Enfin au calme, ce qui me fait penser que j'ai à répondre à une petite question...
Mufasa a écrit:Fatcap a écrit:Il vous en prie

. Mais sinon, à part Chavez il y a également Daniel Ortega, Rafael Correa, Evo Morales. Nominalement de gauche sûrement, mais du moins dans le cas de Chavez assez intelligents pour être pragmatiques. J'adore comme on aboutit à une inversion des rôles : Chavez l'homme de gauche a en réalité un discours nationaliste et protectionniste ; ses adversaires, classés de droite, sont pro-Américains, internationalistes, et libéraux. Encore une démonstration indirecte de la seule chose que craint véritablement l'école de pensée libérale. La comparaison avec des leaders type sociaux-démocrates comme Lula est très éclairante, je trouve.
Question: est-ce pour ces raisons (nationalisme & protectionnisme) qu'un pro-Chavez comme toi soutien Le Pen en France (question non aggressive) ?
Pour ce qui est de Chavez classé à gauche, je n'ai pas pensé vraiment à l'inversion des rôles: je pense qu'on peut le mettre véritablement à gauche étant donné que le principe qui semble guider sa politique est celui de justice sociale et redistribution des richesses, dans un pays (et un continent) où les inégalités sont les plus fortes au monde. Quant au nationalisme, oui, mais il me semble qu'il s'est montré aussi très tolérant des minorités (envers les indiens, je crois)..
La principale raison, avant tout, est que Chavez, de même que Le Pen, est un obstacle à... Je ne sais jamais comment définir ça en fait. Un mouvement de pensée ? Un culte ? Une secte de fanatiques convaincus que leur mission est de transformer la planète en un vaste supermarché. Démocratique, cela va sans dire, avec une totale liberté d'expression, tant qu'on ne se pose pas la question de savoir qui exactement, et dans quel but, dirige la supérette.
Par ailleurs il se trouve que les deux sont d'anciens militaires avec une grande gueule et un certain sens de l'humour

.
Ce qui me plaît chez Chavez donc, c'est la nationalisation de la société pétrolière vénézuelienne ; qu'il fasse chier cette sale ploutocratie vénézuelienne de merde qui pendant les 50 ans qu'elle est restée au pouvoir sans discontinuer, n'a pensé qu'à s'en mettre plein les poches et à gérer ce pays comme un distributeur ; qu'il n'hésite pas à ne pas renouveler la licence d'une chaîne de télévision (si seulement ça pouvait arriver à TF1, qui est un peu l'équivalent de la RCTV d'après ce que j'ai cru comprendre) ; qu'il ait un certain respect envers les cultures indiennes au contraire des beaufs qui les font buter pour construire des autoroutes ou des plate-formes pétrolières ; bref que par son action, directe ou indirecte, il soit un obstacle.
Ce qui ne me plaît pas c'est son emploi d'une rhétorique socialiste. Mais comme c'est un socialisme assez original, pas vraiment marxiste, qu'il n'a pas ouvert de goulags ni de kolkhozes et a choisi une approche pragmatique, ça ne me dérange pas plus que ça. L'important est ailleurs, et Chavez ne fait pas chier les USA parce qu'il se dit de gauche. Si l'hostilité américaine se basait sur l'idéologie, la Chine ne serait pas le premier exportateur aux States...
Reste à voir comment ça va évoluer. La principale erreur que fait Chavez à mon avis, c'est d'être trop dépendant des revenus du pétrole et de s'en servir pour créer une sorte de bien-être artificiel. Il est pourtant au courant du peak oil d'après ses discours, j'aimerais donc qu'il essaie de développer un modèle de société post-pétrole, par exemple en favorisant le développement d'une agriculture de subsistance. Il se plantera peut-être, mais en attendant c'est quelqu'un de franc. Pas un faux-jeton psychopathe comme la majorité de la classe politique d'ici. Je crois que la façon dont il va réagir à sa défaite au référendum va donner une bonne indication de son degré d'intelligence politique.
Sur cette questions du respect des minorités et des identités régionales en Europe, je crois qu'il y a l'émergence d'une sorte de discours anti-régions de la part de la gauche en Europe, en raison justement de "l'Europe des régions" -- l'idée que les régions les plus prospères revendiquent une autonomie et adoptent une attitude appelée péjorativement "égoïsme terroritial", c'est-à-dire l'idée qu'une région prospère ne doit pas traîner les régions "boulets" par solidarité nationale; ce qui met dont les régions européennes en "concurrence économique" en laissant tomber la solidarité nationale. C'est une manière de qualifier peut-être les vélléités autonomistes de la Flandre, où la riche Bavière qui vote toujours à droite. Mais ces discours anti-régions occultent l'aspect très culturel des revendications régionales, et je pense notamment à la Bretagne dont les prétentions de son mouvement breton (l' "Emsav", à gauche toute depuis 45) n'ont vraiment rien d'économique, quand bien même c'est une région prospère (de toutes façons la prospérité économique de la Bretagne est historiquement plus compliquée que cela, car si les Bretons peuvent avoir des vieux griefs contre les "wagons de Bretons" que les Parisiens recrutaient sur place pour se constituer la main d'oeuvre bon marché à Paris -- et la Bretagne à Paris constituait donc la minorité régionale de loin la plus "prolétaire" comparé aux Savoyards de Paris, Auvergnats etc. --, depuis 45 Paris a tout de même beaucoup aidé la Bretagne à se développer). En respectant les minorités tout en affichant un nationalisme économique de gauche, Chavez est peut-être la meilleure synthèse actuelle de gauche.
Je crois aussi que la distinction est importante. A partir du moment où une région revendique son autonomie pour des raisons culturelles, elle devrait y avoir droit. En fait je suis à fond pour tout ce qui favorise l'émergence de cultures vivantes, puisque par définition la culture est incompatible avec la société de consommation. A mon avis la gauche est aveugle aux revendications culturelles parce que ça ne rentre pas dans son modèle idéologique ; en gros pour la gauche tous les problèmes sont causés par et se résolvent avec de l'argent, dans la bonne tradition marxiste. Si Chavez reconnaît donc les différents peuples et cultures vénézueliens, cela témoigne déjà d'une certaine liberté par rapport au dogme...
Tu semble t'y connaître plus que moi dans ce continent: quant tu parles de ses "adversaires" "pro-américains/internationaliste/libéraux", tu pensais aux leaders vraiment centre gauche genre Lula, les Kirchners, et Bachelet, ou plutôt la droite/centre-droite du style Uribe et le nouveau mec du Pérou (oublié son nom) ?
Nan je ne connais pas grand-chose, surtout l'histoire récente. Pour les adversaires de Chavez, en fait il y a surtout les USA (qui stressent pour leur approvisionnement en pétrole et le mauvais exemple que donne Chavez), les alliés des USA (Uribe c'est sûr), ceux sur qui les USA peuvent faire pression, et l'opposition vénézuelienne. En fait tous les pays plus ou moins intégrés au système commercial mondial (OMC, FMI). Juste mon impression personnelle... Quand je compare avec Lula c'est parce que ce social-démocrate est du genre à se faire couvrir de louanges par the Economist. Ce même magazine qui fait une fixation limite malsaine sur Chavez, chaque fois qu'il m'arrive de le parcourir dans une librairie je suis sûr de trouver l'inévitable article sur l'apocalypse vénézuelienne

.
Un dernier point: lorsqu'on critique l'aspect "démocratique" du régime de Chavez, bien sûr on peut comparer à la France ou aux USA, mais peut-être est-ce plus judicieux ou juste de comparer le niveau de "démocratie" avec les autres régimes d'Amérique du Sud. Ça me semble plus pertinent.
Si les USA ou la France sont des références en matière de démocratie, le résultat ne plaide pas vraiment pour le modèle...