Cortese a écrit:Je ne dis pas que les oeuvres sont interchangeables du tout, je dis qu'elles sont produites dans un cadre idéologique, conscient (militant alors) ou pas et qu'il est toujours assez facilement identifiable (donc que toutes les oeuvres sans exceptions peuvent faire l'objet d'une lecture politique, et je ne vois pas pourquoi on s'en priverait).
Les oeuvres d'art sont crées et sont mises en oeuvre dans une réalité vivante qui est évidemment politique. Mais elles ont une autre visée. Pour être la plus claire possible, je ne reproche évidemment pas d'examiner les oeuvres avec des critères politiques, au contraire ! Je critique la réduction politique ou morale des oeuvres d'art qui revient à tenir l'oeuvre pour le cadre et la morale ou le discours politique pour le tout.
Je cherche une réponse courte et pas trop technique, sans la trouver tout à fait. Si je devais résumer, au nom du principe selon lequel
"tout est politique", les films ou les oeuvres d'art devraient être jugés selon des critères politiques. Ce n'est pas mon avis, et ce n'est pas vraiment le tien puisque tu concèdes (en un mot) que l'oeuvre peut échapper à la contingence de son contexte de création. Or si l'oeuvre devrait être critiquée d'abord selon des critères politiques, nous serions dans une logique totalitaire: un bon film serait d'abord un film nazi, un bon médecin serait d'abord fidèle au parti, etc... Mais en quoi un médecin qui pense comme il faut est-il un bon médecin ? En quoi un menuisier patriote est il un bon artisan ? Et allons plus loin, puisque généralement la réduction politique est un chemin vers la réduction moralisante: qui peut dire en quoi la prudence l'emporte sur le courage ?
Aristote avait résolu cette question (tout est-il politique):
"C'est comme si on disait que la politique gouverne les dieux car elle exerce son autorité sur tout ce qui se passe dans la cité". Il faut donc en conclure que si le politique est partout, la politique n'est pas tout. Or un film ou un roman vise une autre vérité, un tout autre mystère qui fait d'ailleurs de tous les récits des romans policiers: le mystère du moi, de l'identité. Qui suis-je ? Voilà la question à laquelle toute fiction quand elle s'arrache à son petit contexte répond de manière ambigüe, puisqu'elle atteint tout autre chose: quand la politique juge et gouverne les choses, quand la morale juge et étalonne les corps et les âmes, l'art suspend le jugement. Car enfin, cet autre que moi, c'est dans ses yeux que je me découvre en miroir. Shakespeare le montre magistralement. Chaque activité humaine a sa fin propre: la médecine, l'art ou même la politique. Un jugement éclairé devrait donc nous conduire à une double proposition: quelle est la fin poursuivie par l'oeuvre d'art et quelle est cette chose que seuls les films (ou les romans, ou le théâtre) peuvent dire ?
Il faut donc écrire à l'endroit: non pas c'est un chef d'oeuvre mais c'est moralement douteux, ou c'est une grande pièce mais historiquement contestable, il faut écrire ça pose des questions morales, mais c'est un chef d'oeuvre parce que... La réponse a ce parce que ne peut jamais être uniquement générale, elle fera toujours appel au monde des oeuvres, parce qu'un film, un roman, un tableau ou une pièce de théâtre nous révèlent ce que nous avions sous les yeux sans le voir. Enfin, on s'écrira: je vois ! Parce que voir, c'est comprendre et que pour voir, il faut lire, il faut regarder une oeuvre pour ce qu'elle est concrètement, singulièrement.