Un sujet qui me trotte dans la tête depuis longtemps.
Mais quand certains ont choisi le vomi comme mode d'expression, on hésite longuement.
Cette nuit, tout de même, je l'ouvre. Mais le vomi ne survivra pas dans ce sujet (et éventuellement les auteurs du vomi, qu'ils n'en soient pas surpris)
On ne peut pas comprendre l'Ukraine sans avoir entendu la voix, le son des mots de Taras Chevtchenko.
Son génie n'est pas un don à l'Ukraine c'est un don à toute l'humanité.
Ce nom est un géant de la littérature mondiale, de l'histoire de la littérature mondiale, qui tutoie et s'assoie à la table de Victor Hugo, Walt Whitman, Dante, William Shakespeare, Nâzım Hikmet, Omar Khayyam, Molière, Homère, Tolstoï ou Dostoïevski. La qualité de sa poésie, de ses mots, est de la même rareté, la même exception
Poète, peintre et penseur, il a transcendé la simple écriture pour devenir une figure de la résistance culturelle et politique. Parce qu'il est en exil ou en résistance, aucun de ses écrits ne va être publié de son vivant... Toute sa production littéraire ne va être publiée que de façon posthume.
Si Baudelaire et Rimbaud ont révolutionné la poésie française, Chevtchenko, lui, a façonné une conscience nationale et insufflé à la langue ukrainienne une force prophétique.
Le poème qui suit, n'est pas qu'un poème, c'est un texte fondateur, un appel qui résonne encore aujourd’hui.
Заповіт
Як умру, то поховайте
Мене на могилі,
Серед степу широкого,
На Вкраїні милій,
Щоб лани широкополі,
І Дніпро, і кручі
Було видно, було чути,
Як реве ревучий.
Як понесе з України
У синє море
Кров ворожу... отойді я
І лани, і гори —
Все покину і полину
До самого бога
Молитися... а до того
Я не знаю бога.
Поховайте та вставайте,
Кайдани порвіте
І вражою злою кров’ю
Волю окропіте.
І мене в сім’ї великій,
В сім’ї вольній, новій,
Не забудьте пом’янути
Незлим тихим словом.
25 декабря 1845,
в Переяславі
Le titre signifie tout autant "Mon testament" que "Ma volonté".
Testament
Lorsque je mourrai, enterrez-moi
Sur un tertre, en pleine steppe,
Dans ma chère Ukraine, où s’étendent
À perte de vue les plaines.
Que les champs aux vastes moissons,
Le Dniepr, ses hautes falaises,
Soient visibles, soient entendus,
Lorsque rugira son flot.
Quand de l’Ukraine vers la mer bleue
S’écoulera le sang ennemi…
Alors, des champs, des monts sublimes,
Je m’élancerai vers Dieu lui-même
Pour le prier… Mais jusqu’à ce jour,
Je ne connais point Dieu.
Enterrez-moi, puis levez-vous,
Brisez vos chaînes, libérez-vous !
Et de ce sang versé, impur,
Baignez la liberté nouvelle.
Et dans la grande famille libre,
Nouvelle, unie sous un ciel pur,
N’oubliez pas de murmurer
Mon nom — d’un mot paisible et sincère.
25 décembre 1845,
À Pereïaslav
Taras Chevtchenko
Une déclamation de la meilleure traduction en anglais, celle de John Weir
Un texte sur ce poème que j'aime beaucoup...
Taras
Il n’a pas besoin d’un nom de famille. Taras suffit. Comme Dante, comme Homère, il appartient à ceux dont le prénom seul résonne à travers les siècles. Mais Taras, lui, n’a pas seulement sculpté une langue ou façonné une littérature : il a écrit l’Ukraine dans la douleur et l’espérance, dans la nécessité et le sacrifice.
Il est l’Ukraine, non pas celle des frontières, mais celle du sang, du sol et des âmes. Il n’a pas rêvé l’Ukraine, il l’a appelée à l’existence. Dans le noir des cachots, dans l’exil, dans l’humiliation, il a semé les mots qui, un jour, sont devenus des armes, puis des hymnes, puis des prières.
Comme Hugo, il a hurlé contre l’injustice. Comme Mickiewicz, il a porté son peuple sur ses vers. Mais Chevtchenko n’est pas un poète d’apparat, un chantre de salon : il est un prophète en haillons, une voix qui monte du fond des terres asservies. Sa poésie est une plaie ouverte, et c’est par cette plaie que l’Ukraine respire.
L’Ukraine, c’est ce tragique, ce sens aigu de la fatalité et du destin, cette douleur qui forge l’âme au lieu de l’écraser. Et Taras, plus que quiconque, en est le miroir. Il n’a pas écrit l’Ukraine : il l’a inscrite sur le ciel, entre la steppe infinie et les chaînes qu’il appelait à briser.
Son Zapovit n’est pas un poème. C’est un serment, un legs de feu qu’aucun temps ne peut éteindre. Taras ne se cite pas, il se crie. Il ne s’oublie pas, il se lève. Tant que son écho résonnera, l’Ukraine restera debout.
Et d'autres mots:
Tout comme l’Ukraine, c’est ce sens tragique de la nécessité. Non pas la plainte, mais la certitude qu’il n’y a pas d’autre voie que celle du sacrifice. Il n’écrit pas pour embellir le monde, mais parce qu’il faut écrire. Il ne rêve pas une Ukraine idéale, il l’appelle du fond des fers et du froid des exils. Comme l’Ukraine, il porte en lui ce fardeau immémorial, cette douleur qui ne ploie pas mais forge. Il ne choisit pas son destin : il l’embrasse parce qu’il est inévitable.
Comment pensez-vous qu'un peuple qui nomme ses universités, et ses de son nom, qui lui fait des statues, à l'artiste et à l'homme d'arme qui a sacrifié toute sa vie et son talent, à la liberté de sa nation, à l'existence de sa langue.. comment voulez-vous qu'un peuple comme celui-ci renonce au combat, alors que ses poètes, son hymne, ses chansons l'appelle aussi loin que cette langue existe à résister.
Hugues