
Vous savez ce que c'est, ça?
Moi non plus. Oh, non pas que ce morceau de plastique (PVC, peut-être) ait en lui-même une quelconque importance, mais voilà, sa localisation à l'instant précis où je l'ai découvert est, sans doute, à l'origine de ma nuit presque blanche, disons grise, terne, et floue.
Ce bout de rien, cette vulgarité industrielle, se trouvait posée là, à côté de mon oreiller, lorsque je me suis couché, à ma grande stupeur, nez à nez avec elle, pas bien tôt, hier soir.
Il n'est pas un secret que je vis seul. Seul depuis que me fut délivré officiellement (ce devait être en janvier 2009, une nuit pluvieuse suivie d'un matin puis de plusieurs jours pénibles) mon certificat d'inaptitude chronique au bonheur partagé (ça se traite -de tous les noms- mais il faut du temps).
S'il est une personne de confiance possédant au cas où le double de chacune de mes clés (moi-même, j'ai les siennes), elle était avec moi ce soir-là, or ce soir-là, donc, nous étions dehors et ensemble, et avant cela elle était ailleurs, assez loin, en plus de n'avoir aucune raison vraiment valable de s'être aventurée chez moi, et surtout pas à cet endroit-là.
Le principal suspect disculpé, demeure cette question: comment ce machin, anonyme et manifestement brisé, s'est-il retrouvé sur le dépôt de mes songes en coton (l'oreiller, pas mes songes, encore que), alors qu'il n'appartient, je l'ai vérifié, à aucun objet officiellement recensé de l'incroyable monceau d'inutilités qui jonche mon intérieur?
Toujours est-il que quelque chose explosa alors dans un indescriptible fracas, et ce fut la sérénité jusqu'ici au moins relative habituellement prodiguée par ma couche, et, par extension, ce nid même pas douillet dont je loue les services accueillants 485 euros le mois (ce qui n'est pas tellement cher une fois considérés la crise du logement et les tarifs en vigueur sur La Plaine, à Marseille). Cette garce se fit instantanément la malle, et, dans ma folie, je crus l'entendre rire.
Ce modeste sanctuaire de 35m², soudain, prit des allures de tombeau.
Quelle curiosité, tout de même, l'esprit humain. Il eut fallu me voir, irrationnel, frénétique, presque tremblant, inspecter chaque recoin de l'appartement à la recherche du moindre indice prouvant ou invalidant l'effraction dont je me sentais victime au plus profond de moi.
Rien. Il ne me manquait rien. Et rien n'avait bougé en mon absence.
Cet argument seul eut normalement suffi à me rassurer: j'étais toujours chez moi, chez moi et personne d'autre.
Mais s'il ne manquait rien, il était cette chose en plus. Inoffensive, légère comme une plume et à la pitoyable inutilité.
Il fait encore chaud ici, chaud comme j'aime, et un soleil de chaque instant m'accompagne. Même en mon absence je laisse donc tout le jour, et une bonne partie de la soirée, mes fenêtres grandes ouvertes. J'habite au second, ma rue est très fréquentée, jonchée de boutiques, et les gens me connaissent aussi bien que je les connais, par le caractère précisément cyclique de nos allées et venues: je n'ai rien à craindre d'une éventuelle intrusion par l'extérieur, elle serait immédiatement remarquée et le monte-en-l'air appréhendé.
L'explication était donc toute trouvée, banale, presque attendue: quelqu'un, par la ruelle, ou de l'un des appartements en vis-à-vis du mien (je ne suis même pas certain que dix mètres nous séparent), a vigoureusement jeté cette chose grise et éclatée dans mon espace, à travers la béance de mes fenêtres.
4m30. Savez-vous à quoi correspond cette mesure? Je viens de l'établir, c'est la distance à parcourir entre mon oreiller et l'orifice présumé par lequel jaillit sans doute l'objet qui nous intéresse ici (enfin, moi en tout cas, il m'intéresse).
La malveillance ne fait dès lors aucun doute, même si j'ai évidemment le bon sens de ne surtout pas la croire dédiée à ma personne. Le mec (une fille ferait ça?) a lancé fort, probablement le plus fort qu'il a pu.
Mais pas sur moi précisément, juste pour le défi que représentait cet orifice offert quoi qu'un peu lointain, et la perspective d'en atteindre le fond. La symbolique de la pénétration au moins vaginale est ici clairement apparente, mais peu importe.
Enfin, "peu importe"... Ou pas d'ailleurs, sinon comment expliquer le désarroi profond dans lequel je me retrouvai plongé, sur le coup des 1h du matin, assis dans mon lit, quelques grammes de plastique gris dans la main droite écrasée sous le poids de mon regard incrédule et pressant.
Désemparé, roulant, soufflant, cette nuit-là le sommeil ne put, lui, faire effraction.
Pour un morceau de plastique gris sur mon oreiller.