Modérateurs: Garion, Silverwitch
Shunt a écrit:C'est sur le "comment" que je tique, car dans le film, elle se limite à une simple introspection nostalgique.
Sauf que l'astronaute et le toubib sont mis à l'epreuve, il y a un trajet, un voyage, une confrontation à leurs propres démons qui ne se résume pas à la seule introspection. Le personnage de Sean Penn reste immobile, replié sur lui-même, ses souvenirs, sa tristesse, sa nostalgie.
Même si le personnage de Sean Penn renvoie à la propre vie de Malick, il n'est pas Malick dans le film. C'est là que le bât blesse à mon sens. Le film est une rêverie, celle du personnage de Sean Penn, c'est son deuil, sa vision subjective, sa vision du monde. Mais il n'est pas l'artiste, le médiateur. En tout cas, ce n'est pas par ce biais qu'il fait son deuil et touche du doigt ce "temps retrouvé". Il n'y a pas de processus à l'oeuvre chez lui, autre que cette introspection.
Shunt a écrit:Sur ce point, je ne suis pas d'accord. L'introspection du personnage de Sean Penn, celle qui va le conduire vers la lumière en quelque sorte, l'apaiser et le réconcilier avec lui même, débute avec la mort de la mère. C'est à partir de là qu'il rembobine le film de sa vie. La mort du frère est évoquée la plupart du temps "en creux". L'image du frère reste celle du petit blond sensible, gentil et débonnaire. Les balises de la période véritablement réexplorée dans le film renvoie à la propre expérience du narrateur, de sa genèse à son passage au monde adulte, marqué par le déménagement et "la mort symbolique" du père qui chute de son piédestal en perdant son job.
Le message du film c'est celui d'un chemin de deuil.. Le cheminement de l'âme vers la paix face à la finitude en laquelle est est jetée, face à la mort...
Une fois posé le constat, je trouve que ça reste dans les derniers films de Malick une posture relativement stérile, voire un brin "régressive" si je peux me permettre l'expression. C'est le personnage de Sean Penn qui tente de retrouver la fraîcheur de l'enfance, c'est Pocahontas qui, au crépuscule de sa vie, joue dans le jardin comme lorsqu'elle était enfant... j'ai vu aussi dans la bande-annonce du dernier, une image où Olga Kurylenko danse comme une gosse insouciante et rêveuse dans les rayons d'un supermarché. Il y a cette idée que le retour en grâce, la régénérescence, passe irrémédiablement par un retour en arrière, à une forme de pureté et de naïveté originelle avec lesquelles il faudrait renouer pour toucher du doigt l'Eternel.
silverwitch a écrit:Il y a bien un voyage intérieur, mais il ne t'aura pas échappé que le personnage de Sean Penn est très secondaire dans le film.
Tu oublies que le voyage se fait aussi bien par la pensée que par le corps ! En quelque sorte, seul le dépaysement physique ou géographique serait recevable. Mais quand tu regardes un film, Shunt, n'est-ce pas un voyage que tu fais ?
Que le personnage de Sean Penn renvoie ou non à la biographie de Terrence Malick n'a aucune importance, et pas le moindre intérêt. Oublie donc un peu ces histoires, et oublie un peu Sean Penn pour t'intéresser à la place du spectateur.
Ouais_supère a écrit:Stef, t'es chiant
Hugues a écrit:La mort de la mère n'est pas présente dans le film..
Sinon que nous savons d'entrée qu'elle est morte (sans que nous sachions si c'est récent ou bien antérieur), et que ce sont les morts aimés qui ont éclairé le chemin qui va nous être montré :
"Brother, mother, it was they that led me to your door."
Mais la flamme qui est allumée par Penn, l'est pour le frère.
Cette journée n'est pas plus particulière qu'une autre.. A part par le fait qu'il est suggéré que c'est une journée où l'on pense au frère ... (appel téléphonique "I think about him every day", la flamme, est-ce son anniversaire, l'anniversaire de sa mort ? le regard sur l'arbre de la ville qui provoque le voyage parce qu'il fait écho à l'arbre planté pour la naissance du frère.. )
"How did I lose you ?" souffle Jack, à l'éternel, dans les minutes précédents ce regard sur l'arbre. Cet éternel qu'il avait su finalement percevoir plus jeune, il l'a perdu bien avant la mort de sa mère, à la mort du frère...
Percevoir le miracle de l'instant vécu, percevoir le miracle de chacun aussi grand que le miracle de l'univers tout entier, voir l'éternel dans le présent, dans ce miracle extrême de son âme.
Par ailleurs retrouver le premier regard, celui qui fait percevoir le présent éternel, n'est-ce pas retrouver l'émerveillement...
Stéphane a écrit:En plus, il s'est fait griller par Lost, pour la scène finale.
Shunt a écrit:C'est contradictoire. On ne peut pas dire que le film évoque un voyage intérieur et affirmer celui qui effectue ce voyage intérieur n'a aucune importance. Certes, c'est un parmi d'autres, le film a valeur de démonstration universelle pour Malick, mais c'est ce personnage qui nous donne à voir, c'est sa subjectivité, ses visions, ses souvenirs. Le récit s'articule autour de lui.
Quand je regarde un film, je me confronte à l'autre, à un regard, à un discours, qui va m'ébranler, m'amuser, m'émouvoir, me passionner, m'ennuyer ou m'indifférer. Dans "Tree of Life", le narrateur n'est confronté qu'à lui-même, à ses propres souvenirs, sa propre subjectivité. On en reste finalement à une sorte d'auto-révélation et d'auto-élévation. Il n'y a pas d'élément exogène qui vient corriger son regard. Le narrateur s'auto-suffit. La vérité est déjà en lui, il lui faut juste la (re)trouver. On reste en circuit fermé.
Sauf que Malick mise - un peu facilement à mon goût - sur l'empathie du spectateur avec le personnage de Sean Penn. La scène finale sur la plage est un tire-larme absolu parce qu'elle titille notre propre détresse face à la mort et à la perte d'un être cher, face à l'absence. Elle est quasi-fantasmatique. Et à titre personnel, je la trouve assez malhonnête. Soit on en fait une lecture littérale, premier degré, et on y voit un au-delà qui à l'issue de notre vie terrestre nous réunit avec les êtres chers. Mais on en reste à du spéculatif et, in fine, à du consolatoire. Soit on en fait une lecture symbolique et on comprend que toutes ces personnes qui ont marqué notre existence survivent en nous-mêmes, qu'elles ont contribué à forger de ce que nous sommes et que c'est notre être épanoui qui les réunit dans un présent éternel. Mais dans ce cas, je trouve qu'il y a un décalage énorme entre la force émotionnelle véhiculée par cette séquence et ce qu'elle est censée symboliser. Par ailleurs, Malick élude totalement la question de notre mémoire, qui n'a rien d'une constante, car le temps et les épreuves peuvent l'éroder, l'altérer voire la déformer.
silverwitch a écrit:Il n'y a rien de contradictoire, Shunt. Tu confonds la place du spectateur et la place du personnage. Il n'y a aucune différence de nature entre le personnage de Tom Cruise dans Eyes Wide Shut et le personnage de Sean Penn dans Tree of life, sinon qu'une Odyssée se déroule dans l'espace quand la seconde se déroule dans le temps. Les deux sont dans la situation du voyageur immobile, ou de la flèche en vol, si tu préfères.
Non. Un récit filmique n'a aucune nécessité d'être exactement le miroir de son propre dispositif cinématographique. Le narrateur n'a pas besoin d'être un second spectateur.
Sauf que Malick mise - un peu facilement à mon goût - sur l'empathie du spectateur avec le personnage de Sean Penn. La scène finale sur la plage est un tire-larme absolu parce qu'elle titille notre propre détresse face à la mort et à la perte d'un être cher, face à l'absence. Elle est quasi-fantasmatique. Et à titre personnel, je la trouve assez malhonnête. Soit on en fait une lecture littérale, premier degré, et on y voit un au-delà qui à l'issue de notre vie terrestre nous réunit avec les êtres chers. Mais on en reste à du spéculatif et, in fine, à du consolatoire. Soit on en fait une lecture symbolique et on comprend que toutes ces personnes qui ont marqué notre existence survivent en nous-mêmes, qu'elles ont contribué à forger de ce que nous sommes et que c'est notre être épanoui qui les réunit dans un présent éternel. Mais dans ce cas, je trouve qu'il y a un décalage énorme entre la force émotionnelle véhiculée par cette séquence et ce qu'elle est censée symboliser. Par ailleurs, Malick élude totalement la question de notre mémoire, qui n'a rien d'une constante, car le temps et les épreuves peuvent l'éroder, l'altérer voire la déformer.
Qu'est-ce que tu veux que je réponde à ça ?
Shunt a écrit:Je me suis peut-être mal exprimé. Dans Eyes Wide Shut, il y a épreuve, échange, confrontation avec autrui qui vont conduire à une prise de conscience. Le personnage de Sean Penn n'est confronté à personne d'autre qu'à lui-même, il se confronte à ses propres souvenirs.
Je ne dis pas le contraire. Le narrateur dans "Tree of Life" est celui qui nous donne à montrer. Ce qui nous est montré, ce sont ses projections mentales. Ce qui justifie d'ailleurs la forme extrêmement elliptique du film, qui s'affranchit du temps et de l'espace.
Je m'interroge simplement sur cette représentation, sa pertinence et sa portée. Parce que Malick nous dit in fine qu'il suffit de prendre conscience que ces êtres chers vivent "en nous" pour nous consoler de leur absence physique. Or il ne parvient à illustrer cela qu'au travers... de retrouvailles physiques. Soit il s'agit d'une facilité, soit il s'agit d'un aveu d'échec. Dans les deux cas, permets moi de ne pas être convaincu...
silverwitch a écrit:C'est ce que j'essayais de t'expliquer dans mes précédents messages, avec la métaphore de la flèche en vol. Sean Penn est un voyageur immobile, comme tu l'es dans un avion en vol. Le regard introspectif de Sean Penn est la condition du regard projectif du spectateur. L'épreuve a lieu dans une spirale du temps, très similaire à la figure géométrique de l'espace dans Eyes Wide Shut et directement comparable à la séquence finale de 2001:
Il n'y a pas moins d'action dans le film de Malick que dans un film de Kubrick, mais elle a lieu avec un décentrement, le corps qui agit n'est pas celui du personnage de Sean Penn, mais sera par exemple celui du personnage de Sean Penn enfant, de son frère, de son père, de sa mère, etc...
Oui et non. Qu'est-ce qui regarde la Création dans Tree of life ? Le film déploie un regard abstrait.
Tu ne peux quand même contredire l'allégorie de la Caverne en disant au prisonnier incarné par Sean Penn qu'il lui suffirait de sortir de la caverne, quand le film illustre au contraire que c'est le regard de l'âme qui voyage par la fenêtre !
Shunt a écrit:Hugues a écrit:La mort de la mère n'est pas présente dans le film..
Sinon que nous savons d'entrée qu'elle est morte (sans que nous sachions si c'est récent ou bien antérieur), et que ce sont les morts aimés qui ont éclairé le chemin qui va nous être montré :
"Brother, mother, it was they that led me to your door."
Mais la flamme qui est allumée par Penn, l'est pour le frère.
Cette journée n'est pas plus particulière qu'une autre.. A part par le fait qu'il est suggéré que c'est une journée où l'on pense au frère ... (appel téléphonique "I think about him every day", la flamme, est-ce son anniversaire, l'anniversaire de sa mort ? le regard sur l'arbre de la ville qui provoque le voyage parce qu'il fait écho à l'arbre planté pour la naissance du frère.. )
"How did I lose you ?" souffle Jack, à l'éternel, dans les minutes précédents ce regard sur l'arbre. Cet éternel qu'il avait su finalement percevoir plus jeune, il l'a perdu bien avant la mort de sa mère, à la mort du frère...
En même temps, il est assez explicitement montré que c'est sa mère qui avait cette capacité à percevoir le divin en chaque chose... c'est son legs, son héritage. Il a perdu lui même cette capacité à l'émerveillement en passant de l'enfance à l'âge adulte, en sortant du giron maternel. Ce n'est pas le frère qui a sert d'aiguillon, c'est la mère. Le frère, c'est l'alter-ego. Et ce n'est pas du tout cette relation là qui est explorée dans le film. Le film s'intéresse davantage à la filiation, à la transmission.
Shunt a écrit:Percevoir le miracle de l'instant vécu, percevoir le miracle de chacun aussi grand que le miracle de l'univers tout entier, voir l'éternel dans le présent, dans ce miracle extrême de son âme.
Oui, ça on le comprend assez bien dans le film. Ce qu'on comprend moins en revanche, c'est le processus par lequel le narrateur renoue les fils. Ce qui déclenche cette prise de conscience. Le simple souvenir de la mère aujourd'hui décédée ? A-t-il fallu qu'elle meurt pour qu'il comprenne (et retrouve) enfin ce qu'elle lui a laissé en héritage ?
Par ailleurs retrouver le premier regard, celui qui fait percevoir le présent éternel, n'est-ce pas retrouver l'émerveillement...
N'est-ce pas au contraire une chimère ou même une forme inconsciente de renoncement ? C'est la question qu'abordait très subtilement Malick à travers le personnage de John Smith dans "Le Nouveau Monde" et surtout celui du soldat Witt dans "la Ligne Rouge". Le sacrifice final de ce dernier relève à la fois du sublime (l'acte héroïque et généreux au service d'une cause supérieure) et du désespéré (devant l'incapacité à renouer avec son innocence originelle).
Shunt a écrit:Sauf que cette introspection a lieu à un instant t... à l'issue de cette introspection, le narrateur est passé d'un état x et un état y... ce n'est pas le parcours de sa vie dans sa globalité qui lui permet de toucher du doigt la Vérité et d'atteindre une forme de plénitude... c'est la relecture de ce parcours effectuée à un certain stade de sa vie, dans un contexte particulier, qui débouche sur cet éveil, cette renaissance. J'ai du mal à voir le personnage de Sean Penn enfant, son frère, sa mère, son père ou son frère comme des "corps agissants"... ce sont les figures d'un souvenir, d'une rêverie... l'agissant dans ce processus reste le personnage de Sean Penn adulte.
Shunt a écrit:Ce qui me gêne dans le film de Malick, c'est que j'ai le sentiment qu'il nous dit "il nous suffit de...". Tout ce qu'il nous montre à l'écran relève de l'évidence, coule de source. Tout ce qu'il nous montre dès le départ est déjà beau, déjà sublime... sa démonstration est donc finalement assez vaine.
Pour moi, les scènes de Création font écho à l'existence du narrateur, à la vie humaine en général. Le monde est comme nous, il naît, il vit, il meurt. Une façon finalement de nous exhorter à accepter le cycle de la vie mais aussi la transcendance. La disparition physique de notre monde étant inéluctable - ce qu'illustre à la fin du film - détachons notre regard de cet immédiat pour aller plus loin, au-delà.
Sauf que dans l'allégorie de Platon, les hommes enfermés n'ont jamais vu directement la lumière. Dans "Tree of Life", le narrateur se souvient de l'avoir déjà vue. C'est une différence notoire. La quête de vérité dans "Tree of Life" s'apparente à un retour aux sources, le sublime étant à la base évident. Contrairement à Platon, Malick célèbre la vérité des sens, de l'instinct naturel. C'est la contradiction même de l'allégorie de la caverne.
silverwitch a écrit:Pfiou... Bon, je recommence. Quand tu regardes un tableau, un film, tu es immobile, ton corps ne se déplace pas, c'est ton âme qui fait un voyage par la fenêtre du cadre (l'articulation de ce qui est dit et de ce qui est montré). Si l'espace et le temps se plient, c'est que le passé n'est pas passé.
J'ai déjà répondu, plusieurs fois, à cette objection. Tu n'as pas compris la démarche, la lumière du Beau est un appel vers l'illumination (tu comprends que les deux sont liés ?)
Un écho, d'accord, mais quel écho ? Plutôt qu'écho, j'emploierais d'ailleurs le mot résonne de même racine que per-sonne. Ce qui résonne à travers nous, c'est le divin en l'homme, et reconnaître la Création, c'est créer.
C'est Platon qui parle de la lumière du Beau ! Comment tirer l'homme hors de la Caverne (avant qu'il n'y revienne) ? Grâce à la lumière du Beau, identifiée au Soleil.
Hugues a écrit:Bon il reste tout de même que quand tu affirmes que ça n'est pas exploré, je dois te faire souvenir de l'eau renversée sur la peinture, de la jalousie de la complicité du frère à la guitare avec le père au piano, de la confiance offerte, d'abord méritée, puis dans un second temps trahie, la punition qu'il veut que lui inflige son frère, la boite enterrée et les larmes du départ ( scène qui pour l'anecdote n'avait pas été tournée en rapport avec le déménagement, mais pour une séparation de la fratrie qui n'est pas finalement dans le film )
Le film nait du deuil déjà très ancien du frère, le deuil de la mère qui est survenu depuis (un deuil anti-historique, sa place dans le temps n'importe pas, et d'ailleurs on l'ignore) il est presque indifférent, il ne change pas la défiance vis à vis du Monde, le désespoir qu'avait déjà Jack. Mais évidemment, bien sûr aucun deuil ne prévaut sur l'autre, ressusciter les êtres aimés, c'est tant pour le frère que la mère, qu'on le désire.
D'abord par l'ensemble du voyage, la dialectique de la Nature et la Grace, les deux faces du même Monde, des temps les plus reculés aux temps futurs les plus lointains avec les manifestation de la Nature et la Grace en sa propre vie.
John Smith est au contraire dans la quotidienneté. Il ne parvient pas à en sortir.
Il poursuit un autre monde, un paradis à venir au lieu de regarder le monde tel qu'il est, de trouver l'éternel, le paradis dans le présent.
Quant à Witt, bien sûr qu'il y a une ambiguité.
Elle n'est d'ailleurs pas éludée.
"Where's your spark now ?" demande Welsh après l'avoir mis en terre à celui qui voyait encore une étincelle en lui"
Mais justement, c'est aussi une incitation à se remémorer la scène passée:
"- You ' still believing in the beautiful light, are you? How do you do that? You're a magician to me.
- I still see a spark in you.
(Voix off anonyme, suivant Welsh qui rejoint Witt endormi dans la nuit) : "One man looks at a dying bird and thinks there's nothing but unanswered pain. But death's got the final word. It's laughing at him.
Another man sees that same bird, feels the glory. Feels something smiling through him."
Tout est question de regard, la question est, quel est le regard qui sauve, celui qui fait vivre, qui fait trouver l'éternel dans le présent, suffisamment pour pouvoir se dire un jour que son temps est passé, qu'il est temps de retrouver cette seule et grande âme qui s'incarne en chacun de nous, et qui en s'incarnant nous fait éprouver la séparation, nous laisse rechercher seul ce qui sauve, comme une braise retirée du feu.
Shunt a écrit:Ca j'ai très bien compris. Je pose simplement la question du medium. Regarder un tableau ou un film, c'est échanger avec l'artiste. Certes, on va chercher en nous les clés qui nous permettrons de voir, d'analyser, de comprendre. Le film comme le tableau agissent comme des stimuli extérieurs, ils servent de supports et accompagnent notre propre introspection. C'est l'artiste et son oeuvre qui vont dévier notre regard et nous aider à voir le monde différemment. Dans le cas du personnage de Sean Penn, il n'y a pas d'élément extérieur qui déclenche et accompagne cette introspection. Tout s'accomplit spontanément, comme si ça coulait de source.
Shunt a écrit:Tu comprends ma remarque ?
Bien sûr. Mais encore faut-il savoir la capter. Si la lumière du Beau est une évidence comment se fait-il qu'on puisse l'ignorer ?
Et il crée quoi Sean Penn dans "Tree of Life" ?
S'il suffit de suivre la lumière pour accéder au monde et à la connaissance, tout le monde devrait en être capable. Or, il n'en est rien.
silverwitch a écrit:Qu'est-ce qui vibre en nous, qu'est-ce qui résonne en nous ? C'est la promesse de l'éternité. On découvre l'éternité quand on reconnaît dans le monde sensible, les merveilles représentées dans les miroirs du monde. Comment se regarder soi-même ? C'est la question primordiale, Shunt !
Shunt a écrit:Mais cette promesse d'éternité n'est-elle pas un leurre ? Se réfugier dans son imaginaire, dans ses souvenirs, comme le fait le narrateur, est-ce une élévation ou au contraire une forme d'enfermement ? Un autiste, a priori, c'est quelqu'un qui a une vie intérieure très riche et pourtant cette vie intérieure l'isole des autres. Tout comme le moine qui s'enferme dans sa cellule. Ce qui me dérange dans "Tree of Life", c'est que les autres finalement n'existent plus qu'en souvenir. On assiste à une forme de retraite spirituelle, mais cette introspection mérite d'être davantage questionnée. Finalement, cette scène de la plage, on peut la percevoir comme une forme de communion, de réconciliation, d'harmonie, d'exaltation, d'accomplissement mais cette fine bande de sable recouverte par les eaux peut aussi être perçue comme un trait d'union entre deux mondes, celui des morts et celui des vivants. Le personnage de Sean Penn à l'issue du film est-il pleinement vivant ou a-t-il finalement renoncé à vivre ? C'est la question qu'on peut se poser.
Shunt a écrit:La quotidienneté de laquelle il faudrait à tout prix s'extraire pour accéder au vrai, elle fait partie de la vie. Vouloir y échapper, c'est un peu la quête du Graal. Il y a une dimension utopique là-dedans. Je me demande si "Tree of Life" dans sa forme si elliptique ne me fait pas penser à ce film truffé de jolies images qu'on projette à Sol dans "Soleil Vert" pendant son euthanasie... une sorte de baume spirituel qui lui offre pour ses derniers instants une dernière illusion de la vie.
silverwitch a écrit:Il faut filer la métaphore de la Création, à propos du personnage de Sean Penn qui nous renvoie directement à notre condition de spectateur. Qu'est-ce que lire un livre, regarder un tableau, une pièce de théâtre ou un film ? C'est se retirer du monde, c'est l'expérience d'un retrait, d'un congé, d'un pas de côté, chacun choisira le terme qui lui plaira le mieux. La retraite ou l'introspection dont tu parles, c'est notre condition de spectateur, en miroir: le détour par la représentation, par le récit n'est pas la négation de la réalité mais sa métamorphose. La réalité ne se suffit pas à elle-même, pour paraphraser Camus, si le monde était clair, il n'y aurait pas besoin de récits, de représentations, de doubles de la réalité. Mais la fin de l'oeuvre n'est pas l'oubli du monde, c'est au contraire une connaissance plus complète, plus claire, une transfiguration. Après le détour par le film, la lumière se rallume et nous sommes rendus au monde, rendus à nous, changés par le voyage. Le film n'oppose donc pas la vie ordinaire et la vie intérieure.
Shunt a écrit:Oh, non ! Le film articule ce qui est dit à ce qui est montré. Je comprends que tu éprouves une réticence devant certains choix, mais la lumière du Beau est un élément central du dispositif cinématographique de Terrence Malick. Contrairement à Kubrick, la lumière du Beau précède celle de la raison au nom d'un principe: pour être désiré, le bien doit être reconnu comme désirable.
Même si je suis parfois perplexe devant le sentiment océanique que produit le film, tes réserves m'apparaissent excessives. Rares, très rares, sont les films qui proposent une telle représentation avec une telle ambition, celle de rendre visible l'invisible, d'accéder à la résurrection dans le corps glorieux du film pourvu que nous y reconnaissions la Création. De même, quel autre film a aussi bien articulé le lien entre les deux modes de connaissance de soi, la représentation et l'amour, tous deux liés par la notion de compassion ?
Marlaga a écrit:Y avait pas un topic clignotant multicolore en caractères gras de 52 sur ce gros navet plutôt que de noyer les messages sur les autres films par un débat stérile ?
Shunt a écrit:Mais au final qu'est-ce que cette introspection apprend au narrateur sur lui-même qu'il ne connait pas déjà ? Et qu'est-ce qu'il nous apprend à nous ? Qu'il faut savoir regarder et apprécier les belles choses pour élever notre âme ? A la bonne heure... honnêtement qu'est-ce que ce film t'a appris de nouveau, sur toi, sur le monde ?
Hugues a écrit:Ca n'est pas (seulement) regarder ou apprécier "les belles choses".
C'est voir le Monde tel qu'il est, parfait. Le voir en tout instant, dans son mystère, son miracle, sa transcendance. C'est reconnaître l'identité entre la transcendance du Monde et celle de son regard, celle de son âme. C'est finalement trouver le regard qui voit la beauté partout, en chaque instant. Qui voit face au regard, l'ouïe, le toucher, la transcendance en permanence, une transcendance que la quotidienneté, certes les affaires du quotidien, mais aussi ce qu'on peut appeler l'habitude du Monde, à cette idée rend aveugle. L'inexplicable est toujours devant soi, en permanence. Il y a toujours devant soi la raison de s'émerveiller.
Parce que, même une vision qui exclue toute transcendance, même un esprit qui n'y voit que chimie, gravitation, électro-magnétisme... si tout est déterminé, si la volonté n'est qu'une illusion, et est absence à l'échelle atomique et subatomique, les trajectoires (par l'entremise des forces précités, par la volonté illusoire du vivant) qui ont rassemblé ces atomes, ces êtres vivants, ces personnes, ces Nations et évènement historiques (finalement les atomes de chaque échelle) qui finalement aboutissent à notre être, cela signifie qu'elles sont écrites finalement dans le premier instant du Monde.
Autrement dit, notre âme a le même mystère que le destin préécrit de chaque atome du Monde, que le Monde lui-même. Elle est écrite dans le premier instant de l'Univers. Comme toute chose.
Même la vision la plus déterministe, ne peut échapper à la question de la transcendance.
Et un regard allergique à toute transcendance qui croit échapper à cette transcendance en niant ce déterminisme et introduit le libre-arbitre, en le créant, il admet implicitement la transcendance.
C'est donc une vision qui peut réunir le déterministe athée, l'agnostique, le croyant.
L'homme plongé dans l'ex-istence, dans la séparation, ne sait pas voir qu'il est dans l'éternel. Sauf à changer son regard.
Cet éternel c'est donc à la fois l'Univers qui luit toujours devant nous même en la chose la plus humble, l'instant présent écrit de tout éternité**, l'âme. Et puis l'éternel qui se révèle par l'imagination, par la création. Ce qui touche notre âme, par le Beau, un poème, une chanson, un tableau, une image, un geste. Mais qui si l'on veut bien changer de regard, peut-être perçu en chaque instant*
Et dire tout cela, ça n'est finalement pas vraiment différent du daisen et l'Etre d'Heidegger, de l'existentialisme chrétien de Kierkegaard, et Weil. Ou de ce qu'on entend dans la polyphonie de tant de voix de l'oeuvre Dostoïevski. Et même dans une certaine mesure de l'idée du Monde et de l'idée de transcendance chez Wittgenstein.
Ce qui est fascinant, et touchant, pour moi, c'est que le cinéma de Malick est à la fois profondément inscrit dans leur lignée, et dans le même temps, dit quelque chose d'inédit qui réussit leur synthèse.Oui, l'homme a la vie dure ! Un être qui s'habitue à tout. Voilà, je pense, la meilleure définition qu'on puisse donner de l'homme.
— Fiodor Dostoïevski, Souvenirs de la maison des morts
Hugues (hier soir)
*: le sujet de la phrase peut être l'éternel ou le Beau. Qui finalement semblent synonymes, comme si l'un était témoignage de l'autre.
**: mais aussi fruit du premier instant, fruit d'une succession d'instant qui sont chacun autant de miracles, surtout si l'on introduit le libre arbitre de la vie et des âmes.
Shunt a écrit:Mais au final qu'est-ce que cette introspection apprend au narrateur sur lui-même qu'il ne connait pas déjà ? Et qu'est-ce qu'il nous apprend à nous ? Qu'il faut savoir regarder et apprécier les belles choses pour élever notre âme ? A la bonne heure... honnêtement qu'est-ce que ce film t'a appris de nouveau, sur toi, sur le monde ? Je crois que "Tree of Life" est davantage un film qui conforte (qui cajole même) plus qu'il ne révèle. Je n'irai pas jusqu'à le comparer à "Amélie Poulain" mais...
silverwitch a écrit:Tu me demandes ce que j'ai appris du film de Malick ? J'y ai vu comme dans un éclair quelque chose que je voyais sans le reconnaître, c'est ce que je décrivais comme la souffrance comme universel du vivant. Je n'avais pas compris ce que ça signifiant et quel était le lien entre le monde humain, le monde végétal qui ne peut connaître et dont la beauté nous appelle à la connaissance et le monde animal. Cette souffrance dont l'excès produit ce qui sauve, je le vois désormais, comme pour la première fois. Ensuite, je comprends désormais, de manière plus sensible et moins cérébrale, ce lien entre la représentation artistique et l'amour, que j'essaye de te communiquer. L'amour rédime notre souffrance par la compassion, la souffrance partagée.
Rainier a écrit:Oui c'est bien beau tout ça ..mais le dinosaure, il vient faire quoi là dedans ?
Shunt a écrit:Rainier a écrit:Oui c'est bien beau tout ça ..mais le dinosaure, il vient faire quoi là dedans ?
Je crois que cette séquence est censée illustrer le miracle de la compassion. Pour ma part, je trouve cette séquence un peu ridicule. L'idée même qu'un prédateur puisse éprouver de la compassion pour sa proie est déjà assez étrange en soi (mais bon, si la compassion relève du miracle pourquoi pas)... le problème ici, c'est qu'on est à la limite du grotesque, voire de l'absurde... d'une, on peut penser que cet animal agonisant est malade et que le prédateur, logiquement, ne souhaite pas se repaître d'un individu malade... on serait donc davantage dans l'instinct de survie que dans la compassion (à moins qu'il ne s'agisse d'un charognard... mais alors qu'un charognard puisse éprouver une quelconque compassion devant un être qui souffre, c'est du délire complet)... de deux, quand bien même ce prédateur éprouverait de la compassion pour sa proie, il ne fait que lui tourner le dos et le laisse quad même crever dans son coin
Ouais_supère a écrit:Il parait que Django Unchained, le dernier film de Tarantino, c'est vachement bien.
C'est vrai ce mensonge?
Ouais_supère a écrit:Je lirai avec attention ton opinion là-dessus, j'ai l'impression que la critique est assez unanimement "pour" ce film, ce qui m'a surpris.
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