Fatcap a écrit:Ca je ne discute pas que, sur la forme, films, documentaires, et articles sur le sujet virent très facilement au moralisme. C'est pratiquement inévitable : les réalisateurs, les activistes, sont souvent émotionnellement investis, à moins d'être de purs scientifiques. Il m'est moi-même très difficile de ne pas céder à mes émotions là-dessus et de ne pas me transformer en prophète de l'apocalypse... J'ajouterai quand même que, dans mon expérience, les vrais écolos, qui s'intéressent avant tout à l'environnement sans motivation politique du type malthusianisme, pèchent de bonne foi. Pour eux (et pour moi également) la détérioration environnementale est tellement grande, et il est tellement difficile de réduire cet ensemble complexe d'études, de suppositions, d'indices, à quelques phrases simples et chocs, qu'ils peuvent céder à la tentation de se dire "on simplifie, au risque d'exagérer, afin d'essayer de faire réagir la masse du public". C'est à mon avis un mauvais calcul psychologique, puisqu'il provoque le plus souvent une réaction de rejet et de contradiction.
Il n'y a pas que ça. Je pense que nous avons une approche sensiblement différente de la question. Moi je suis plutôt rationnelle, et ma pensée critique est largement tenante d'un double héritage du Grand Siècle français et de l'héritage de la Révolution Française. Et je vois un piège dans l'écologie, une énième tentative de sortir du débat politique, la suite logique du discours hédoniste-libéral qui fit fureur des années 60 jusqu'aux années 90. Je ne vois pas de rupture dans ce qu'il convient d'analyser sous l'angle médical, le désarroi des individus devant une vie dépourvue de sens. L'atmosphère n'est pas vraiment religieuse, mais thérapeutique. Ce que l'on promet ce n'était pas tant le salut de l'âme, que la santé, le bien-être individuel, voire désormais le bien-être de la planète...
Or, l'écologie comme manifeste politique (qui a connu également les faveurs du public lors du mariage entre le courant écolo et le courant hédoniste-libéral) est un projet a-politique de renoncement. Si la faveur des puissants est aussi grande, c'est parce que l'écologie impose un Bien supérieur, venu d'en haut et qui plus est soutenu par la techno-science (d'où la tartufferie des moyens scientifiques toujours plus grands soi-disant au service d'une vie plus simple). Notre différence est évidente, c'est que quelles que soient mes convictions politiques, je crois qu'elles n'ont une vérité que relative, je crois que le Bien n'existe pas, mais qu'il naît d'une volonté commune.
Fatcap a écrit:Une autre approche serait, évidemment, de ne faire aucune concession, de conserver une très haute tenue scientifique au débat, de ne rien avancer qui n'ait été prouvé et publié dans des revues scientifiques, après tout le processus de peer-review. Ce procédé exclut de facto la masse des profanes ; et il laisse le champ libre aux lobbies en tout genre. On en a eu un exemple, bien avant les débats autour de la climatologie ou de l'influence oestrogénique des pesticides, lorsque la question de savoir si il y avait un lien de causalité entre le tabagisme et le cancer du poumon faisait encore rage, dans les années 60. On sait maintenant comment les fabricants de tabac ont financé des études contradictoires bidon, comment ils ont introduit le doute dans le public quand le débat était clos depuis longtemps chez les scientifiques, bref comment ils ont réussi à entretenir l'idée qu'il y avait une controverse de façon à paralyser toute mesure restrictive. Tout cela n'est pas nouveau.
Que nous dit la Science ? Au sens propre, rien du tout. Que la recherche scientifique démontre la nocivité du tabac pour la santé, ne nous dit rien sur la politique à mener, ou alors c'est que tu résumes la politique à une doctrine hygiéniste. C'est d'ailleurs ce que je critique: le droit d'agir (de transformer le monde) est réservé à une caste, sous l'autorité de la techno-science. Où est la place de la délibération politique ? C'est toute la différence entre le "bon" et le "bien". Que le tabac ne soit pas bon ne nous dit en rien qu'il ne serait pas bien.
Pour prendre un autre exemple, quelles que soient les études sur l'efficacité de la peine de mort en termes de prévention de la récidive, de son aspect ou non dissuasif, de ses avantages économiques, tout cela ne me dit rien sur le fait que la peine de mort soit une mesure bonne ou mauvaise. Seule une société donnée peut décider des règles qu'elle veut bien se donner, selon ses propres principes. Je conçois que certaines règles paraissent déborder des cadres habituels, mais enfin, en politique il n'y a ni bien ni mal.
Je t'accorde volontiers que le souci écologique n'est pas irrationnel, je suis convaincue non seulement du caractère néfaste de l'agriculture intensive pour les sols et la diversité des espèces, et j'en suis convaincue aussi pour des raisons morales, sociales, économiques et existentielles. Je ne vois pas pourquoi la connaissance scientifique s'arrogerait seule le droit de nous offrir une image du monde.
Fatcap a écrit:Comme on le voit, aucune de ces deux approches n'est réellement satisfaisante. Il est clair que, comme tu le dis, tu nourris encore des doutes sur le fond. C'est parfaitement compréhensible puisqu'en effet, l'écologie est récupérée et mise à toutes les sauces. Il y a les malthusiens qui, il y a vingt ans, invoquaient la pauvreté et maintenant ont récupéré la notion de "carrying capacity"et d'empreinte écologique au service de la limitation des naissances ; les eugénistes, les élitistes, les impérialistes, qui chacun piochent dans les thèses scientifiques actuelles de quoi soutenir leurs positions. Dans ces conditions, il est normal de se demander si, quand une thèse est ainsi récupérée, la thèse elle-même ne serait pas en faute. Etant moi-même porté à soupçonner des forces occultes, je ne vais pas te jeter la pierre... Je peux simplement redire ma conclusion personnelle : le réchauffement, ou plutôt le changement climatique, est une réalité. L'impact de la pollution, de l'agriculture intensive, sur les sols, est une réalité. Ces réalités sont reprises et intégrées par la machine médiatique, parce que celle-ci excelle à absorber et régurgiter toute idée, y compris la plus subversive, en la castrant en passage. Mais cela reste du show. Tu as l'impression que la dictature écologique est en marche, mais dans les faits il ne s'agit que de reprendre et de neutraliser l'écologie en la canalisant et en la limitant à quelques injonctions soft, du style "acheter bio". En-dehors de ces quelques slogans publicitaires, tout continue comme avant : les OGM progressent (autorisation voilée du MON 810 en Allemagne), les petits paysans disparaissent au nom de la rationalisation économique (exemple des producteurs de lait en Allemagne et en France).
C'est comme ça que je vois les choses à l'heure actuelle. Au fond, on n'est pas très loin. Espérons que bientôt on sera entièrement d'accord
.
Je ne sais pas. Je disais quel était mon sentiment, en parlant du film "Avatar". Je crois que l'écologie a pour fonction première de faire écran aux seuls enjeux essentiels: la lutte des classes et les différents mécanismes de domination et d'exploitation par le système de la techno-science. De prime abord, le système utilise bien l'écologie comme tu le décris, un écran de fumée pour occulter aux yeux des citoyens les mécanismes de plus en plus complexes et de plus en plus monstrueux à l'oeuvre.
Mais je suis aussi persuadée que le projet totalitaire à venir est ailleurs: il s'agit bel et bien d'éliminer l'humanité (ou l'essentiel de l'humanité) surnuméraire parce qu'inutile. C'est la contradiction majeure du projet écologiste: que faire des êtres humains ? D'un côté la techno-science nous mène à notre perte, de l'autre la fin implicite de l'écologie, c'est le génocide de la plupart pour en sauver une minorité. Alors j'ai compris que c'était la techno-science qui permettrait de réaliser le paradis sur terre, avec d'un côté l'amélioration génétique, et de l'autre la stérilisation massive et le suicide "assisté".
Tout ce que je souhaite pour ma part, c'est de remettre l'homme en responsabilité. Cela implique certainement de rompre de manière permanente avec la société de consommation et de remettre la technique et la science à leur place, c'est-à-dire à la marge.
Je trouve très juste ce qu'écrivait Simone Weil en 1934 dans "Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale":
"Nul n'a plus la faible idée ni des buts, ni des moyens de ce qu'on nomme encore par habitude l'action révolutionnaire. Quant au réformisme, le principe du moindre mal qui en constitue la base est certes éminemment raisonnable, si discrédité soit-il par la faute de ceux qui en ont fait usage jusqu'ici; seulement, s'il n'a encore servi que de prétexte à capituler, ce n'est pas dû à la lâcheté de quelques chefs, mais à une ignorance commune à tous; car tant qu'on n'a pas défini le pire et le mieux en fonction d'un idéal clairement et concrètement conçu, puis déterminé la marge exacte des possibilités, on ne sait pas quel est le moindre mal, et dès lors on est contraint d'accepter sous ce nom tout ce qu'imposent effectivement ceux qui ont en main la force [...]
D'une manière générale, les aveugles que nous sommes n'ont guère le choix qu'entre la capitulation et l'aventure. L'on ne peut pourtant se dispenser de déterminer dès maintenant l'attitude à prendre par rapport à la situation présente."Silverwitch