Modérateurs: Garion, Silverwitch
Arte a écrit:Ce chef-d’œuvre bouleversant du cinéaste russe Andreï Zviaguintsev raconte une société minée par le désamour.
Film multirécompensé, Faute d’amour se déroule sur trois ans, des rumeurs d’apocalypse de la fin 2012, qui semblent n’émouvoir personne, à la guerre civile du Donbass, en 2015, qui fait déferler sur la Russie une vague de propagande anti-ukrainienne. Si le thème de la famille obsède Andreï Zviaguintsev, du Bannissement à Léviathan, le cinéaste se sert aussi de ce prisme intime pour réfracter les maux de la société. La Russie dans laquelle vit ce couple de la classe moyenne apparaît comme autoritaire et peu protectrice, matérialiste, narcissique – les yeux rivés à son portable comme Genia –, et contrainte à une duplicité héritée du carcan soviétique et religieux. Boris préfère ainsi taire son divorce, de peur d’être licencié par son patron ultraorthodoxe. De ces tiraillements découle un manque abyssal d’amour, qui dévaste Aliocha et ses parents. Cette carence affective vient de loin, comme en témoignent les torrents de haine que déverse sur Genia sa propre mère, qui mêle en une phrase l’insulte et la demande d’absolution : "Dieu et diable dans le même sac", commentera lapidairement sa fille. Le plan où la jeune femme, excédée, referme la porte de sa chambre, révélant sans le savoir les sanglots silencieux d’Aliocha, qui se dissimulait dans l’embrasure, est déchirant. La mise en scène magistrale d’Andreï Zviaguintsev, faite de délicats plans-séquences, d’allers-retours entre les barres d’immeubles et la forêt toute proche, de monologues bergmaniens laissant libre cours à la haine mais aussi à une émouvante sincérité, ne donne que plus d’intensité à ce cri d’alarme.
Olivier Père a écrit:Dans la Russie contemporaine, un couple au bord du divorce fait face à la disparition inexpliquée de son fils de douze ans. A travers l’histoire bouleversante d’un conflit familial, Andreï Zviaguintsev pose son regard implacable sur la société russe et plus généralement sur notre ère postmoderne. Le cinéaste ne condamne pas tant ses personnages de parents murés dans leur haine, leur indifférence et leur égoïsme qu’il ne dresse un constat moral terrible sur un monde radicalement matérialiste, déshumanisé jusqu’à l’horreur. Dans cet environnement glaçant, un enfant de douze ans n’a plus sa place. Le secret de son incommensurable chagrin est partagé avec les spectateurs le temps de deux plans bouleversants, dans lesquels on le voit sangloter en cachette en entendant sa mère et son père se disputer avec violence. Ce n’est qu’en disparaissant que l’enfant va pouvoir enfin exister aux yeux de ses parents, contrariés par une absence qu’ils prennent d’abord pour une fugue sans importance. Mais cette disparition est chargée d’une signification bien plus forte qu’un sordide fait-divers. Elle devient acte de résistance. La fuite ou le suicide devient pour une âme pure la seule façon de refuser une vie sans amour, une société où seul un groupe de bénévoles spécialisés dans la recherche de personnes disparues semble capable de générosité et d’altruisme. Faute d’amour est un film admirable et terrible qui vient nous rappeler l’intelligence et l’absolue maîtrise de Zviaguintsev, dont la direction d’acteurs et la mise en scène sont impressionnantes. L’inspiration de Zviaguintsev n’est pas confinée au domaine de l’étude psychologique. Il se révèle aussi grand cinéaste formaliste des espaces intimes et des paysages urbains, capable d’apporter une dimension picturale, organique ou mentale à des décors d’appartements ou de ruines.
Hugues a écrit:Sur Arte, un mois de mai (voire une bonne partie de juin) pas mal du tout.. En tout cas avec plus souvent des bons films qu'en ce moment..
En quelque sorte un festival de Cannes pour remplacer celui qui n'aura pas lieu..
Hugues a écrit:Ce soir, sur Arte,
un chef d'oeuvre...
Faute d'amour ( Нелюбовь, Nelyubov, Loveless) de Andreï Zviaguintsev
Hugues a écrit:Le film est par ailleurs disponible pendant une semaine sur Arte+7.
Hugues
Une forumiste anonyme illustre, ailleurs, a écrit:C'est pénible et trop malin, mais pas complètement analphabète.
Arte a écrit:Comment une succession de grains de sable, banals en apparence, peut-elle faire vaciller les valeurs humanistes les plus fièrement défendues ? Soucieux du bien-être des autres, Christian (Claes Bang, d’une classe époustouflante), qui roule en voiture électrique haut de gamme pour préserver l’environnement, va voir non seulement ses convictions bousculées, mais également son statut de membre de l’upper class blanche occidentale être remis en question. Avec autant de noirceur que d’humour, le Suédois Ruben Östlund tire à tout-va. D’abord sur le monde de l’art contemporain et ses concepts au verbiage abscons que pointe Anne, la journaliste interprétée par Elisabeth Moss. Mais aussi sur la défaillance des politiques publiques face à l’explosion des inégalités, et ces conventions policées que mettent à mal la violence de l’enfant injustement accusé ou la lâcheté de généreux mécènes lors de la paroxystique scène du dîner de gala. Palme d’or à Cannes, le tableau grinçant d’une société opulente promise au naufrage.
Hugues a écrit:J'oubliais
- A voir le 11 janvier:
Harmonium de Kohji Fukada
Prix du jury de la sélection Un certain regard au festival de Cannes 2016 (mais on l'avait évoqué sur le forum - cf ci-dessous - avant qu'il en soit lauréat).
Harmonium - Bande-annonceHarmonium (淵に立つ - Fuchi ni tatsu - Se tenir auprès du bord )
de Kooji Fukada, auteur déjà du remarquable Au revoir l'été (le titre original, éh oui en français dans le texte, du film sorti au Japon sous le titre de Hotori no Sakuko - ほとりの朔子)
Dans une discrète banlieue japonaise, Toshio et sa femme Akié mènent une vie en apparence paisible avec leur fille. Un matin, un ancien ami de Toshio se présente à son atelier, après une décennie en prison. A la surprise d'Akié, Toshio lui offre emploi et logis. Peu à peu, ce dernier s’immisce dans la vie familiale, apprend l'harmonium à la fillette, et se rapproche doucement d'Akié.
Harmonium - Extrait #1
Harmonium - Extrait #2
C'est une coproduction franco-japonaise.
Hugues, répondant à Rainier en 2018 a écrit:Oui. Comme j'avais rien écrit dessus:Silverwitch, top 2013 a écrit:8. Le Passé
Asghar Farhadi (Iran, France)
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La France et l'Iran, c'est presque pareil pour un cinéaste qui scrute le mystère de l'existence et trouve l'humanité universelle.
Hugues a écrit:Fitzcarroldo de Werner Herzog bien entendu !
Hugues
Hugues a écrit:Eventuellement, sans être indispensable, L'Héritière de William Wyler, un cruel, mais subtil, drame psychologique.
Avec et en hommage à Olivia de Havilland, lauréate d'un Oscar pour ce rôle.
Dervi a écrit:L'épisode 0 de Star Wars passe ce soir sur Arte à 22h30.
La forteresse cachée de Kurosawa.
« Une vie cachée », béni soit Terrence Malick
Une ode à la liberté et à l’insubordination, qui résonne fort aujourd’hui, signée par le réalisateur de « The Tree of life ».
[...]
Il y a des « Moissons du ciel » (la communauté rurale, le travail aux champs) et de « la Ligne rouge » (l’être face à la guerre) dans cette symphonie pastorale. En guise de codas, les semonces et injonctions des autres à céder (« ton sacrifice ne profiterait à personne, nul ne saura, cela ne changera rien »). Et pour ligne mélodique, le questionnement d’un homme simple qui dit non aux puissants, d’un croyant qui, pour honorer sa foi, apprend à renier l’Eglise, accommodante envers la cause hitlérienne. La conviction, pas le dogme. L’espoir de transcendance, pas l’admiration béate.
« Une vie cachée » n’est pas un film de cul bénit-oui-oui mais une ode à la liberté et à l’insubordination, qui résonne fort aujourd’hui. Les civils (germaniques) y parlent anglais, les nazis, allemand (et sans sous-titres), mais le couple, une fois en paix, retrouve sa langue natale. Ce choix mériterait tout un débat. De même que ces plans édéniques d’une nature majestueuse où se noie le son parasite, à peine perceptible, d’un discours du Führer. Dans ce cinéma de la grandeur, comme lorsque les temps s’assombrissent, le diable est dans le détail. Immense film.
[...]
Or, J’accuse se révèle tout autre chose que le couplet autocomplaisant qu’on pouvait craindre. Adapté du roman de l’écrivain britannique Robert Harris, le film s’attache moins à la figure de Dreyfus, reléguée au second plan, qu’à celle du colonel Marie-Georges Picquart, chef du contre-espionnage qui mit au jour les irrégularités de la condamnation. En lui emboîtant le pas, le récit adhère à sa contre-enquête et réalise une plongée saisissante dans les arcanes troubles et tortueux de l’affaire, retracée ici avec un parti pris de froideur et de distanciation.
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Comme beaucoup de héros polanskiens assaillis par les circonstances, Picquart voit l’armée se retourner contre lui, et son état-major brandir un honneur cocardier pour mieux déguiser ses abus de pouvoir. Plus qu’un simple cadre, l’affaire Dreyfus, en laquelle la philosophe Hannah Arendt voyait une préfiguration des totalitarismes du XXe siècle, devient ici la caisse de résonance des psychoses collectives, le syndrome d’une société malade, s’entretenant d’un mélange toxique de xénophobie et de paranoïa – ce en quoi le film trouve des échos dans la France contemporaine.
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