'une certaine façon le spectateur.


Toute production a une réalité sociale et économique.

Mais contrairement au peintre ou à l'écrivain, le cinéaste ne laisse ni choix, ni latitude, ni temps au spectateur... quand on lit un livre, on peut s'attarder sur un chapitre, le relire, prendre son temps... quand on admire un tableau, on peut se rapprocher, s'éloigner, s'attarder sur un détail... dans une salle de cinéma, c'est de l'instantané. La distanciation est difficile voire impossible. Le cinéma produit essentiellement des réactions émotionnelles : joie / tristesse / ennui / jubilation / excitation /dégoût...


C'est inexact. Le cinéma sur ce point est très comparable au théâtre dans son mode de réception. C'est un mouvement entre le sensible et l'intelligible, dans un espace abstrait, la scène du théâtre ou l'écran sur le mur. Deux formes géométriques comparables qui articulent de l'espace et du temps.

Colin Farrell, c'est l'archétype du "beau gosse" contemporain, une icône marketing. Le processus d'identification ici flatte le spectateur, qui s'identifie au "beau gosse". Mais c'est factice, artificiel. Mon "prochain", comme tu dis, n'est pas nécessairement l'homme beau. Mon prochain, c'est aussi l'homme banal, l'homme laid, l'homme pas nécessairement charismatique, l'homme effacé, transparent... quand je me balade dans la rue, je ne suis pas entouré de Colin Farrell.


Personne ne dit que le prochain devait être beau. Tout dépend de ce que l'on veut démontrer.

Ce que tu dis en fait, c'est qu'on ne peut comprendre l'amour de Pocahontas pour John Smith, si John Smith n'est pas incarné par un beau gosse. Mais c'est une mystification totale ! La rencontre entre deux êtres ne peut se limiter à ça. C'est un cliché simpliste. Le message latent de tout ça, c'est que si on n'a pas un physique avenant, on peut aimer et être aimé. C'est grossier.


Je dis que le film nous propose de voir John Smith et Pocahontas avec un regard amoureux, celui qui voit les êtres et les choses comme si c'était la première fois. C'est un éblouissement. Je dis que nous voyons John Smith tel qu'il pouvait se refléter dans la pupille de Pocahontas.

Tu devrais revoir le film et ce qu'il exprime sur le plan philosophique et métaphysique. La clé est dans la nature du regard porté sur les êtres et les choses. Le monde est parfait.

Je trouve qu'au contraire, en représentant John Smith et Pocahontas de manière plus "banale", le film aurait gagné en vérité, leur histoire n'en aurait été que plus touchante et bouleversante. C'est l'une des contradictions du cinéma de Malick. Il arrive à nous montrer la beauté du monde, de la nature, dans ce qu'elle a finalement de plus banal, dans ce qu'on oublie de regarder... mais il est incapable de faire la même chose pour les êtres humains, de sublimer leur banalité. Les héros malickiens sont nécessairement "beaux" physiquement. C'est Richard Gere, Brook Adams et Sam Shepard dans "les Moissons du Ciel", la casting GQ de "la Ligne Rouge" (Caviezel, Brody, Penn, Clooney, Cusack, Chaplin, Travolta, Harrelson...), Colin Farrell, Christian Bale et Q'Orianka Kilcher dans "le Nouveau Monde", Brad Pitt dans "the Tree of Life". Or la nature humaine ne se limite pas à ça. C'est en cela que je parle de pauvreté de la représentation. Quand la beauté de l'âme humaine ne peut être exprimée que par la beauté plastique.


Tu n'as pas compris ce que voulait exprimer le cinéma de Malick. Ou plutôt, tu l'as compris en théorie mais tu ne vas pas au terme de la démarche. Malick, comme Robert Bresson, utilise des modèles autant que des acteurs. Prenons deux exemples:


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Deux visages peints. Deux manières de représenter l'universalité. La différence c'est l'Idée qui les inspire. Le second portrait est une idéalité. Que tu préfères l'une ou l'autre, ce n'est pas vraiment mon problème.


Kubrick aussi savait faire appel à des "beaux gosses", mais avec beaucoup d'ironie. Quand il recrute Ryan O'Neal - énorme star à l'époque, héros de "Love Story" - pour incarner Barry Lyndon, ça fait sens et corps avec le film. Parce que la trajectoire de Barry Lyndon, c'est exactement la même que celle d'un jeune premier dans le star-system hollywoodien. D'ailleurs la vie de Ryan O'Neal s'est révélé finalement assez proche de celle de Barry Lyndon...

Même chose dans la façon dont il utilise le narcissisme du couple Kidman/Cruise dans "Eyes Wide Shut". La séquence devant le miroir est d'une ironie absolue, Kubrick se fout littéralement de leur gueule. Je me suis toujours demandé s'ils en étaient conscients ou non.


Tu as démontré que le point de vue de Kubrick n'était pas identique à celui de Malick. Ils ont chacun un point d'entrée singulier vers l'universalité à laquelle tous deux aspirent. Le problème de Malick c'est l'incarnation de l'idée transcendante, la lumière magique dans le ciel et la terre, les êtres et les choses, quand Kubrick cherche à représenter l'architecture géométrique et abstraite du monde. Les deux faces de l'éternité.
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Cortese le 17 Mar 2012, 14:11

Le problème c'est que comme Shunt je n'arrive pas à être convaincu. Au lieu de voir dans Smith et Pocahontas des personnages idéalisés (ce que je souhaitais) je vois un play-boy de banlieue et une petite mignonne exotique. Je ne comprends pas. Je me trompe peut-être, mais je vois un défaut de stylisation, un manque d'abstraction de la beauté des personnages dans ce que nous montre Mallick. Si j'ai bien compris ce que tu nous dis, on devrait être un peu dans l'art religieux (voir le sublime Saint Jean-Baptiste de Vinci plus haut), mais pour moi, ça ne marche pas tellement. Je voudrais croire que je suis devant du Fra Angelico, mais j'ai l'impression de regarder des couvertures de Vogue.
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Silverwitch le 17 Mar 2012, 14:57

Cortese a écrit:Le problème c'est que comme Shunt je n'arrive pas à être convaincu. Au lieu de voir dans Smith et Pocahontas des personnages idéalisés (ce que je souhaitais) je vois un play-boy de banlieue et une petite mignonne exotique. Je ne comprends pas. Je me trompe peut-être, mais je vois un défaut de stylisation, un manque d'abstraction de la beauté des personnages dans ce que nous montre Mallick. Si j'ai bien compris ce que tu nous dis, on devrait être un peu dans l'art religieux (voir le sublime Saint Jean-Baptiste de Vinci plus haut), mais pour moi, ça ne marche pas tellement. Je voudrais croire que je suis devant du Fra Angelico, mais j'ai l'impression de regarder des couvertures de Vogue.


Je ne dis pas que Malick cherche la même idéalité que De Vinci, mais qu'il utilise des modèles. Comme le font Bresson ou Eisenstein, par exemple. Mais ils n'occupent pas une place centrale, ils sont des astres solitaires dans le ciel du monde dont la rencontre déçoit autant qu'elle éblouit. Nous ne voyons qu'un souvenir des êtres, une rémanence, une poussière d'étoile. Il faut donc remettre les personnages dans le décor, ils ont le monde pour échelle. Tout est question de perspective, même pour le regard du spectateur.







C'est pareil que ça:





Ou pour le dire autrement, c'est une idée de la totalité, la mer allée avec le soleil.





Revoir le début et la fin du film est édifiant: c'est la vie réconciliée, c'est l'éternité.
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Shunt le 17 Mar 2012, 15:45

silverwitch a écrit:Un roman ce n'est pas la même chose qu'une symphonie et une symphonie ce n'est pas la même chose qu'un portrait peint. Cependant aucun art n'existe sans une société pour le voir naître, la littérature, la photographie, le cinéma et le théâtre n'y échappent pas.


Ni sans un mode de production.

Aucune oeuvre d'art ne se substitue au réel, ce sont les produits de consommation qui sécrètent de l'oubli et font écran à la réalité.


Mais un film est aussi un produit de consommation et de propagande. Le cinéma américain a été le principal vecteur d'un impérialisme culturel indolore et redoutablement efficace. Dans des sociétés où les liens sociaux et générationnels se distendent, l'image cinématographique devient un référent, le modèle auquel il faut se conformer. Et ce n'est pas un dévoiement du cinéma, c'est dans sa nature même.

C'est inexact. Le cinéma sur ce point est très comparable au théâtre dans son mode de réception. C'est un mouvement entre le sensible et l'intelligible, dans un espace abstrait, la scène du théâtre ou l'écran sur le mur. Deux formes géométriques comparables qui articulent de l'espace et du temps.


Sauf qu'au théâtre, le spectateur voit la scène, le rideau, le décor artificiel. Le spectateur peut s'affranchir du cadre, son regard peut naviguer d'un point à l'autre, librement. Il peut même percevoir le hors-champ. Ce n'est absolument pas le cas du cinéma.

Je dis que le film nous propose de voir John Smith et Pocahontas avec un regard amoureux, celui qui voit les êtres et les choses comme si c'était la première fois. C'est un éblouissement. Je dis que nous voyons John Smith tel qu'il pouvait se refléter dans la pupille de Pocahontas.


Mais ce n'est pas ce que fait pourtant Malick lorsqu'il filme la nature. Là, il parvient par le choix du cadre et de la lumière à transcender l'ordinaire. Un arbre en contre-plongée, une rivière en longue focale, un plan serré sur les rides formées sur l'eau par le vent... c'est la version cinématographique du fameux poème d'Hugo.

Le vallon où je vais tous les jours est charmant,
Serein, abandonné, seul sous le firmament,
Plein de ronces en fleurs ; c'est un sourire triste.
Il vous fait oublier que quelque chose existe,
Et, sans le bruit des champs remplis de travailleurs,
On ne saurait plus là si quelqu'un vit ailleurs.
Là, l'ombre fait l'amour ; l'idylle naturelle
Rit ; le bouvreuil avec le verdier s'y querelle,
Et la fauvette y met de travers son bonnet ;
C'est tantôt l'aubépine et tantôt le genêt ;
De noirs granits bourrus, puis des mousses riantes ;
Car Dieu fait un poëme avec des variantes ;
Comme le vieil Homère, il rabâche parfois,
Mais c'est avec les fleurs, les monts, l'onde et les bois !
Une petite mare est là, ridant sa face,
Prenant des airs de flot pour la fourmi qui passe,
Ironie étalée au milieu du gazon,
Qu'ignore l'océan grondant à l'horizon.
J'y rencontre parfois sur la roche hideuse
Un doux être ; quinze ans, yeux bleus, pieds nus, gardeuse
De chèvres, habitant, au fond d'un ravin noir,
Un vieux chaume croulant qui s'étoile le soir ;
Ses soeurs sont au logis et filent leur quenouille ;
Elle essuie aux roseaux ses pieds que l'étang mouille ;
Chèvres, brebis, béliers, paissent ; quand, sombre esprit,
J'apparais, le pauvre ange a peur, et me sourit ;
Et moi, je la salue, elle étant l'innocence.
Ses agneaux, dans le pré plein de fleurs qui l'encense,
Bondissent, et chacun, au soleil s'empourprant,
Laisse aux buissons, à qui la bise le reprend,
Un peu de sa toison, comme un flocon d'écume.
Je passe ; enfant, troupeau, s'effacent dans la brume ;
Le crépuscule étend sur les longs sillons gris
Ses ailes de fantôme et de chauve-souris ;
J'entends encore au loin dans la plaine ouvrière
Chanter derrière moi la douce chevrière,
Et, là-bas, devant moi, le vieux gardien pensif
De l'écume, du flot, de l'algue, du récif,
Et des vagues sans trêve et sans fin remuées,
Le pâtre promontoire au chapeau de nuées,
S'accoude et rêve au bruit de tous les infinis
Et, dans l'ascension des nuages bénis,
Regarde se lever la lune triomphale,
Pendant que l'ombre tremble, et que l'âpre rafale
Disperse à tous les vents avec son souffle amer
La laine des moutons sinistres de la mer.


Malick pourrait très bien retranscrire l'émerveillement, le regard amoureux de Pocahontas de la même manière. Il existe une beauté chez chaque être humain. Tout dépend du regard que l'on porte sur eux. Mais Malick ne parvient tout simplement pas à regarder les hommes comme il regarde les animaux, les arbres ou les rivières. La beauté plastique d'un Colin Farrell n'a absolument rien d'universel. Elle s'ancre dans une époque, obéit aux canons de la mode du moment.

Finalement, Malick nous fait ni plus ni moins du Disney.

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Tu devrais revoir le film et ce qu'il exprime sur le plan philosophique et métaphysique. La clé est dans la nature du regard porté sur les êtres et les choses. Le monde est parfait.


Mais en quoi Colin Farrell incarne physiquement la perfection ! Est-ce que Malick a casté les biches ou les oiseaux qu'il filme ? Non. Quand il filme la nature, la beauté est partout. Quand il filme les hommes, la beauté se restreint, voire se sacrifie, aux stéréotypes et aux canons de beauté du moment.

Tu n'as pas compris ce que voulait exprimer le cinéma de Malick. Ou plutôt, tu l'as compris en théorie mais tu ne vas pas au terme de la démarche.


Je pense justement l'avoir compris. Je pense seulement que le regard qu'il porte sur les hommes, la façon dont il les représente, est l'un des points faibles de sa démarche artistique. C'est très "new age" du coup.


Malick, comme Robert Bresson, utilise des modèles autant que des acteurs. Prenons deux exemples:


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Deux visages peints. Deux manières de représenter l'universalité. La différence c'est l'Idée qui les inspire. Le second portrait est une idéalité. Que tu préfères l'une ou l'autre, ce n'est pas vraiment mon problème.


Au-delà des goûts et des couleurs, il y a une différence profonde de nature et de démarche dans les oeuvres que tu cites. Rembrandt a pour modèle un homme - probablement son commanditaire à moins qu'il ne s'agiise d'un auto-protrait - dont il va essayer de saisir la beauté - pas forcément évidente à première vue - par le regard. Il n'a pas besoin d'idéaliser l'homme pour en saisir la beauté.

Pour Fra Angelico, le commanditaire, c'est l'église catholique. Il peint une icône, un être surnaturel. L'oeuvre doit illustrer et convaincre les fidèles de la tout puissance divine. L'art religieux est en soi une forme de propagande qui doit conditionner l'âme, les esprits.

Ces deux tableaux montrent bien la contradiction qui existe chez Malick. Si Malick représente John Smith et Pocahontas comme Fra Angelico représente un ange ou le divin enfant, cela fait donc de Pocahontas et de John Smith des divinités, des êtres supérieurs, "srunaturels"... ce qui ne me semble pas être son intention.
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Silverwitch le 17 Mar 2012, 17:01

Shunt a écrit:Ni sans un mode de production.


Certes. Mais ne perdons pas de temps: où vois-tu que le cinéma présenterait une spécificité qui le rendrait moins apte à produire des oeuvres d'art ? Si le cinéma n'a pas un potentiel intrinsèque inférieur aux autres arts et si des critères extrinsèques ne l'empêchent pas de produire des oeuvres d'art, la digression est close.

Tous les arts sont mortels, le cinéma disparaîtra certainement comme art de création, comme la photographie avant lui.

Mais un film est aussi un produit de consommation et de propagande. Le cinéma américain a été le principal vecteur d'un impérialisme culturel indolore et redoutablement efficace. Dans des sociétés où les liens sociaux et générationnels se distendent, l'image cinématographique devient un référent, le modèle auquel il faut se conformer. Et ce n'est pas un dévoiement du cinéma, c'est dans sa nature même.


Où veux-tu en venir ? Le dispositif technique qui permet le cinéma a évolué aussi vers la télévision, et une caméra qui peut enregistrer le temps et l'espace d'une oeuvre d'art peut aussi bien tenir lieu de caméra de surveillance sur la voie publique. Les mots peuvent libérer aussi bien qu'aliéner, les yeux se tourner vers ce qui abaisse plus que vers ce qui élève, les oreilles vers le bruit plutôt que la musique, je ne t'ai pas vu accuser nos sens. Pas même ta raison qui ici t'égare.

Sauf qu'au théâtre, le spectateur voit la scène, le rideau, le décor artificiel. Le spectateur peut s'affranchir du cadre, son regard peut naviguer d'un point à l'autre, librement. Il peut même percevoir le hors-champ. Ce n'est absolument pas le cas du cinéma.


C'est un peu court. Le spectateur du théâtre ne voit que ce que la mise en scène lui montre. C'est le propre d'un dispositif scénique, comme c'est celui d'un dispositif cinématographique. Le cadre cinématographique, comme la scène de théâtre, est un espace abstrait.

Pour ne pas perdre de temps, je vais te rappeler, à toutes fins utiles, que la fenêtre de l'écran n'est pas plus ouverte ou fermée qu'un tableau. Qu'est-ce qu'un cadre ? C'est une fenêtre ouverte à partir de laquelle on peut représenter une histoire, c'est-à-dire articuler ce qui est dit (le récit) et ce qui est montré (la forme). En bon français, le cadre ou la scène, c'est la fenêtre qui donne, non pas sur le monde réel, mais sur l'histoire.

Mais ce n'est pas ce que fait pourtant Malick lorsqu'il filme la nature. Là, il parvient par le choix du cadre et de la lumière à transcender l'ordinaire. Un arbre en contre-plongée, une rivière en longue focale, un plan serré sur les rides formées sur l'eau par le vent...


C'est exactement ce que fait Malick quand il filme la nature.


Malick pourrait très bien retranscrire l'émerveillement, le regard amoureux de Pocahontas de la même manière. Il existe une beauté chez chaque être humain. Tout dépend du regard que l'on porte sur eux. Mais Malick ne parvient tout simplement pas à regarder les hommes comme il regarde les animaux, les arbres ou les rivières. La beauté plastique d'un Colin Farrell n'a absolument rien d'universel. Elle s'ancre dans une époque, obéit aux canons de la mode du moment.


Ça tourne au cauchemar cette discussion. L'universel, ce n'est pas que tout est vu à l'identique par des regards singuliers ! L'universel, c'est le mouvement qui nous fait passer de la singularité à la généralité.

Mais en quoi Colin Farrell incarne physiquement la perfection ! Est-ce que Malick a casté les biches ou les oiseaux qu'il filme ? Non. Quand il filme la nature, la beauté est partout. Quand il filme les hommes, la beauté se restreint, voire se sacrifie, aux stéréotypes et aux canons de beauté du moment.


La différence avec un oiseau ou une biche, c'est que tu accèdes directement à la généralité, contrairement à ce qu'il se produit quand tu regardes un être humain. Le regard d'un être humain sur un autre être humain, c'est un processus. Pour voir plus profond que l'apparence, il faut construire un point de vue qui fait accepter cette démarche. Ainsi un auteur romantique comme Victor Hugo peut aller chercher le beau dans la difformité, celle d'un bossu, comme celle d'une aveugle. Mais cette construction n'existe que par un jeu entre l'apparence et l'essence.

Vois les choses autrement: comment regardes-tu tes parents, tes amis, ceux que tu aimes ? Tu regardes leur âme, et non plus une apparence. Quand tu en fais de même avec un inconnu qui bouge et vit sous tes yeux, il faut un temps (parfois très court, c'est l'éblouissement du coup de foudre, quand l'apparence se confond avec l'essence) pour que tu apprivoises ce prochain. Le film de Malick veut te donner une vision qui tient de la première fois, d'une première fois toujours recommencée. C'est l'essence du regard amoureux.


Je pense justement l'avoir compris. Je pense seulement que le regard qu'il porte sur les hommes, la façon dont il les représente, est l'un des points faibles de sa démarche artistique. C'est très "new age" du coup.


Il m'est un peu pénible de constater que tu utilises avec maestria ta redoutable intelligence quand il s'agit d'analyser un film comme Drive, et que tu te vautres dans un cliché un rien éculé à propos du cinéma de Terrence Malick.

En langage savant, tu ignores la différence entre l'usage transcendantal de la raison et son usage transcendant.

Au-delà des goûts et des couleurs, il y a une différence profonde de nature et de démarche dans les oeuvres que tu cites. Rembrandt a pour modèle un homme - probablement son commanditaire - dont il va essayer de saisir la beauté - pas forcément évidente à première vue - par le regard. Il n'a pas besoin d'idéaliser l'homme pour en saisir la beauté.

Pour Fra Angelico, le commanditaire, c'est l'église catholique. Il peint un icône, un être surnaturel. L'oeuvre doit illustrer et convaincre les fidèles de la tout puissance divine. L'art religieux est en soi une forme de propagande qui doit conditionner l'âme, les esprits.


Ce que j'essaye de t'expliquer, Shunt, c'est qu'une oeuvre d'art, c'est le point d'intersection entre le monde visible et le monde invisible. La fenêtre qu'est le film ou le tableau est une fenêtre ouverte sur l'invisible, sur ce que seul l'âme peut voir. Dans un précédent paragraphe, je te rappelais la nature abstraite de l'espace scénique, du cadre cinématographique ou du tableau, et dans un message plus ancien, l'allégorie de la caverne.

Prends désormais l'exemple du mythe de l'âme dans Phèdre, de Platon: le mythe de l'attelage ailé. L'âme du spectateur se porte vers l'objet de son désir, à travers la fenêtre de l'oeuvre. Ce processus a lieu aussi bien dans la vie ordinaire et dans la vie de l'esprit, ce mouvement a un nom, c'est la connaissance, c'est l'existence. Ce trajet des âmes qui parcourt le monde invisible, c'est une procession céleste, en grec une theoria (théorie) pour contempler le spectacle, theia, dont le ciel est le modèle.

Rembrandt comme Fra Angelico cherchent exactement la même chose. Ils veulent représenter ce qui est au-delà du monde visible, ce qui ne peut être saisi par le corps, ils veulent rendre visible l'essence ultime de la réalité. Il y a un mouvement qui conduit alternativement de l'un à l'autre: de la singularité, à l'universalité, de l'universalité à l'idéalité.

Ce sont les quatre points cardinaux de la représentation: singularité, universalité, idéalité, transcendance. Ils ordonnent toutes les représentations de l'art occidental, de la naissance de l'épopée, au théâtre et au cinéma. L'important n'est pas l'endroit d'où l'on part, pas même ce que l'on montre, mais le mouvement qui articule les différents points les uns aux autres. Tout est dans la circulation du regard. Et si tu as compris l'origine des mots, tu as maintenant à l'esprit que le regard, c'est la connaissance.

Quel est le but ultime de l'oeuvre d'art ? Approcher au plus près la vérité des choses et des êtres, c'est-à-dire leur essence. Et cette vérité, elle n'est pas entreposée dans une oeuvre, elle existe dans l'acte d'ouverture du regard et non dans le champ qu'il a ouvert. Ce regard, celui de l'oeuvre comme celui du spectateur idéal que tu dois être, c'est le pouvoir d'accorder à l'objet éclairé par la lumière magique une existence réelle, sans préjuger de sa nature ultime. C'est ce que Walter Benjamin définit comme l'aura: une image est toujours autre chose qu'elle-même.

Tu butes sur une contradiction: tu vois que Colin Farrell est beau, mais ta raison voudrait voir autre chose, et voilà que tu réduis l'être à son apparence, comme si le modèle était privé d'une âme. Comme si la singularité du banal était la seule capable de nous faire accéder à l'essence du beau. Mais ton trajet tourne en rond: tu passes comme les aspirants à l'initiation érotique du Banquet des beaux corps aux belles âmes, sans mesurer que pour te guider d'étape en étape, tu aurais besoin que l'on te rende visible, l'idée de Beau.

Si la beauté de Colin Farrell est relative (encore que tu lui reconnais en creux son caractère évident), l'idée de Beau qu'il représente ne l'est pas. Pour faire ce trajet du singulier à l'universel, de l'universel au singulier qui constitue au sens propre l'existence, il te manque l'idéalité et la transcendance. Or c'est ce que représente Malick, c'est son point d'accès singulier à l'universalité, lui qui vise à nous faire comprendre que regarder c'est connaître, à condition de percevoir les êtres et les choses, comme si c'était toujours l'aurore du monde.
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Shunt le 17 Mar 2012, 19:17

silverwitch a écrit:Certes. Mais ne perdons pas de temps: où vois-tu que le cinéma présenterait une spécificité qui le rendrait moins apte à produire des oeuvres d'art ? Si le cinéma n'a pas un potentiel intrinsèque inférieur aux autres arts et si des critères extrinsèques ne l'empêchent pas de produire des oeuvres d'art, la digression est close.


Il se trouve que la création cinématographique - de par son simple coût - est davantage soumise à des considérations extra-artistiques. La peinture ou la sculpture ne sont pas des produits de consommation courante. Un film, si, tout comme le sont devenus les livres ou la musique.

Où veux-tu en venir ?


Que le cinéma reste du cinéma. Ca n'en fait pas pour autant quelque chose de vide et d'inintéressant.

C'est un peu court. Le spectateur du théâtre ne voit que ce que la mise en scène lui montre. C'est le propre d'un dispositif scénique, comme c'est celui d'un dispositif cinématographique. Le cadre cinématographique, comme la scène de théâtre, est un espace abstrait.


Le dispositif théâtral crée de lui-même une distance, qui favorise le recul, l'attitude critique, l'analyse. Le cinéma abolit davantage les distances. Il n'y a plus de scène, plus de rideau. La frontière avec le monde réel est plus floue. Il est plus compliqué de prendre du recul devant un film.

Pour ne pas perdre de temps, je vais te rappeler, à toutes fins utiles, que la fenêtre de l'écran n'est pas plus ouverte ou fermée qu'un tableau.


A cette différence près que le tableau n'impose pas son rythme au spectateur comme le fait le montage cinématographique. On peut regarder un tableau pendant 5 minutes ou pendant 2 heures. Ce qui n'est pas le cas d'un film, en tout cas lors d'un projection cinématographique.

Mais ce n'est pas ce que fait pourtant Malick lorsqu'il filme la nature. Là, il parvient par le choix du cadre et de la lumière à transcender l'ordinaire. Un arbre en contre-plongée, une rivière en longue focale, un plan serré sur les rides formées sur l'eau par le vent...


C'est exactement ce que fait Malick quand il filme la nature.


C'est exactement ce que je dis.

Ça tourne au cauchemar cette discussion. L'universel, ce n'est pas que tout est vu à l'identique par des regards singuliers ! L'universel, c'est le mouvement qui nous fait passer de la singularité à la généralité.


Mais je n'ai jamais dit le contraire ! Ce que tu dis illustre exactement ce que je reproche à Malick. En choisissant un "beau gosse" à la mode pour incarner John Smith, Malick fait en sorte qu'il soit vu à l'identique par des regards singuliers. Il ne nous fait absolument pas passer de la singularité à la généralité. Ca, c'est qu'il aurait pu faire en choisissant un John Smith physiquement plus proche du véritable John Smith et en tentant de saisir le "beau" en lui. Ce qui est une démarche tout à fait différente.

Malick nous montre avec beaucoup de justesse que l'appréciation de la beauté du monde est une question de regard. En revanche, la beauté humaine est présentée comme une évidence. Ou qui paraîtra comme une évidence au plus grand nombre.

La différence avec un oiseau ou une biche, c'est que tu accèdes directement à la généralité, contrairement à ce qu'il se produit quand tu regardes un être humain. Le regard d'un être humain sur un autre être humain, c'est un processus. Pour voir plus profond que l'apparence, il faut construire un point de vue qui fait accepter cette démarche. Ainsi un auteur romantique comme Victor Hugo peut aller chercher le beau dans la difformité, celle d'un bossu, comme celle d'une aveugle. Mais cette construction n'existe que par un jeu entre l'apparence et l'essence.

Vois les choses autrement: comment regardes-tu tes parents, tes amis, ceux que tu aimes ? Tu regardes leur âme, et non plus une apparence. Quand tu en fais de même avec un inconnu qui bouge et vit sous tes yeux, il faut un temps (parfois très court, c'est l'éblouissement du coup de foudre, quand l'apparence se confond avec l'essence) pour que tu apprivoises ce prochain. Le film de Malick veut te donner une vision qui tient de la première fois, d'une première fois toujours recommencée. C'est l'essence du regard amoureux.


Mais le regard amoureux n'est pas conditionné par la seule "plastique". Ce qui nous attire chez l'autre ne se limite pas à ça. C'est tout un tas de choses difficilement définissables, des "je ne sais quoi", des détails, des attitudes, le mystère, la force, etc... Le charme ne se limite pas à la beauté plastique. Sinon - pour prendre un exemple trivial - comment expliquer que tant de femmes aient pu avoir le coup de foudre pour Serge Gainsbourg ou Jean-Paul Sartre.

Tu butes sur une contradiction: tu vois que Colin Farrell est beau, mais ta raison voudrait voir autre chose, et voilà que tu réduis l'être à son apparence, comme si le modèle était privé d'une âme.

Comme si la singularité du banal était la seule capable de nous faire accéder à l'essence du beau. Mais ton trajet tourne en rond: tu passes comme les aspirants à l'initiation érotique du Banquet des beaux corps aux belles âmes, sans mesurer que pour te guider d'étape en étape, tu aurais besoin que l'on te rende visible, l'idée de Beau.


Je trouve juste que la façon qu'a Malick de rendre visible l'idée de Beau, quand il s'agit des êtres humains, est un peu facile. Et ça ne se limite pas au "Nouveau Monde".

Si la beauté de Colin Farrell est relative (encore que tu lui reconnais en creux son caractère évident), l'idée de Beau qu'il représente ne l'est pas. Pour faire ce trajet du singulier à l'universel, de l'universel au singulier qui constitue au sens propre l'existence, il te manque l'idéalité et la transcendance. Or c'est ce que représente Malick, c'est son point d'accès singulier à l'universalité, lui qui vise à nous faire comprendre que regarder c'est connaître, à condition de percevoir les êtres et les choses, comme si c'était toujours l'aurore du monde.


Pourtant Malick n'a pas besoin d'"idéaliser" la nature dans ses films. C'est son regard qui la transcende.

La nature chez Malick n'est pas la nature idéalisée de Fra Angelico.

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Mais s'apparente davantage à celle sublimée par Rembrandt.

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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Shunt le 17 Mar 2012, 22:09

Voilà un type qui filme les gens comme Malick filme les arbres.

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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Hugues le 18 Mar 2012, 12:50

Ce que Silverwitch énonce, je crois, c'est que l'oeuvre d'art est tel un prisme vers l'invisible. Pas plus que le prisme ne contient l'arc en ciel, elle ne montre explicitement cet invisible à révéler du monde. La représentation ne figure pas l'invisible à révéler, ce qu'elle figure est un moyen pour atteindre cet invisible.
L'invisible se révèle par le contact alchimique de l'oeuvre (le regard de l'artiste) et de l'âme humaine qui le regarde. C'est la rencontre de deux regards.
C'est la conjonction de ton regard sur un autre regard.

Aussi peu importe le physique que le film offre à John Smith. Ca n'est pas juste la représentation singulière qui importe (ici la "beauté" des personnages) mais, au contact de ton regard, finalement ce que tu en retiens, ce t'apprenne ce que font ces corps, et ce que disent les voix de ces âmes...
Peu importe donc qui prête son enveloppe à Matoaka et John Smith, à John et Rebecca Rolfe. Le film n'en aurait pas été différent, et d'autant moins que l'interprétation tient ici avant tout de la direction d'acteur.
Leur beauté hollywoodienne, à laquelle tu t'arrêtes, ça n'est pas finalement l'invisible à révéler, ça n'est pas un regard de l'auteur, elle est accessoire, elle n'est qu'un medium de la présence des êtres (et ce d'autant plus quand on sait les raisons du choix de Farrell, que j'évoque ci-dessous). L'invisible à révéler n'est pas visible à l'écran, sur la toile, il est tout aussi invisible qu'il est dans la réalité, mais il est présent, inonde, hante l'image et se révèle quand tu le regardes.

Comme si la lumière avait besoin de se refléter deux fois, en deux regards pour le révéler

C'est pour cela, finalement, que pour parler plus spécifiquement de Malick, dans ses deux derniers films, de manière différente, l'essentiel semble hors champ.
Par l'ellipse dans Le Nouveau Monde, où chaque scène ne semble qu'un fragment isolé, sans forcément de linéarité, au hasard d'un plus grand ensemble qui par touche impressionniste laisse à l'imagination construire les liens, ces vies plus grande que le film. (Ces mots sont vrais pour toute l'oeuvre. Mais c'est ici plus poussé encore, plus vrai)
Par le regard de la caméra dans The Tree of Life, qui capte l'instant comme l'oeil le ferait face à l'inattendu. Le souvenir que Malick nous offre, il ne reproduit ici volontairement pas la magnification de la mémoire humaine capable de réinventer un point de vue, de se remémorer quelque chose qui était hors vue. Non, ici tout fuit le champ, et souvent on ne perçoit des êtres que les sons, les voix, les cris. Et cognitivement, notre mémoire, confrontée à la même incomplétude que si c'était notre propre regard, recrée un souvenir.



Alors si c'est le cas, que l'apparence physique de Smith est accessoire, pourquoi Colin Farrell.. (Tout ce qui suit est bien prosaïque.)
Pour une raison anecdotique et extérieure à l'oeuvre: le hasard, les circonstances, parce qu'il n'y aurait pas eu de films sans lui. A l'époque, Malick va faire le premier film qu'il arrive à monter parmi ses projets en concurrence (entre autres, Le Nouveau Monde et Che*, qui deviendra lorsqu'il l'abandonnera celui de Soderbergh).. Et puis soudainement, tout se débloque sur Le Nouveau Monde, un script qui murit depuis 30 ans, dont la première version date d'avant même le tournage de La Balade Sauvage.. Alors que un fond international indépendant avait été mis en place depuis plus d'un an et demi sans rien boucler et ce malgré l'égide et le talent de l'ex-patron de la Fox , l'agent de Farrell (qui n'est qu'un parmi une vingtaine d'acteurs à avoir reçu le script du film) fait remonter le script au président de New Line qui souhaite enrôler Farrell et le courtise de ses assiduités depuis plusieurs années, sans succès. Et du jour au lendemain, New Line organise une rencontre avec Malick et ses co-producteurs, et tout se fait..

Ca n'est pas finalement différent du couple Cruise-Kidman d'Eyes Wide Shut. Qui n'est qu'une contrainte extérieure avec laquelle il faut faire avec... Pour financer, et pour que les films soient distribués et vus..
Contrainte dont Malick se libère dès qu'il peut: par une pirouette dans La Ligne Rouge en transformant au fur et à mesure qu'il tourne et en salle de montage les grands noms de l'affiche et leurs personnages initialement centraux en figurants, ou en donnant naturellement le premier rôle à des enfants dans The Tree of Life, transformant Brad Pitt en faire-valoir tout en lui offrant l'un de ses meilleur rôles et Sean Penn en une ombre pourtant bien plus utile que ne le croit l'acteur. En révélant des visages inconnus, qui ne restent souvent que les talents que d'un seul film...

Voilà, j'ai fini,
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vous pouvez reprendre une activité normale un débat normal.
Faites comme si je n'avais rien dit.

Hugues (qui a certainement explicité n'importe quoi de ce que voulais exprimer Silverwitch :oops: :D :? :oops: )

*: toi qui avait envisagé pour rire l'idée d'un film sur Chevènement :D tu ne croyais pas si bien dire!
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Cortese le 18 Mar 2012, 13:24

Un peu comme dans "Je n'ai pas tué Lincoln" de John Ford, qui reste un très bon film malgré la présence dans le rôle principal de Warner Baxter que beaucoup de gens (dont moi) s'accordent à trouver peu engageant et qu'on aurait aimé voir remplacé par un autre, mais qui était là un peu par défaut sans doute.

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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Silverwitch le 18 Mar 2012, 13:27

Shunt a écrit:Il se trouve que la création cinématographique - de par son simple coût - est davantage soumise à des considérations extra-artistiques. La peinture ou la sculpture ne sont pas des produits de consommation courante. Un film, si, tout comme le sont devenus les livres ou la musique.


Cette digression est assez vaine. Il y a un usage social du côté productif, et du côté de la réception. Tout cela est extra-artistique, puisqu'une production esthétique se regarde sous l'angle de la relation entre l'oeuvre et son spectateur.

Que le cinéma reste du cinéma. Ca n'en fait pas pour autant quelque chose de vide et d'inintéressant.


Ah bah, tout est dit.

Le dispositif théâtral crée de lui-même une distance, qui favorise le recul, l'attitude critique, l'analyse. Le cinéma abolit davantage les distances. Il n'y a plus de scène, plus de rideau. La frontière avec le monde réel est plus floue. Il est plus compliqué de prendre du recul devant un film.


Tu confonds le rapport psycho-cognitif avec un médium et le point de vue, construction géométrique abstraite. L'écran de cinéma est une fenêtre, exactement comme la scène. Ce qui crée l'attitude critique, ce ne sont pas les propriétés physiques. Pour le dire autrement, un roman de Barbara Cartland est plus proche d'un film comme Love Story, que d'un film de Kubrick ou d'Andreï Tarkovski.

Je pourrais d'ailleurs écrire que le propre d'une oeuvre d'art, avant d'être objet de plaisir ou de connaissance, s'offre d'abord à l'esprit comme objet d'interrogation, d'enquête, sous une forme énigmatique. Un peu comme si toute oeuvre de l'esprit était une enquête policière pour ses héros comme ses spectateurs.

A cette différence près que le tableau n'impose pas son rythme au spectateur comme le fait le montage cinématographique. On peut regarder un tableau pendant 5 minutes ou pendant 2 heures. Ce qui n'est pas le cas d'un film, en tout cas lors d'un projection cinématographique.


Eh, oui mon bon monsieur, le cinéma c'est du cinéma. Le cinéma articule de l'espace et du temps, exactement comme le fait le théâtre mais dans un espace géométrique abstrait, exactement comme une photographie ou un tableau.

Mais ce n'est pas ce que fait pourtant Malick lorsqu'il filme la nature. Là, il parvient par le choix du cadre et de la lumière à transcender l'ordinaire. Un arbre en contre-plongée, une rivière en longue focale, un plan serré sur les rides formées sur l'eau par le vent...


C'est exactement ce que fait Malick quand il filme la nature.


C'est exactement ce que je dis.


Malick filme les êtres et les choses à l'identique. Il montre l'Homme dans le monde, ou plus exactement le monde est l'échelle de l'Homme. Les deux sont liés, comme l'escargot et sa coquille, c'est ce que Heidegger entend avec l'être au monde, in-der welt-sein. Tu le remarquerais si tu te penchais à nouveau sur la construction abstraite du point de vue et de la focalisation dans ses films.


Mais je n'ai jamais dit le contraire ! Ce que tu dis illustre exactement ce que je reproche à Malick. En choisissant un "beau gosse" à la mode pour incarner John Smith, Malick fait en sorte qu'il soit vu à l'identique par des regards singuliers. Il ne nous fait absolument pas passer de la singularité à la généralité. Ca, c'est qu'il aurait pu faire en choisissant un John Smith physiquement plus proche du véritable John Smith et en tentant de saisir le "beau" en lui. Ce qui est une démarche tout à fait différente.


C'est quoi le véritable John Smith ? Il n'existe pas, il s'agit d'un personnage, d'une abstraction. Passons. S'il s'agit d'un personnage historique, je ne sais pas à quoi ressemblait cet homme quand il rencontre une jeune fille au Nouveau Monde, ce que je sais c'est qu'il s'agit d'un homme de 27 ans et non d'un barbon.

Ce que je sais, c'est que le film a une perspective narrative et que ce personnage a une fonction: c'est l'éblouissement de la rencontre, le coup de foudre, l'essence de la rencontre amoureuse. Le film construit donc ce que l'on nomme un point de vue: il veut que nous regardions Smith comme s'il se réfléchissait dans la pupille de Pocahontas. Cet homme obsédé par le rêve, par une fuite vers un ailleurs toujours plus abstrait (Les Indes) fait la rencontre d'un autre être et sa voix silencieuse rencontre alors un écho:







Regarde dans le premier extrait la construction du point de vue, comment est traitée la rencontre entre deux êtres, qui fait subtilement écho à la beauté du monde, permettant au spectateur de faire l'épreuve de l'harmonie. Si tu dois mener une enquête pour découvrir le sens, ou plutôt le mot clé qui éclaire le point de vue dans ces séquences, ce serait peut-être ces mots admirables: m'ouvrir à toi. Le monde était un rêve sans réalité pour John Smith, voilà que grâce à cette rencontre, on découvre que l'amour est cette réalité même dont le monde est le rêve, ce point où l'on s'ouvre véritablement à l'Autre. Comment le faire éprouver au spectateur ? C'est en tout cas ce qu'il montre, deux êtres qui abolissent en eux tout secret pour accueillir en chacun le secret de l'être aimé.

Qui a aimé connaît cette sensation, la lumière miraculeuse qui donne à celui ou celle qu'on aime un relief et une densité extraordinaires, réalité invisible qui oblige le monde visible à reculer et à s'amincir.

Tout le film nous oriente vers une fin, ce partage sensible de cet éblouissement amoureux avance déjà vers sa rupture et une rencontre qui n'est plus du même ordre:




Malick nous montre avec beaucoup de justesse que l'appréciation de la beauté du monde est une question de regard. En revanche, la beauté humaine est présentée comme une évidence. Ou qui paraîtra comme une évidence au plus grand nombre.


:?

Le cinéma de Malick est un cinéma de la co-présence, il donne à voir les regards singuliers mais dans une perspective plus vaste, celle d'une harmonie universelle (que je qualifie de perfection) qui permet au spectateur d'accéder au spectacle de l'univers toujours recommencé. Cela n'empêche en rien la violence, la mort, la souffrance, le désir et l'absence. John Smith ne trouvera jamais ses Indes, le soldat joué par Ben Chaplin dans La Ligne Rouge qui aime son épouse avec passion verra son épouse lui demander de l'aider à le quitter, Kit (Martin Sheen) ressemble bien à James Dean, mais c'est un meurtrier doublé d'un crétin vaniteux, et Broooke Adams continuera sa vie après la mort de Richard Gere dans Les Moissons du Ciel. Toutes ces relations sont éclairées par une lumière similaire, une lumière magique, une lumière céleste:

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Il faut donc accepter de se reconnaître en Colin Farrell, accepter de se reconnaître en Christian Bale, deux faces d'une même réalité. Se connaître, c'est faire de soi un autre et se confronter avec un autre. Connaître l'Autre, c'est pénétrer en moi et me reconnaître en lui. C'est découvrir dans Colin Farrell le spectacle d'un acte que je ne saisis en moi que dans son exercice pur.

Un personnage, qu'est-ce que c'est ? Un reflet de moi-même dont les traits sont parfois inversés, parfois plus marqués, parfois atténués, mais toujours complémentaires des miens. Une image est toujours fidèle et infidèle. C'est la raison pour laquelle dans Le Nouveau Monde comme dans Les Moissons du Ciel, les personnages masculins vont par deux. Les personnages ne prennent forme que s'ils sont mis en perspective dans une narration.

Si tu reprends l'exemple de L'Homme qui tua Liberty Valance analysé plus haut par Cortese, seul le point de vue donne du relief aux personnages de John Wayne et James Stewart, parce qu'un film met non seulement en relation l'espace, les êtres et les choses, mais également le temps. Les deux temps de l'amour chez Malick répondent aux deux temps, celui de l'honneur qui s'efface pour laisser place à la loi chez Ford. L'honneur disparaît dans le déshonneur, l'amour fusionnel laisse une blessure qui permet l'amour-amitié.

La différence avec un oiseau ou une biche, c'est que tu accèdes directement à la généralité, contrairement à ce qu'il se produit quand tu regardes un être humain. Le regard d'un être humain sur un autre être humain, c'est un processus. Pour voir plus profond que l'apparence, il faut construire un point de vue qui fait accepter cette démarche. Ainsi un auteur romantique comme Victor Hugo peut aller chercher le beau dans la difformité, celle d'un bossu, comme celle d'une aveugle. Mais cette construction n'existe que par un jeu entre l'apparence et l'essence.

Vois les choses autrement: comment regardes-tu tes parents, tes amis, ceux que tu aimes ? Tu regardes leur âme, et non plus une apparence. Quand tu en fais de même avec un inconnu qui bouge et vit sous tes yeux, il faut un temps (parfois très court, c'est l'éblouissement du coup de foudre, quand l'apparence se confond avec l'essence) pour que tu apprivoises ce prochain. Le film de Malick veut te donner une vision qui tient de la première fois, d'une première fois toujours recommencée. C'est l'essence du regard amoureux.


Mais le regard amoureux n'est pas conditionné par la seule "plastique". Ce qui nous attire chez l'autre ne se limite pas à ça. C'est tout un tas de choses difficilement définissables, des "je ne sais quoi", des détails, des attitudes, le mystère, la force, etc... Le charme ne se limite pas à la beauté plastique. Sinon - pour prendre un exemple trivial - comment expliquer que tant de femmes aient pu avoir le coup de foudre pour Serge Gainsbourg ou Jean-Paul Sartre.


Relis mon paragraphe. Comment passes-tu de l'apparence à l'essence ? Par deux conceptions de l'amour, deux conceptions de l'amour qui sont illustrées par le film de Malick, de Colin Farrell à Christian Bale, c'est le regard de Pocahontas qui unit ces deux regards amoureux afin de permettre une connaissance plus complète.

Je trouve juste que la façon qu'a Malick de rendre visible l'idée de Beau, quand il s'agit des êtres humains, est un peu facile. Et ça ne se limite pas au "Nouveau Monde".


Ton analyse est tout simplement incomplète. Qu'est-ce que le soi ? Est-ce qu'un homme, c'est un corps et une âme ? Le corps est un outil comme l'est le langage pour celui qui parle. L'homme se distingue de son corps. Alors comment nous connaître ? Si je me regarde dans un miroir, je ne vois qu'un reflet, un reflet de mon corps. Je vois un instant de mon visage, un visage changeant, qui sera toujours singulier sur chacune des photographies que l'on pourrait prendre. Une photographie ou un miroir ne me permettront pas de me connaître, sinon quelques éclats brisés qui conservent un peu de mon âme.

La seule solution, c'est de se voir dans les yeux d'un autre, dans l'iris, en grec koré, ce qui signifie jeune fille ou poupée, en français pupille, petite fille, prunelle. Malick a mis en place un dispositif qui double cette propriété de la représentation: quand je regarde l'être aimé, c'est dans la pupille où passe le regard que je me vois moi-même. C'est l'intellection qui permet à mon âme, regardant une autre âme de me connaître.

Dans l'étoile de l'oeil se trouve la lumière magique de la connaissance. Malick nous propose donc de voir les êtres, les choses et le monde avec notre oeil intérieur. S'il part de la beauté sensible, celle de Colin Farrell ou de la jeune fille qui joue Pocahontas (aussi lumineuse et touchante que peut l'être Carey Mulligan dans Drive), ce n'est pas une fin. On sait que le Beau se trouve d'abord dans la vue et que le regard du spectateur se tourne d'abord vers la beauté sensible. La beauté sensible a ici pour vocation de nous entraîner vers la beauté intelligible, vers l'éclat de l'étoile qui brille en nous. C'est l'impératif de Plotin:

"Reviens en toi-même et regarde !"

Si nous pouvons aller du regard du corps vers le regard de l'âme, alors grâce à la médiation cinématographique, nous avons un miroir pour regarder notre âme dans la pupille d'une autre âme. C'est ce bref moment où le visible rencontre l'invisible. Malick cherche à le faire coïncider, la beauté sensible et la beauté intelligible, l'idée de Beau, l'harmonie enfin.

Plotin:

"Car il faut que l'oeil se rende pareil et semblable à l'objet vu pour s'appliquer à le contempler. Jamais un oeil ne verrait le soleil sans être devenu semblable à lui, ni une âme ne verrait le beau sans être belle. Que tout être devienne donc d'abord divin et beau, s'il veut contempler Dieu et le Beau".

http://fr.wikisource.org/wiki/Du_beau

Ce que cherche Malick, c'est une vue abstraite similaire à celle de Kubrick, ou à celle de Rembrandt. Il prend un chemin singulier, celui de la rencontre entre l'aurore et le crépuscule. Ce moment où l'origine touche à la fin, en formant un anneau (un ring, d'où le prélude de l'Or du Rhin qui ouvre et ferme le film), c'est l'éternité.

Pourtant Malick n'a pas besoin d'"idéaliser" la nature dans ses films. C'est son regard qui la transcende.


L'idéalité, ce n'est pas la nature, c'est le monde.
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Shunt le 18 Mar 2012, 13:49

Hugues a écrit:Leur beauté hollywoodienne, à laquelle tu t'arrêtes, ça n'est pas finalement l'invisible à révéler, ça n'est pas un regard de l'auteur, elle est accessoire, elle n'est qu'un medium de la présence des êtres (et ce d'autant plus quand on sait les raisons du choix de Farrell, que j'évoque ci-dessous).


Je pense que la question de la représentation de l'Homme n'est pas accessoire mais primordiale. Et décevante chez Malick. Ce qu'il y a de remarquable dans ses films, c'est cette façon magistrale qu'il a de nous montrer le monde, la nature. Ce qu'il faut retenir des films de Malick - et du "Nouveau Monde" en particulier - c'est qu'il faut apprendre à voir le monde pour mieux l'habiter. Par contre, je trouve qu'il échoue esthétiquement à nous montrer les Hommes pour mieux vivre ensemble.

Dans le film, Pocahontas est une jeune femme terriblement sexy et John Smith un beau mâle ténébreux. Leur attirance mutuelle est évidente, le mystère très vite dissipé... il est beau, il est belle, ils sont attirés l'un par l'autre... là où le regard est présenté comme un enjeu principal dans notre rapport au monde, il devient accessoire dans notre rapport aux autres, puisque déterminé par l'évidence.

Or dans le "Nouveau Monde", Malick confronte l'altérité à l'universalité, pour mieux confondre ces deux concepts. Le souci, c'est que l'altérité est un enjeu très vite réglé et évacué.

Alors si c'est le cas, que l'apparence physique de Smith est accessoire, pourquoi Colin Farrell.. (Tout ce qui suit est bien prosaïque.)
Pour une raison anecdotique et extérieure à l'oeuvre: le hasard, les circonstances, parce qu'il n'y aurait pas eu de films sans lui. A l'époque, Malick va faire le premier film qu'il arrive à monter parmi ses projets en concurrence (entre autres, Le Nouveau Monde et Che*, qui deviendra lorsqu'il l'abandonnera celui de Soderbergh).. Et puis soudainement, tout se débloque sur Le Nouveau Monde, un script qui murit depuis 30 ans, dont la première version date d'avant même le tournage de La Balade Sauvage.. Alors que un fond international indépendant avait été mis en place depuis plus d'un an et demi sans rien boucler et ce malgré l'égide et le talent de l'ex-patron de la Fox , l'agent de Farrell (qui n'est qu'un parmi une vingtaine d'acteurs à avoir reçu le script du film) fait remonter le script au président de New Line qui souhaite enrôler Farrell et le courtise de ses assiduités depuis plusieurs années, sans succès. Et du jour au lendemain, New Line organise une rencontre avec Malick et ses co-producteurs, et tout se fait..


Ca montre que le cinéma est avant tout un art... du compromis. ;)
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Shunt le 18 Mar 2012, 14:56

silverwitch a écrit:C'est quoi le véritable John Smith ? Il n'existe pas, il s'agit d'un personnage, d'une abstraction. Passons. S'il s'agit d'un personnage historique, je ne sais pas à quoi ressemblait cet homme quand il rencontre une jeune fille au Nouveau Monde, ce que je sais c'est qu'il s'agit d'un homme de 27 ans et non d'un barbon.


Et Pocahontas avait 12 ans.

Regarde dans le premier extrait la construction du point de vue, comment est traitée la rencontre entre deux êtres, qui fait subtilement écho à la beauté du monde, permettant au spectateur de faire l'épreuve de l'harmonie.




Un peu cliché non ? Ca ressemble quand même beaucoup à ça :

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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Shunt le 18 Mar 2012, 15:53

silverwitch a écrit:La seule solution, c'est de se voir dans les yeux d'un autre, dans l'iris, en grec koré, ce qui signifie jeune fille ou poupée, en français pupille, petite fille, prunelle. Malick a mis en place un dispositif qui double cette propriété de la représentation: quand je regarde l'être aimé, c'est dans la pupille où passe le regard que je me vois moi-même. C'est l'intellection qui permet à mon âme, regardant une autre âme de me connaître.

Dans l'étoile de l'oeil se trouve la lumière magique de la connaissance. Malick nous propose donc de voir les êtres, les choses et le monde avec notre oeil intérieur. S'il part de la beauté sensible, celle de Colin Farrell ou de la jeune fille qui joue Pocahontas (aussi lumineuse et touchante que peut l'être Carey Mulligan dans Drive), ce n'est pas une fin. On sait que le Beau se trouve d'abord dans la vue et que le regard du spectateur se tourne d'abord vers la beauté sensible.


La Beauté sensible est une question... de point de vue (ce que nous montre Malick). La Nature sauvage et "vierge" d'un monde nouveau et inconnu peut effectivement conduire à l'émerveillement.

Mais elle est aussi source d'effroi, de vertige.



Je comprends le malaise de Cortese vis-à-vis du "Nouveau Monde" car ce film évacue un peu rapidement et facilement la question de l'altérité. Si la beauté sensible du Nouveau Monde et des gens qui la peuplent est une évidence, difficile de comprendre la violence du fait colonial.
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Silverwitch le 18 Mar 2012, 16:06

Shunt a écrit:Et Pocahontas avait 12 ans.


L'actrice qui joue ce rôle avait quatorze ans, quand Colin Farrell avait exactement l'âge du rôle.



Un peu cliché non ? Ca ressemble quand même beaucoup à ça :



Tu trouves ? Peut-être que les deux scènes ressemblent aussi à ça:

"Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue;
Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ;"


Toutes les grandes scènes romanesques qui décrivent un coup de foudre reposent sur des fondations communes, notamment le premier regard, l'échange des regards, les effets sur les corps (foudroiement, stupeur), l'immédiateté, la fascination, la commotion...

La figure de style mise en avant, comme dans Phèdre, c'est la parataxe. L'emploi de moyens cinématographiques qui permettent de traduire l'instantanéité de l'éblouissement amoureux. Tu me permettras néanmoins d'être en désaccord: les deux séquences mises en exergue ne montrent ni ne démontrent la même chose.

Revenons à Malick. Cette séquence n'est pas séparée du reste du film, et pour mieux la comprendre, il ne faut pas oublier que Pocahontas fait deux rencontres. C'est cette conjonction qui permet au sens de se livrer.

Qu'est-ce que l'amour ? C'est faire vivre dans le temps la flamme de la première rencontre qui brille en nous, c'est-à-dire que l'amour, c'est réconcilier l'extase et la durée. Pocahontas est celle qui joint, celle qui unit les deux temps de l'amour, l'extase (John Smith-Colin Farrell) et la durée (John Rolfe). C'est à travers sa pupille (jeune fille) que notre âme éprouve l'essence du regard amoureux (connaissance érotique et connaissance affective) et prendre son envol à travers le monde invisible (l'attelage ailé du mythe de Phèdre) pour accéder à l'envers du monde. L'amour est cette réalité dont le monde est le rêve.

"Car il faut que l'oeil se rende pareil et semblable à l'objet vu pour s'appliquer à le contempler. Jamais un oeil ne verrait le soleil sans être devenu semblable à lui, ni une âme ne verrait le beau sans être belle. Que tout être devienne donc d'abord divin et beau, s'il veut contempler Dieu et le Beau".
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