Il s'avère que c'est la même personne que pour Ouest France qui est interviewée...
Marianne: Dans un prétoire, il y a le contradictoire, parfois douloureux, mais nécessaire à l’émergence des faits. Le tribunal médiatique, lui, permet à la victime d’écrire son récit de manière unilatérale…
Oui, c’est une tentation normale, humaine. La plaignante (je n’emploie pas le terme de victime, car la justice ne l’a pas encore reconnue comme telle) préfère ne pas affronter un procès traumatisant. C’est normal. Il faut voir ce que c’est qu’un procès pour viol ou agression sexuelle. On est obligé de vous demander de manière très précise les faits. C’est très humain de vouloir échapper à ça. De se dire « je n’aurais pas la force de le faire »…
Marianne: Adèle Haenel affirme qu’elle ne saisit pas la justice car, en la matière, elle n’est pas efficace. N’est-il pas vrai que les violences faites aux femmes ont été mal prises en charge par l’institution judiciaire ?
Oui, la justice manque de moyens et n’est pas aussi efficace qu’elle devrait. Ca fait 150 ans. Et oui, il y a des améliorations à faire sur l’accueil des femmes victimes d’agression. Mais ce n’est pas une raison pour passer outre, pour emprunter le circuit parallèle de la justice médiatique. La justice, c'est la délégation, à l’autorité publique, de la volonté de vengeance. Elle a des règles (quand on n’arrive pas à prouver, on ne condamne pas, car il vaut mieux un coupable en liberté qu’un innocent en prison…) mais elle est indispensable. Si on la contourne, on se "décivilise". Le propre d'Internet est de permettre à ses utilisateurs de s'affranchir des corps intermédiaires et même, on le voit, des institutions. En matière de justice, ce n'est pas sans risque.
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Marianne: Le tribunal médiatique, qui sacralise la parole de la plaignante et ne laisse pas de place au contradictoire, malmène-t-il la présomption d’innocence ?
Evidemment. La Société des réalisateurs de films a immédiatement radié l’accusé, Christophe Ruggia. J’en suis sidérée. Cette association aurait pu dire : « on prend acte, on va entendre l’accusé et décider ensuite… » Mais non. Il est condamné à la mort sociale. En réalité, il n’est pas condamné pour les faits qu’Adèle Haenel lui reproche, mais de manière symbolique, comme le responsable de toutes les violences. C’est ce qui arrive quand on mélange justice individuelle et action militante. L’accusé devient un bouc émissaire.
Avez-vous regardé la vidéo de l’entretien d’Adèle Haenel sur Mediapart ? Elle a beaucoup ému…
C’est exactement pour cela que je ne l’ai pas regardée ! Je suis comme tout le monde, ça me touche, donc je m’interdis d’être dans une situation où mes émotions vont m’empêcher de raisonner. C’est pour cela que je ne l’ai pas regardée. Comme tout le monde, je me serais indignée contre l’accusé. Or, pour le moment, il est encore présumé innocent. Entendre Adèle Haenel ou une plaignante émue, sans avoir l’accusé en face, ça me dérange…Tout l’édifice judiciaire repose sur le contradictoire. J’ai une formation de juriste, et je sais que les dossiers sont toujours plus complexes qu’il n’y paraît : quand on écoute le témoignage poignant d’une plaignante, on pense connaître la vérité, mais une fois qu’on ouvre tout le dossier et que la défense s’exprime, on réalise que les choses sont toujours plus complexes… Ces dispositifs médiatiques évitent le contradictoire et font primer l’émotion. En résumé, les médias fonctionnent sur l’émotion, la justice, sur la raison. Or la raison est plus rassurante pour trancher et rendre la justice.
Quel est le risque de cette « justice parallèle » ?
D’abord, de voir se développer un système de régulation de la société par le scandale. Ensuite, comme cette « justice » est souvent orchestrée, en sous-main, par des militants, on risque de tomber dans la logique de « la fin justifie les moyens » : le combat contre les violences faites aux femmes justifie des accusations sans preuve et, parfois, sans fondement. Des dommages collatéraux…
C’est la même situation qu’après les attentats du 13 novembre. A l’époque il a fallu résister à la tentation du tout sécuritaire (sous prétexte de lutte contre le terrorisme) pour maintenir un Etat de droit et les libertés individuelles. Là, il s’agit de résister aux procès populaires expéditifs (sous prétexte de faire avancer le droit des femmes) et maintenir, là aussi, les principes de la Justice et l’Etat de droit. Si défendre cette position vous fait passer, aux yeux de la doxa, pour un ennemi du féminisme, eh bien tant pis.
Vous êtes sûrs que la dame est pas venue lire le topic ?

Hugues