Shunt a écrit:A la différence près les personnages de justiciers que tu cites - incarnés par Fonda, Eastwood ou Bronson - sont des mâles virils, mûrs, adultes, maîtres d'eux mêmes. Ils gèrent la situation en toute circonstance et ne perdent jamais le contrôle (même s'il leur arrive de mourir une fois leur mission accomplie). Ils n'ont peur de rien et déstabilisent les méchants. Leur violence est brutale mais clinique, nette et sans éclaboussure.
C'est une différence qui n'en est pas une. Que demain un réalisateur tourne un
remake du
Sabrina de Billy Wilder, en faisant du personnage incarné délicieusement par Audrey Hepburn une prostituée au grand coeur ne modifiera en rien le
sens du film ! Le film
montrera non plus la fille du chauffeur, mais une fille des rues (description), cependant qu'il
démontrera toujours la même chose: une histoire d'amour dans laquelle l'amour vient à bout des tabous sociaux avec en conséquence une ascension sociale (prescription).
Il est primordial d'identifier ce que le film veut démontrer, pour ne pas laisser piéger par ce qu'il montre. Que la figure du vengeur ait les traits acérés de Charles Bronson dans
Death Wish, ou le visage poupin de Ryan Gosling n'a aucune importance, pas plus qu'on ne fasse du vengeur une femme ou un homosexuel. Ce ne pas de l'originalité, c'est de l'enrobage.
Ms.45, Abel Ferrara
Kill Bill, Quentin Tarantino
The Brave one, Neil Jordan
Double Jeopardy, Bruce Beresford
An Eye for an Eye, John Schlesinger
Combien d'exemples encore pour comprendre que c'est toujours le même film, n'était l'enrobage ?
Shunt a écrit:Le héros de "Drive", c'est un gars immature, timide, instable et faillible. Tu imagines Bronson ou Eastwood dans cette scène ?
Ce qui compte c'est ce qu'ils font et comment le film le justifie. À ce compte, une série comme
Dexter va beaucoup plus loin dans l'étude de caractères que
DriveShunt a écrit:Bronson et Eastwood incarnent des personnages consolatoires, cathartiques, qui nous vengent collectivement contre les injustices du monde... ils sont le père, le grand frère, l'amant, le protecteur idéalisé, qui ne se laisse pas distraire ou dépasser par la contingence. Ils incarnent la foudre divine qui s'abat sur le pêcheur.
Je ne crois pas. Que nous dit la fin de
Death Wish ? Que les rôles ont été inversés, que le vengeur est devenu identique à ceux qu'ils combat: un prédateur, un tueur.
Shunt a écrit:Ce sont presque des demi-dieux, et c'est cette essence divine qui les empêchent de vivre durablement aux côtés des gens ordinaires, des simples "mortels". S'ils repartent vers l'inconnu à la fin du film, ce n'est pas en raison de leur incapacité à vivre, c'est parce qu'ils sont chargés d'une mission. Ce sont des missionnaires, des évangélistes.
Dans les mauvais films, pas dans les bons.
Shunt a écrit:Le personnage de Gosling dans "Drive" n'a absolument rien de cela. Oui, le film s'inspire clairement des films de justicier. Mais le justicier ici est désacralisé, mis à nu.
Mais ça fait plus de cinquante ans qu'on
désacralise le justicier ! Encore faut-il le faire bien pour que cette entreprise ne sombre pas dans l'indifférenciation assumée, où ne reste que la violence.
L'Appât, Anthony Mann
Le chef d'oeuvre d'Anthony Mann a près de soixante ans et nous présente un rapport complexe et ambigu, non seulement vis à vis du personnage principal, incarné par James Stewart, mais des rapports entre le justicier et les crapules.
Shunt a écrit:Je comprends le sens de ta critique, en gros, pour toi, Winding Refn s'est arrêté au milieu du gué. Il n'est pas allé au bout de sa démarche de distanciation, de sa relecture "critique" du genre. Ca peut s'entendre.
La relecture critique du genre, elle a été conclue avec
Taxi Driver, de Martin Scorsese:
Shunt a écrit:C'est que je crois au cinéma classique, où l'action est un révélateur, où il y a de place pour ce qui nous élève. Je suis avant tout une inconditionnelle de John Ford: j'aime le cinéma qui nous change, quitte à nous mettre à l'épreuve. Un monde où il y a de la place pour l'Homme.
Est-ce que ce n'est pas consolatoire aussi d'une certaine manière ?
Je ne pense pas. Il y a une différence de nature, irréconciliable entre ça:
VigilanteEt ça:
Runaway Train, Andrei Konchalovsky
Ou même ça:
To Live and Die in L.A., William Friedkin
Encore une fois parce que tout est question de point de vue, de sens du tragique, de conflit entre la Loi et le Désir, entre l'Ordre et le Désordre. Va savoir, si en fin de compte ce n'était pas le moindre mal, l'indifférenciation à la sauce série B des années 70: