silverwitch a écrit:
Je dois quand même confesser que je m'interroge sur l'utilité de faire un tel ramdam médiatique, avec campagnes de publicité et sur l'intérêt de cette omniprésence médiatique.
Au sein du comité de soutien, nous travaillons avec d'anciens otages qui estiment que la médiatisation ne nuit pas. Pour ma part, j'y vois plusieurs justifications :
1. plus leur détention dure, plus on risque l'oubli et la banalisation. Or, tu sais très bien que ce qui n'existe pas médiatiquement n'existe pas politiquement, surtout avec le gouvernement actuel. Il ne faut pas oublier qu'avant de médiatiser le sort d'Hervé et Steph, on a attendu près de quatre mois, lors desquels ils sont restés anonymes. C'est lorsqu'une vidéo a été publiée, avec des menaces d'exécution, qu'on a décidé d'y aller franco (et ça n'a pas été facile, notamment en interne à France TV). Mais il a fallu du temps pour construire cette mobilisation. Quand on a fait une des premières conf de presse pour lancer les bracelets bleus de soutien, il y avait trois ou quatre journalistes dans la salle... ce qui parait évident aujourd'hui, ne l'était pas il y a 9 mois.
2. parler d'Hervé et Steph, c'est aussi les protéger. En France tout d'abord, parce qu'ils ont été lâchement attaqués au début de leur captivité par des autorités françaises qui réclamaient pourtant la discrétion sur l'affaire. Un général a communiqué sur des supposés coûts de plusieurs millions liés à leur prise d'otages, ce qui a foutu la merde dans les négos, puisque les ravisseurs ont pris ça pour argent comptant. Le gouvernement se disait qu'il pouvait leur taper impunément sur la gueule, puisque tout le monde s'en foutait. A partir du moment où on a organisé la mobilisation, où des mairies, des collectivités locales ont affiché leur portrait, où on a parlé d'eux plus régulièrement dans les médias, le ton a radicalement changé. On n'entend plus aujourd'hui de conneries sur leur compte de la part des autorités françaises. Parler d'Hervé et Steph maintient aussi leur valeur aux yeux des ravisseurs... là aussi, plus le temps passe, et plus la crainte que leurs ravisseurs se lassent et les exécutent est grande... JP Kauffman, otage pendant plus de 1000 jours au Liban dans les années 80, nous a raconté qu'à partir du moment où son sort a été médiatisé, ses ravisseurs ont commencé à mieux le traiter, à lui filer les médocs dont il avait besoin.
3. parler d'Hervé et Stéph, pour nous, c'est défendre aussi une certaine idée du métier. Hervé Ghesquière est sans doute, à mes yeux, l'un des meilleurs, si ce n'est le meilleur reporter de notre rédac. Un mec qui s'attache au fond, qui ne s'est jamais complu dans la posture du "grand reporter", qui est capable de s'intéresser aussi bien à l'Afghanistan qu'à l'évasion fiscale, la crise industrielle, le rapport des jeunes ruraux à la politique, l'état des prisons en France. Un gars méticuleux et rigoureux dans l'approche des sujets qu'il traite. Et un type libre, qui a préféré parfois se brouiller avec sa hiérarchie que de céder sur le fond. A l'heure où on critique la mollesse et la complaisance des journalistes, on se dit que s'il y avait davantage de mecs comme Hervé, notre profession se porterait mieux. Quant à Stéphane, j'ai bossé avec lui plusieurs fois, et c'est également un super pro, extrêmement précis quand il filme, respectueux des gens qu'il met en image et courageux. Bref, ce sont deux mecs attachants qui font honneur à notre métier. Oui, ils ont pris des risques en Afghanistan, mais le risque zéro n'existe pas sur ce genre de terrain. Ce qui leur est reproché, c'est d'être allé d'eux-mêmes à la rencontre des populations de Kapisa pour aller prendre le contre-point de la "communication officielle" dont les ont abreuvés pendant trois semaines les militaires qu'ils ont suivi. Ils bossaient sur la construction d'une route, l'axe Vermont, présenté quasiment comme une "oeuvre humanitaire" au profit des populations locales, alors qu'il s'agirait plutôt d'un axe stratégique pour faciliter les déplacements des troupes de la coalition. Ce qu'Hervé et Stéphane ont refusé, c'est de se contenter de la parole officielle... d'autres s'en seraient contentés, mais pas eux.
4. l'autre intérêt de la médiatisation, c'est qu'un peu du bruit, émis en France, leur parvienne. Pour Kaufman et Aubenas, ça a été vital pour tenir le coup. Car on se demande, nous, comment on tient moralement pendant une si longue détention. Si Hervé et Stéphane arrivent à avoir même un maigre écho sur le fait que leurs amis, leurs collègues se mobilisent pour eux, ça peut les aider à tenir bon, à trouver de nouvelles ressources mentales.
Parce que même pour les esprit les plus disposés à éprouver une grande compassion pour les deux otages, la répétition finit par éroder cette compassion. Moi par exemple, dès que je vois les deux mêmes photos affichées, je ne peux m'empêcher de me faire la réflexion qu'en regardant la photo des deux journalistes, on dirait que l'un est le ravisseur (on dirait Alex dans "Orange Mécanique", sur la photo) et l'autre l'otage...
Hervé ressemble aussi à Jack Bauer... c'est peut-être pour ça que les taliban le traitent d'espion aujourd'hui... faut qu'ils arrêtent de regarder des séries à la con...