de Cortese le 01 Juil 2015, 12:39
Je pense que les termes utilisés par les médias sont ambigus et cela pour des raisons clairement politiques. Le salafisme ne date pas d'hier. Beaucoup le font remonter à Ibn Taimiya, un penseur du 13eS. Or les idées de Ben Taimiya ont été émises dans un contexte politique qui a des points communs avec l'actuel. Le monde arabo-musulman subissait d'incessantes défaites face au Croisés occidentaux en Espagne (la défaite de Las Navas de Tolosa a été le début de la fin pour l'Occident musulman) et face aux Mongols à l'Est. Un climat de fin du monde est toujours propice aux idées viriles. Après plusieurs siècles de décadence et de reculs incessants, masqués longtemps par la puissance de l'Etat impérial turc (les Arabes étant dominés par des Asiatiques musulmans certes, mais issus du monde mongol), le constat du total délabrement de "Dar el Islam" a amené un nouveau salafisme, qui a tenté en quelque sorte une synthèse entre le salafisme et la modernité, grâce à des penseurs de qualité, connaisseurs de la culture occidentale (polémiques entre Djamal Eddine El Afghani et Renan...), un mouvement de la fin du 19eS qu'on a appelé "Nahda". En Afrique du Nord, les nouveaux maîtres à penser, rejetant l'islam traditionnel fondé sur les confréries soufies et le culte des saints hérité de l'empire almoravide (qui existe toujours timidement, en Kabylie notamment), comme l'Algérien Abdelhamid Ben Badis, pouvaient être considérés comme des salafistes. C'est l'islam qui a baigné les luttes pour l'indépendance, à travers l'Association des Oulémas (savants en religion) et qui est l'islam officiel du FLN, bien que l'Association ait trainé les pieds pour rejoindre la lutte de libération nationale, et que leur chef avait même été arrêté par Ben Bella au Caire et avait bien failli finir liquidé. Dans les années 60/70 c'est le socialisme qui a dominé quasiment dans tout le "vrai" monde arabe (celui qui avait une économie plus ou moins moderne, une agriculture etc..., ce qui excluait la péninsule arabique en dehors du Yemen et Oman). L'échec du socialisme arabe a été parallèle au déclin de l'URSS. Entre temps, ces pays "hors du temps et de l'histoire", la Séoudie et les micro-états satellites, tous création de l'impérialisme britannique, ont hérité de cette richesse-malédiction, le pétrole. C'est cette pluie de Livres Sterlings et de Dollars qui a donné une importance absurde, contre-nature, à ces Etats arriérés, qui n'ont joué strictement aucun rôle dans l'histoire des Arabes depuis la mort de Mahomet. On n'aurait jamais entendu parlé du tristement célèbre Mohamed Ben Abdelwahhab sans le pétrole. Cet excité du 18eS avait imaginé un salafisme inspiré de l'ancien, mais encore plus rustre et fanatique, le wahhabisme. C'est cet version du salafisme qui a été imposée à la fois, par l'argent du pétrole, par la corruption de la famille royale séoudienne (dont c'est le support politique absolument vital), par la brutalité et les manoeuvres anti-communistes des puissances occidentales et le machiavelisme quasiment satanique des sionistes. Maintenant la question est : pourquoi cet islam "ensauvagé" a t-il prospéré à ce point ? Une bonne part d'arriération culturelle chez les populations rurales brutalement citadinisées, qui l'ont transformé en pensée magique, ritualisée jusqu'au délire, beaucoup d'argent en provenance des "sponsors", le rejet (tout à fait comparable à celui qui existe chez les chrétiens et les juifs) des excès des "Lumières" (qui ont tendance à dérailler vers une pensée purement sadienne) et surtout surtout, ce salafisme (bien que complètement illusoire, puisque totalement appuyé en réalité sur la puissance américaine et ses calculs stratégiques) a donné à ses adeptes le sentiment de la dignité retrouvée, des innombrables humiliations infligées par la coalition occidentalo-sioniste lavées. Ou alors bientôt lavées. Une vraie tragédie shakespearienne, où les "révolutionnaires purs et durs" ne sont que les marionnettes de leurs pires ennemis.
On essaye de leur expliquer ça, mais comment voulez vous sauver un névrosé de ses illusions, alors que ce sont ses illusions qui lui permettent de se tenir droit dans sa tête ? Le jour où le salafisme sera vaincu (et ça peut arriver à tout moment, il suffirait de trois jours de guerre comme le dit sans ambage Obama) le réveil à la réalité sera terrible pour ces malheureux peuples arabes. Mais je ne pense pas qu'il soit vaincu dans un avenir proche. C'est un peu comme si un châtelain décidait d'euthanasier ses pit-bulls. Ils rendent de si merveilleux services comme chiens de garde qu'on peut bien passer sur quelques morsures au valets et aux femmes de chambres ou aux serfs du domaine.