J'ai un copain qui vient de m'envoyer sa critique du film de Jeunet. çà me donne pas trop envie
Si je voulais faire mon petit Skorecki, je vous expédierais « Un long dimanche de fiançailles » avec quelques phrases bijuzinhiennes gorgées de réalisme poétique. Je vous dirais pour surfer sur le sujet : voilà un film et un réalisateur qui chient de peur dans leur tranchée, qui se pissent dessus à l’idée d’aller affronter un ennemi appelé spectateur et qui préfèrent se tirer une balle dans la main plutôt que de voir le carnage qui va suivre. Parce que le carnage arrive Malgré tout. On ne peut pas s’amuser à semer un tel merdier et en sortir indemne. Et le film de Jeunet est un bourbier total, à la fois bordélique et glacé. C’est d’ailleurs tout ce qui par maladresse le rattachera à l’ignoble Der des der qu’il passe deux heures à filmer avec sa steadycam de concours. Le trou dans la main, ça permet simplement de justifier la caméra qui branlotte à tout va, la mise en scène saturée d’images creuses (l’oxymoron du jour), cette collection de vignettes sans adhésif où le profil psychologique des acteurs n’a pas le temps de s’imprimer dans l’album que déjà Jeunet a commencé une autre collection Panini, pleine d’autres images d’Epinal redessinées à la palette graphique. Car Jeunet ne sait toujours pas filmer une histoire, juste filmer des idées sur Photoshop. C’est un peu triste à son âge. Mais on ne tire pas sur les grands invalides de guerre. J’arrêterai donc ici.
Oui, parce que vous ne le savez peut-être pas mais le film a fait une chute vertigineuse de 41% dans la fréquentation par salles entre la 2ème et la 3ème semaine épousant finalement le sort de la majorité des films français pourtant mois bien lotis en nombre de salles à disposition. Bien sur les 700 exemplaires que la Warner a fait tirer (soit le double de Banlieue 13) vont permettre à Jeunet d’atteindre le joli nombre de 7, 8 millions de spectateurs en valeur absolue, il n’en reste pas moins que l’analyse à la lumière relative du bouche à oreille fait apparaitre un public faussement impressionné par la projection au point de ne pas toujours le recommander à son voisin de palier deux jours plus tard. Essayons d’aider Jeunet à comprendre pourquoi. Essayons de lui faire saisir pourquoi aucune image de ses films ne nous hante, ni ne nous revient en tête 48 heures à peine après la projection. Pourquoi nous nous réveillons nous aussi amnésiques après avoir été pourtant plongé dans un enfer qui devrait nous marquer à vie. Et faisons-le avec des questions bien fermées comme j’aime.
Cela ne vous gêne pas que Jeunet traite la guerre de 14-18 avec la même mise en scène qu’Amélie Poulain ? Est-ce que si Jeunet avait à traiter le génocide du Rwanda, il ferait encore les mêmes inserts visuels, les mêmes split screens, les mêmes petites parenthèses de films d’animations avec voix-off, les mêmes gimmicks sonores au moment où les Hutus rabattent leurs machettes sur la nuque de quelques Tutsis affolés ?
Ca ne vous gêne pas d’ailleurs ce parasitage permanent de tous ses films par des inserts, des effets spéciaux, des images bullotintatamaraboutdeficelles qui ne mènent jamais à rien à part bousiller l’intention et l’intensité initiale des scènes, empêcher le déploiement tranquille des sentiments des personnages qui les composent et révéler à quel point Jeunet a peur du vide, peur d’exposer ses films, de faire simple, nu et finalement original ?
Et question originalité
Ca ne vous gêne pas qu’à chaque fois qu’un caporal sort de son bureau dans la tranchée, la caméra fonce en gros plan sur son nez ? Et qu’à chaque fois que le mec va se faire tuer ou trouer la main, au contraire la caméra part de son nez et recule pour prendre ses distances ? Cette grammaire grossière du cinéma genre « t’es important, je zoome sur ta gueule» et « par contre si tu vas l’avoir dans le cul à la fin de la scène, je me tire arrière toute », ce chantage à l’émotion, ça ne vous gêne pas après 30 ans à subir des nuées de films à la télé ou au cinéma ayant usé et abusé de ces ficelles-là?
Ca ne vous gêne pas que Jeunet recopie mal mais recopie quand même « Les sentiers de la gloire » et les fameux travellings de Kubrick dans les tranchées ? Ca ne vous gêne pas de voir et de revoir 40 fois de suite ce plan arrière où méthodiquement, un a droite, un à gauche, les mecs enfoncent leur baïonnette pour partir au combat (personnellement je rêve toujours qu’un acteur s’y prenne trop à l’avance et pique le cul du caméraman au moment il arrive à sa hauteur)?
Ca ne vous dit rien non plus la scène de l’espionne qui tire dans le plafond de verre et qui tue l’amant avec les bris de glace sur la poitrine ? (C’est vraiment bête parce qu’elle est tirée de La fiancée de Chucky, vous savez, la poupée qui tue. Huuuuum, Jean-Pierre sait faire un bon plagiat, Jean-Pierre sait faire un bon plagiat…)
Ca ne vous gêne pas qu’à chaque fois qu’on fait un plan du jardin, bien vert, bien tondu, il y ait toujours la même nuée d’oies qui traversent l’espace en faisant le petit virage à 90° devant la caméra comme dans « Le bonheur est dans le pré » ?
Ca ne vous gêne pas qu’à chaque fois qu’un train arrive à fond dans un sens, la caméra arrive forcément en hélicoptère dans l’autre sens, puis fasse un travelling 180 ° pour voir le train partir vers la forêt ?
Ca ne vous gêne pas que les balles de fusils de 14-18 soient sonorisées et visualisées comme du bon tir de snipers sur jeux vidéo ou accessoirement comme dans «La ligne rouge»?
Ca ne vous gêne pas que Dupontel se mette à reparler avec le même ton que dans son sketch le plus connu, « Hier, j’ai vu Rambo », un sketch et un ton qu’on croyait définitivement enterrés depuis 10 ans ?
Ca ne vous gêne pas que Jeunet ailler chercher Angelo Badalamenti, le compositeur attitré de David Lynch, pour lui demander de faire une bande originale qui reprend exactement la même ligne harmonique, les même codes musicaux que les films de Lynch mais pour habiller… un film sur la guerre de 14-18 ?
Ca ne vous gêne pas de voir dans le cinéma de 2004 le caractère du personnage principal défini par un seul trait comportemental répété douze fois en voix intérieure: « Si j’arrive la première au virage, j’aurais deux fois du dessert » ?
Ca ne vous gêne pas le jeu, la voix, le corps, le manque d’épaisseur d’Audrey Tintin ? Vous y croyez à Audrey Tintin en fille éperdue d’amour cherchant son fiancé disparu après la guerre ? Vous trouvez que Jeunet a trouvé le ton, la mise en scène, les dialogues et surtout l’actrice pour nous faire croire à un personnage qui porte toute l’attente angoissée du film sur ses épaules ? Vous l’avez vu la souffrance, la douleur, l’absence, le désespoir dans ses yeux (et alors même qu’elle est sensée être un corps déjà martyrisé, hors quête de son bien-aimé)? Est-ce qu’un ou une seule d’entre vous s’est identifiée à cette nana pendant au moins une scène ? Ou est-ce qu’il a juste cru revoir « Mamy Poulain chez les Poilus » ?
Est-ce qu’un seul godelureau de ma génération, de celle d’avant ou d’après a également réussi à se projeter dans le petit minet filiforme nommé Gaspard Ulliel, la nouvelle tête de con béate du cinéma français ?
Et est-ce que vous ne trouvez pas la fin inconsciemment révélatrice de la façon dont nous aura été présenté leur amour avant retrouvailles : sans attache, amnésique, vide de tout sentiment ? (Mais quand un amour n’est incarné pendant 2 heures que par le flash-back compulsif d’un petit coup de bite sur un beau lit en bois, il faut bien s’attendre à ce que les spectateurs se demandent un moment quels souvenirs particuliers, quelles aventures intimes relient vraiment les deux amoureux à la vie à la mort)
Est-ce que plus largement vous avez trouvé que Jeunet était parvenu à imbriquer la petite histoire dans la Grande ? Est-ce que cette histoire d’amour et la guerre de 14-18, ça donne pas l’impression d’être deux films séparés que Jeunet n’arrive jamais à relier dans ce qui aurait du pourtant fabriquer l’alchimie d’un sublime mélo ? (et encore si je caricature, les films de Jeunet c’est pas deux, c’est cent films, pardon, cent idées différentes rapiécées en toute panique pour tricoter un bon gros patchwork des familles).
Et même ça, l’histoire, ça ne vous gêne pas l’histoire ? tous ces rebondissements rocambolesques comme seul le père Japrisot peut en inventer, avec ce fil rouge dérisoire sur la paire de bottes allemandes, un truc dont Jeunet visiblement se contrefout à part pour relancer le film tous les quarts d’heure quand il ne sait plus quoi filmer, épuisé d’avoir déjà rempli tous ses plans à ras bords d’effet sépia ou de reconstitution à l’ordinateur des cartes postales des places de Paris (Pomme Q Contrôle S sur logiciel Avid) ?
Bref ça ne vous semble pas sentir légèrement le renfermé cette unanimité de la presse franchouillarde sur « Mondovino » et « Un long dimanche des fiançailles », deux films bordéliques, passéistes et gériatriques, à la caméra atteinte de parkinsonite aigue, deux films célébrés sous le seul prétexte que s’y déploie encore et toujours cette nostalgie de la France à la Tati, la France de la vigne millénaire et des oies qui courent dans le jardin ?
Quand est-ce que la France va rentrer dans le 21ème siècle ?
Qui saura répondre à ces questions l’âme en fièvre et le corps comme un volcan car l’hiver tambourine à nos fenêtres ?