de B.Verkiler le 15 Avr 2004, 20:26
Lu dans le Canard :
Les trous de mémoire de la France sur son passé Rwandais.
La répression anti-Tutsis a commencé avant le génocide. Alors que des militaires français conseillaient l’armée hutue.
Le président du Rwanda, Paul kagamé, a t-il diffamé la France en déclarant le 7 avril à Kigali, qu’elle avait « sciemment entraîné et armé les troupes gouvernementales et les milices qui allaient commettre des génocides »?
En froid depuis des années avec Paris (qui lui reproche, entre autres, des représailles massives contre les Hutus et leurs familles, après le génocide de 1994) Kagamé s’en était un peu rapproché ces derniers mois. Mais en mars, l’enquête du juge Bruguière, attribuant à son parti, le FPR, la responsabilité de l’assassinat du président Habyarimana - et donc du déclenchement des tueries - a fait sortir de ses gonds le chef d’Etat rwandais.
Le péril anglophone
A ses accusations a répondu une indignation presque générale au sein de la classe politique française. Seul représentant du gouvernement Raffarin à la célébration du dixième anniversaire du génocide, Renaud Muselier a assisté, muet, aux diatribes de Kagamé. Mais il a, aussitôt après, qualifié ses propos « d’inacceptables, mensongers et humiliants ».
A Paris, Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, a dénoncé un procès « totalement scandaleux et injuste », soutenue par Alain Juppé, patron du Quat d’Orsay il y a dix ans. Le socialiste Hubert Védrine, à l’époque secrétaire général de l’Elysée, l’a joué plus nuancé : « Tout le monde savait qu’il y avait une énorme perspective de massacres… »
Et son camarade Paul Quilès, président de la mission parlementaire chargée, en 1998, de faire la lumière sur le rôle de son pays, a conclu que la France, « imprudente », avait « commis des maladresses » sans pour autant se montrer « complice » du génocide. Il est donc, moins que jamais, question de céder au mea culpa. Ni d’emboîter le pas aux américains, reconnaissant, en 1998, leur responsabilité, imités, en 2000, par la Belgique et les Nations unies. Pourtant, dans cette tragédie marquée par l’assassinat, en trois mois, de 800 000 hommes, femmes et enfants (chiffres de l’ONU) - presque tous des Tutsis-, la France n’est pas un témoin parmi d’autres.
Lié, depuis 1975, au Rwanda par un accord d’assistance militaire, Paris n’offre, durant quinze ans, qu’une modeste aide en armements (4 millions de francs par an) et en soldats. Mais tout change en octobre 1990, à la suite d’une tentative (largement exagérée par Kigali) d’invasion du pays par le FPR, composé de Tutsis réfugiés en Ouganda. Ces rescapés de précédents pogroms viennent menacer un président apprécié de Mitterand et démocratiquement élu, depuis douze ans, avec des scores supérieurs à 99%…
Suprême infamie, les envahisseurs parlent anglais! La menace d’une extension de la zone anglophone (Kenya, Tanzanie, Ouganda, Zambie etc.), au détriment de notre pré carré (Rwanda, Burundi, Zaïre), inquiète Paris. L’Elysée dépêche alors plusieurs centaines de paras et de légionnaires. Leur nombre grossira jusqu’à atteindre 700 hommes. Et le matériel suit : hélicos Ecureuil et Gazelle, petits blindés, canons de 105 et 120.
Une coopération stoppée net par le génocide? Non, point, affirme Bernard Debré, ex-ministre de la Coopération, en avril 1998, sur RTL. Un conseiller de Michel Roussin, titulaire de ce porte-feuille en 1994, révèle pour sa part à l’africaniste Gérard Prunier : « Nous livrons des armes aux forces rwandaises[gouvernementales] par Goma (Zaïre), mais nous démentirions si vous l’écrivez… »
D’octobre 1990 à décembre 1993, date du départ des troupes françaises, plus de 200 officiers rwandais de haut rang, tous de l’ethnie hutue, seront « formés » par des instructeurs tricolores. Ces derniers se trouvaient même dans certains sites militaires où les opposants Tutsis étaient détenus et torturés. Ce fut le cas dans le camps de Bigogwe, comme l’a rapporté un témoin, Jean Carbonare, président de l’association Survie.
Quant aux avertissements sur les intentions réelles des forces et des milices gouvernementales, ils n’ont pas manqué. Tandis que le diplomatie française tentait de rapprocher Hutus et Tutsis à la conférence d’Arusha, le président Habyarimana tolérait l’activisme de son épouse, Agathe, chef du clan extrémiste et des « réseaux zéro » (pour zéro Tutsi). Patron de la mission militaire de coopération, le général Jean Varret avait -en vain- dénoncé ce double jeu.
Régimes ethniques bien soutenus
Tout comme ont été négligés par la France et la communauté internationale les alertes des associations (dont Amnesty, en 1993), le rapport de l’ONU annonçant, en 1993, un « début de génocide » ou ce télégramme du général canadien et Casque Bleu Roméo Dallaire évoquant, dès janvier 1994, « l’extermination (programmée) des Tutsis de Kigali ».
Au total, et comme l’ont noté les rapporteurs de la mission parlementaire de 1998, le pays des droits de l’homme, sans y avoir participé, a tout de même poussé fort loin son engagement auprès des futurs auteurs du génocide. Au point, lors de l’opération « Turquoise » de juin 1994 (qui sauvera des milliers de réfugiés), de protéger des massacreurs hutus. Et d’accueillir quelques mois à Paris le clan Habyarimana ainsi que plusieurs organisateurs du génocide.
A ce petit jeu très dangereux, la France n’a même pas l’excuse de l’inexpérience. Pour conserver son rang en Afrique, et depuis quarante ans, Paris soutient des régimes dictatoriaux, adeptes de l’épuration ethnique ou tribale. A Djibouti, 2700 soldats tricolores contribuent à la pérennité du parti unique, entièrement aux mains des Issas, en réprimant les Afars (40% de la population).
Au Cameroun, , c’est le clan du président francophone Biya qui a la cote, au détriment des anglophones et des Bimilékés, souvent opprimés par le passé. En Côte d’Ivoire, dans les années 90, la France n’a pas mégoté son aide au président Konan Bédié, inventeur du concept d’ »ivoirité », aux conséquences si funestes aujourd’hui. Etc.
Tant d’efforts pour se voir insulter, devant le monde entier, par le président d’un Etat grand comme la Bretagne.
Jean-François Julliard.