La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Cortese le 17 Nov 2016, 18:28

Silverwitch a écrit:
Cortese a écrit:Je ne dis pas que les oeuvres sont interchangeables du tout, je dis qu'elles sont produites dans un cadre idéologique, conscient (militant alors) ou pas et qu'il est toujours assez facilement identifiable (donc que toutes les oeuvres sans exceptions peuvent faire l'objet d'une lecture politique, et je ne vois pas pourquoi on s'en priverait).


Les oeuvres d'art sont crées et sont mises en oeuvre dans une réalité vivante qui est évidemment politique. Mais elles ont une autre visée. Pour être la plus claire possible, je ne reproche évidemment pas d'examiner les oeuvres avec des critères politiques, au contraire ! Je critique la réduction politique ou morale des oeuvres d'art qui revient à tenir l'oeuvre pour le cadre et la morale ou le discours politique pour le tout.

Je cherche une réponse courte et pas trop technique, sans la trouver tout à fait. Si je devais résumer, au nom du principe selon lequel "tout est politique", les films ou les oeuvres d'art devraient être jugés selon des critères politiques. Ce n'est pas mon avis, et ce n'est pas vraiment le tien puisque tu concèdes (en un mot) que l'oeuvre peut échapper à la contingence de son contexte de création. Or si l'oeuvre devrait être critiquée d'abord selon des critères politiques, nous serions dans une logique totalitaire: un bon film serait d'abord un film nazi, un bon médecin serait d'abord fidèle au parti, etc... Mais en quoi un médecin qui pense comme il faut est-il un bon médecin ? En quoi un menuisier patriote est il un bon artisan ? Et allons plus loin, puisque généralement la réduction politique est un chemin vers la réduction moralisante: qui peut dire en quoi la prudence l'emporte sur le courage ?

Aristote avait résolu cette question (tout est-il politique): "C'est comme si on disait que la politique gouverne les dieux car elle exerce son autorité sur tout ce qui se passe dans la cité". Il faut donc en conclure que si le politique est partout, la politique n'est pas tout. Or un film ou un roman vise une autre vérité, un tout autre mystère qui fait d'ailleurs de tous les récits des romans policiers: le mystère du moi, de l'identité. Qui suis-je ? Voilà la question à laquelle toute fiction quand elle s'arrache à son petit contexte répond de manière ambigüe, puisqu'elle atteint tout autre chose: quand la politique juge et gouverne les choses, quand la morale juge et étalonne les corps et les âmes, l'art suspend le jugement. Car enfin, cet autre que moi, c'est dans ses yeux que je me découvre en miroir. Shakespeare le montre magistralement. Chaque activité humaine a sa fin propre: la médecine, l'art ou même la politique. Un jugement éclairé devrait donc nous conduire à une double proposition: quelle est la fin poursuivie par l'oeuvre d'art et quelle est cette chose que seuls les films (ou les romans, ou le théâtre) peuvent dire ?

Il faut donc écrire à l'endroit: non pas c'est un chef d'oeuvre mais c'est moralement douteux, ou c'est une grande pièce mais historiquement contestable, il faut écrire ça pose des questions morales, mais c'est un chef d'oeuvre parce que... La réponse a ce parce que ne peut jamais être uniquement générale, elle fera toujours appel au monde des oeuvres, parce qu'un film, un roman, un tableau ou une pièce de théâtre nous révèlent ce que nous avions sous les yeux sans le voir. Enfin, on s'écrira: je vois ! Parce que voir, c'est comprendre et que pour voir, il faut lire, il faut regarder une oeuvre pour ce qu'elle est concrètement, singulièrement.

Ah mais je souscris totalement, dans la mesure de mes moyens intellectuels. J'ai un peu l'impression que Shakespeare et Molière n'auraient pas été dans le même parti politique mais c'est secondaire. Je ne suis pas un commissaire politique et je n'en n'ai aucune envie, au contraire je m'insurge contre les abus doctrinaires qu'on nous inflige en douce, contre le prêchi-prêcha, particulièrement pénible depuis les années 80, au cinéma. On a l'impression d'être dans un art de cour (déjà qu'on a l'impression générale d'être retourné à l'Ancien Régime). Je voudrais plus de liberté de ton, plus d'audace, d'impertinence, de surprise quoi. Je n'ai jamais eu autant cette impression d'être accablé de ronron idéologique.
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Messagede Silverwitch le 17 Nov 2016, 18:43

Cortese a écrit: J'ai un peu l'impression que Shakespeare et Molière n'auraient pas été dans le même parti politique mais c'est secondaire. Je ne suis pas un commissaire politique et je n'en n'ai aucune envie, au contraire je m'insurge contre les abus doctrinaires qu'on nous inflige en douce, contre le prêchi-prêcha, particulièrement pénible depuis les années 80, au cinéma. On a l'impression d'être dans un art de cour (déjà qu'on a l'impression générale d'être retourné à l'Ancien Régime). Je voudrais plus de liberté de ton, plus d'audace, d'impertinence, de surprise quoi. Je n'ai jamais eu autant cette impression d'être accablé de ronron idéologique.


:good

J'ai le parfois que nous exagérons des désaccords très relatifs au nom d'une idée fausse: je défendrais l'art pour l'art, et tu serais indifférent à la forme. Or il va sans dire que tout ce que je connais de toi indique que tu es un esthète, contrarié et déçu, mais un esthète. C'est peut-être parce que tu es un artiste que tu as moins besoin du pouvoir des images pour accéder à ce que j'appelle la fantaisie, ce miroir invisible du monde sensible. Je ne peux me résoudre à l'idée que les générations actuelles et futures seraient soumises éternellement à une telle pauvreté esthétique.
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Messagede Ouais_supère le 17 Nov 2016, 18:55

Silverwitch a écrit:. Je ne peux me résoudre à l'idée que les générations actuelles et futures seraient soumises éternellement à une telle pauvreté esthétique.


En tant que spectateur, j'atteste de la sensation d'une soif un peu indistincte de quelque chose qui manque, esthétiquement.
Et qu'elle grandit pour peu qu'on lui montre, des choses.
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Messagede Silverwitch le 17 Nov 2016, 18:58

Ouais_supère a écrit:
Silverwitch a écrit:. Je ne peux me résoudre à l'idée que les générations actuelles et futures seraient soumises éternellement à une telle pauvreté esthétique.


En tant que spectateur, j'atteste de la sensation d'une soif un peu indistincte de quelque chose qui manque, esthétiquement.
Et qu'elle grandit pour peu qu'on lui montre, des choses.


En quelque sorte, l'immense majorité des films ou des productions esthétiques contemporaines nous assènent avec obstination qu'il n'y a pas d'autre monde possible. Chaque spectateur, chaque lecteur, chaque auditeur, perçoit confusément en lui l'appel de cet autre monde, dont il perçoit l'existence invisible. Comme une réminiscence.

C'est une morale générale de l'art: faire voir ce que nos yeux ne peuvent voire autrement.
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Messagede horatio le 17 Nov 2016, 20:19

C'est très bien dit tout ça, mais il faut aussi prendre en compte qu'un film, aussi bien réalisé qu'il soit, ne peut pas avoir le même impact que telle ou telle personne. Tout dépend de la sensibilité, de l'expérience vécue etc.

Donc comment définir objectivement un bon film selon toi Silver ?
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Messagede Marlaga le 17 Nov 2016, 21:17

horatio a écrit:C'est très bien dit tout ça, mais il faut aussi prendre en compte qu'un film, aussi bien réalisé qu'il soit, ne peut pas avoir le même impact que telle ou telle personne. Tout dépend de la sensibilité, de l'expérience vécue etc.

Donc comment définir objectivement un bon film selon toi Silver ?


T'as un mois de congé devant toi ?
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Messagede horatio le 18 Nov 2016, 09:02

Marlaga a écrit:
horatio a écrit:C'est très bien dit tout ça, mais il faut aussi prendre en compte qu'un film, aussi bien réalisé qu'il soit, ne peut pas avoir le même impact que telle ou telle personne. Tout dépend de la sensibilité, de l'expérience vécue etc.

Donc comment définir objectivement un bon film selon toi Silver ?


T'as un mois de congé devant toi ?


Oui justement :D
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Ouais_supère le 18 Nov 2016, 09:14

Faudrait chercher un peu, mais c'est une discussion qui revient régulièrement, ça se trouve, je pense.
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Shoemaker le 18 Nov 2016, 09:45

Absolument. Si on en faisait un recension et une mise en ordre, il y a de quoi établir un module universitaire pour un an !
Je me rappelle précisément le jour où, définitivement, j'ai mis un lourd bémol sur mes prétentions de "critique littéraire" (j'ai peut-être déjà raconté cette histoire...).
En seconde donc, mon admirable et fabuleuse prof de Français, Mademoiselle Chupin, vieille fille à barbe et stalinienne définitive devant l'Eternel, nous avait collé une dissertation en apparence classique, dont le sujet était (en gros) :
"Un tableau, une sculpture, une pièce musicale, un livre, un œuvre d'art quelconque... Dites votre rapport à cette œuvre d'une manière ou d'une autre".
J'avais choisi un tableau quelconque, et j'ai rempli la double feuille de ma prose fleurie mais nez en moins inutilement bavarde. Et je concluais, pas peu fier, par un seigneurial : "Il y a dans ce tableau, un je ne sais quoi qui me touche... etc etc.".
Sous la sale note que Mlle Chupin m'a collée, il y avait un laconique : "C'est précisément ce "je ne sais quoi" que je vous demande de développer". (plus tard, j'ai vu que Balzac utilisait souvent cette expression ! Là s'arrête la comparaison ! :D )
Puis, elle nous a fait lire manu militari "Les illusions perdues" de Balzac. On a jeté le programme aux orties, et pendant un trimestre au moins, avec une méthodologie extraordinaire, sous sa direction (à Mlle Chupin, pas Balzac), constitués en groupes, nous avons disséqué la structure fine de l'œuvre. Tout y est passé. Tout. En vrac, le style, l'histoire et sa structure, l'environnement, les personnages, le déroulement dans le temps, les "intérêts" divers, historique, dramatique, social, "sociétal", machin chose. Les conditions de la naissance de l'œuvre, son positionnement politique, historique, en rapport avec la vie de l'auteur, ses convictions, etc. Puis nous avons procédé à un truc extraordinaire : TOUT le livre, a été réécrit, mais sous une forme de script, de scénario... Des dizaines de feuilles scotchées les unes aux autres, telles un réseau ferroviaire complexe, étalées sur le sol de la classe : dessus, chaque étape du livre, des flèches, des moments clés, des mises en lumière (par exemple la situation de l'imprimerie du temps de Balzac...), le déroulement dans le temps... Des dizaines de flèches de toutes les couleurs, des renvois, etc etc.
Et le livre, soudain, était là, sous une sorte de forme graphique, s'étalant en un coup à nos pieds, sous nos yeux émerveillés !
Tout s'éclairait, tout devenait clair, structuré... y'avais plus ka !
On a étudié ensuite 3 ou 4 autres romans, tableaux de maîtres, selon cette discipline, cette méthodologie...
Depuis cette classe là, j'ai appris à être très très très modeste, quant à mon approche de l'art.
Du coup, Silverwitch, pas Stalinienne et certainement infiniment plus charmante que ma prof de Seconde ( :D ), c'est ma Mademoiselle Chupin à moi ! :o :o :o
"c'est quoi le blues". Toujours les mêmes histoires, celles qui font vaciller les mondes et les empires.
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Shoemaker le 18 Nov 2016, 09:49

(Rien à voir, mais vous ai-je dit que pour mes 60 ans, mes sœurs m'ont offert la Comédie humaine dans l'édition de la Pléiade ?)
"c'est quoi le blues". Toujours les mêmes histoires, celles qui font vaciller les mondes et les empires.
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Ouais_supère le 18 Nov 2016, 09:50

Les fameuses Etudes de Chupin.
Furmidables.
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Messagede Shoemaker le 18 Nov 2016, 10:23

Ouais_supère a écrit:Les fameuses Etudes de Chupin.
Furmidables.

:D
"c'est quoi le blues". Toujours les mêmes histoires, celles qui font vaciller les mondes et les empires.
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Silverwitch le 18 Nov 2016, 10:42

horatio a écrit:C'est très bien dit tout ça, mais il faut aussi prendre en compte qu'un film, aussi bien réalisé qu'il soit, ne peut pas avoir le même impact que telle ou telle personne. Tout dépend de la sensibilité, de l'expérience vécue etc.

Donc comment définir objectivement un bon film selon toi Silver ?


Le plus important n'est sans doute pas la définition objective que sa recherche qui implique une distance, que l'on nommera un regard critique. Distance vis à vis de nos émotions et de nos impressions, distance vis à vis des discours promotionnels, distance vis à vis du succès public ou critique du film. Je ne dis pas qu'il faut tenir pour rien nos sentiments vis à vis d'un film, simplement renverser la perspective: ce film n'est pas bon parce qu'il t'émeut (t'amuse, te fait réfléchir, te fait peur). Commencer par savoir pourquoi il t'émeut, puis se demander comment. Ensuite tout reprendre à zéro et confronter son point de vue à d'autres. Ces discussions entre amis, en couple, en famille ou sur un forum après un film sont essentielles à notre apprentissage critique, elles nous empêchent de rester prisonniers de nos sentiments et nous contraignent à approfondir l'objet de notre divertissement. Un rêve ne vaut que pour nous, un film est un rêve partagé, et ce n'est pas notre rêve.

Avec le pourquoi et le comment, il faut enfin poser individuellement ou collectivement les bonnes questions: par exemple, pourquoi et comment ce film est-il original, pourquoi et comment est-il pertinent ?

L'exercice peut faire prendre conscience de limites: grâce à un débat, chacun confronte concrètement sa connaissance du film. Avais-je bien vu ce que j'ai vu, ai-je bien compris cette séquence ou ce que signifiait ce dialogue, ce plan ou tel geste ? Et cette idée que je croyais si originale et si innovante, n'est-elle pas déjà une figure vue et revue dix fois dans d'autres films ? En conclusion, un jugement est toujours faillible et perfectible, mais les films pour être achevés ont besoin de faire leur chemin en nous à la lumière de la conscience, s'ils veulent nous éclairer de l'intérieur, nous devons réfléchir. Le film ne se termine pas quand la lumière se rallume dans la salle de cinéma, il doit être médité et critiqué. Chaque spectateur le ressent plus ou moins consciemment, il est très rare de voir quelqu'un refuser de discuter ses impressions ou renoncer à essayer de convaincre des qualités ou des défauts du film qu'il vient de voir avec d'autres. Pourquoi débattons-nous des films ? Pour mieux les comprendre. Nous jugeons pour comprendre. Les films sont des objets de connaissance, et les moyens de cette connaissance sont ludiques: émotions, plaisir, peur, sentiments, réflexion et surtout interrogations multiples, qui a fait quoi, que va-t-il se passer ensuite ?
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Hugues le 21 Nov 2016, 18:29

Il manque édifiant et cohérent ... :roll:

Tout se perd, vraiment tout se perd :roll:

Hugues (Voilà, après quelques jours de tentation, ça c'est fait.. :D )
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Hugues le 21 Nov 2016, 20:27

Plus que 2 jours... Déjà !

"Une vie" : un miracle signé Stéphane Brizé

En adaptant le roman de Maupassant, le cinéaste de "la Loi du marché" touche au coeur.

C'est stupéfiant. On pourrait presque croire que le cinéma avait déjà été inventé en 1819, dans le pays de Caux, lorsque commence le roman de Maupassant. Stéphane Brizé n'adapte pas «Une vie» (sortie le 23 novembre), il semble en effet la filmer, sous la Restauration et la monarchie de Juillet, en même temps qu'elle se déroule, lente et inéluctable, avec ses moments ordinaires, ses orages, ses désillusions, ses morts, parfois ses meurtres, ses naissances, sa ruine et ses soupirs.

Une lumière naturelle - au jour ou à la bougie -, des visages sans maquillage, des costumes qui sentent le vieux, un son qu'on dirait volé et une image au format carré: tout est âpre, détrempé, écaillé, primitif, dans ce film poignant dont seule la simplicité est spectaculaire.

De l'écrit à l'écran (et réciproquement)

L'histoire est celle d'une jeune aristocrate normande que ses parents, qu'elle adore, marient à un vicomte avenant. Jeanne, qui a été couvée et sort du couvent, va vite découvrir que son mari, pingre et caractériel, la trompe jusque sous leur toit. C'est le début d'un long calvaire où elle va tout perdre, ceux qu'elle aime, les biens dont elle a hérité, ses rêves d'enfance et même sa foi. Mais jamais son honnêteté. Jeanne, que Maupassant observait de haut, en démiurge, et dont, au contraire, Stéphane Brizé adopte de bout en bout le point de vue, avec une empathie compassionnelle.


Elle est incarnée, le plus souvent de profil, par l'actrice et chanteuse lyrique Judith Chemla, aussi douée pour être policée que sauvage, exprimer la candeur que la détresse, être à la fois d'hier et d'aujourd'hui. Elle habite le film et le justifie - comme Vincent Lindon dans «la Loi du marché», comme Hélène Vincent dans «Quelques heures de printemps».

Impressionnant directeur d'acteurs, Brizé fait un cinéma sans épate, sans vanité, sans complaisance, sans académisme, qui touche au cœur. Enfin, presque tous les cœurs. A la Mostra de Venise, où «Une vie» concourait, il s'est trouvé des critiques français pour parler d'un «insipide téléfilm d'Antenne 2» ou dénoncer l'«inanité de ce qui se joue dans le cadre».

Or « Une vie » est l'exact contraire du téléfilm, et ce qui se joue dans le cadre, surtout quand il ne se passe rien, raconte, avec une justesse et un naturalisme exemplaires, ce que, dans une préface au roman de Maupassant, Annie Ernaux appelait un «miracle»:
Que la vie sans relief ni flamboiement d'une provinciale au XIXe siècle figure (…) toute vie, même la plus “réussie”, de femme ou d'homme.»


Dans le film de Brizé, il y a aussi ce miracle.

Jérôme Garcin


Toutefois aussi mérités soient les compliments fait au film (avec la réserve que le texte ne dit en fait pas grand chose, "touche au coeur" on peut pas dire que ce soit de l'analyse, comme souvent dans la critique cinéma contemporaine), il y a aussi un bémol. Comme Silverwitch l'avait fait remarquer il y a quelques années, il est bon de regarder qui parle...
Or le sieur Garcin, est le même qui devant certains films au moins tout aussi grands et surtout qui partageaient une parenté troublante (je développerai j'espère d'ici mercredi) en fit absurdement des objets de ridicule et de moquerie. Comment malgré leur parenté peut-on encenser ainsi Une Vie et enfoncer ainsi ces films qui méritaient au moins tout autant que le très grand film de Brizé d'être loué.

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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Hugues le 22 Nov 2016, 00:16

Et comme le film le mérite bien, j'ai offert à la bande-annonce un encodage digne de ce nom (tant en qualité, qu'en évitant l'accident qui était présent dans celle, encodée par un célèbre site, qui était dans les pages précédentes... accident que je comprends puisque finalement, les encodeurs semblent buter sur ce passage) directement à partir de la bande-annonce cinéma (ce qui n'a pas été de tout repos). Bref, plus que jamais cette fois, l'image est faite pour être vue en plein écran

Une Vie - Bande-annonce   Compatible plein écran


Et pour rappel la bande-annonce internationale plus fidèle au film et son esprit... mais qui a le tort de remettre en mémoire le récit de Maupassant quand toute la puissance du film tient à la manière bien singulière le récit va se déployer au spectateur (ne pas avoir le récit précisément à l'esprit est donc bien mieux):
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Hugues le 22 Nov 2016, 16:12

Et il ne sera pas trop difficile à trouver en salle, il débute sur 150 écrans environ demain
(Ce qui est assez honorable, même si c'est moins que les 350 du sans intérêt mais très commercial La fille de Brest, ou les 165 de la comédie américaine ratée - et qui faillit ne jamais sortir - Les Cerveaux )

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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede sheon le 22 Nov 2016, 16:15

Le 4/3, c'est pour faire cinéma d'auteur ou ça a un réel intérêt ?
Si j'avais souvent répété que je désirais mourir dans mon lit, ce que je voulais vraiment dire par là, c'est que je voulais me faire marcher dessus par un éléphant pendant que je ferais l'amour. Les Fusils d'Avalon, Roger Zelazny.
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Silverwitch le 22 Nov 2016, 17:09

sheon a écrit:Le 4/3, c'est pour faire cinéma d'auteur ou ça a un réel intérêt ?


Vu le sujet, c'est probablement une excellente idée de mise en scène.
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Hugues le 22 Nov 2016, 18:38

sheon a écrit:Le 4/3, c'est pour faire cinéma d'auteur ou ça a un réel intérêt ?


Déjà, si tu envisages le "pour faire" quand le cinéaste n'a que faire de faire ceci ou cela, de passer pour ceci, cela etc.. , mais ne se préoccupe que du film qu'il laisse, c'est un souci.

Comme dans les récents films du cinéaste, (partiellement dans Quelques heures de printemps et entièrement dans La loi du marché ) le film est tourné à distance, souvent en longue focale, souvent avec des gros plans, et, ce n'est pas le moindre détail, caméra à l'épaule.
Le regard est donc à la fois pudique, distant, et pourtant, par le gros plan, sensible, relevant chez les acteurs, leurs frémissements leur humanité. C'est un dispositif documentaire (ce qui n'empêche pas une photographie exceptionnelle) en quelque sorte.

La nécessité du 4/3 tient à deux faits.
- D'abord, pragmatiquement le dispositif documentaire, (et moi je dirais plutôt, en synonyme "la caméra pudique et sensible") les frémissements de la caméra à l'épaule et ses gros plans... certes ça n'exclue pas le format large... (c'est le cas de La loi du marché). Mais pour une fenêtre sur le passé, le XIXe (et en fait une double ou triple fenêtre selon comment l'on reçoit le film), le frémissement documentaire (frémissement qui par ailleurs traduit aussi quelque chose aussi de Jeanne) ajouté à un format large lui aurait donné l'aspect d'un reportage, aurait en quelque sorte forcé la modernité du film, l'aurait surligné.
En quelque sorte il y aurait eu une ostentation du cadre. On n'aurait cessé d'y faire attention. Ou de chercher ce qui dérangeait.
Ici à l'inverse, si le cadre peut surprendre les premières secondes ou minutes, il s'oublie. Brizé au contraire de quelques autres surligneurs (comme des changements de couleur dans un récent film français à l'accent allemand, ou de pires surlignages québécois) ne souhaite pas qu'on perçoive les coutures de la création du film, il souhaite qu'on les oublie. Même si ses coutures ont une importance pour ce que le spectateur va percevoir du film, elles doivent être implicites, et non explicites.
Paradoxalement, donc quoique cela attire brièvement l'attention, il a cherché à ce que son choix de cadre soit invisible, inconscient, se fasse oublier.
- Ensuite, il y a le sujet du film. Et ce cadre a le bon goût de raisonner dans l'inconscient (encore une fois, c'est implicite, ça n'est pas ostentatoire, sauf à qui se pose la question) avec le sujet même du film (je ne développe pas à dessein avant que le film ait été vu, c'est déjà même un problème déjà que de l'évoquer quelque peu vous allez chercher au lieu que votre conscient l'oublie), en plus de se faire oublier. Par ailleurs, il tient aussi lieu de fenêtre sur le passé. Ou mieux peut-être de regard. Un regard humain, le souvenir de la lumière sur la rétine, ça n'est pas en cinémascope.

Et pour information extrinsèque il faut savoir que le choix du cadre d'abord instinctif, pressenti par le cinéaste et son chef opérateur avant même tout raisonnement postérieur, s'est confirmé lors d'essais de pré-production: en format large, c'était un autre film.


En dernière digression..
J'ai écrit chez les acteurs, et non chez les personnages,
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Stéphane le 22 Nov 2016, 18:57

C'est con, du coup quand ça passera à la télé, on perdra le haut et le bas de l'écran.
Ouais_supère a écrit:Stef, t'es chiant
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Hugues le 22 Nov 2016, 19:46

Bah non.

Ca sera noir à gauche et à droite.

Comme quand on diffuse un film pré-1953, sur une chaine digne de ce nom...
Ou comme on avait des bandes noires en haut et bas sur un écran 4/3 quand était diffusé des films au formats larges.

On est plus dans les années 80 ou 90 où des gens de mauvais gfouts prenaient des initiatives (à la télévision comme en vidéo) de chasser le noir.
Enfin si ça continue, mais c'est juste sur des téléfilms et des Plus belle la vie :D tournés en 4/3 qu'on coupe et diffuse en 14:9 comme ça c'est presque sans noir, donc on s'en fiche :D

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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Stéphane le 22 Nov 2016, 20:11

Je pensais à Plus Belle la Vie, effectivement. :D



Mais sérieusement il y a pas grand chose qui est diffusé avec des bandes noirs à gauche/droite.
Ouais_supère a écrit:Stef, t'es chiant
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Ouais_supère le 22 Nov 2016, 21:58

Hugues a écrit:Ca sera noir à gauche et à droite.


On dirait de la météorologie politique.
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Hugues le 22 Nov 2016, 22:01

Ne suivant pas son émission, je ne sais pas si Eric Naulleau voit ordinairement aussi juste que cette fois... Mais..



"Thomas, je vais être très franc avec vous, pour bien poser le débat critique :D : c'est un des plus beaux films français depuis des années".

C'est exactement ce que j'ai écrit sur ce sujet voilà un peu plus de 2 mois.

Hugues
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Marlaga le 22 Nov 2016, 22:52

Stéphane a écrit:C'est con, du coup quand ça passera à la télé, on perdra le haut et le bas de l'écran.


Ça dépend de la chaîne sur laquelle ça passera. Sur certaines chaines, on déforme l'image pour remplir en largeur, quitte à ce que tout le monde ait l'air gros.
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Stéphane le 22 Nov 2016, 23:02

C'est vrai. :lol:
Ouais_supère a écrit:Stef, t'es chiant
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Messagede Hugues le 23 Nov 2016, 10:55

Diffusion dans les premières années, tout au moins, sur Canal+, Ciné+, Be tv (l'ancienne Canal+ Belgique), ainsi que France 3 (ou si changement, France Télévisions). Bon on a déjà vu aussi France Télévisions ne pas user des droits acquis et que le film connaisse sa première diffusion en clair finalement sur Arte.

Une vie Brizé
Thierry Gandillot

Il y a trois bonnes raisons d'aller voir « Une vie » : Guy de Maupassant, Stéphane Brizé, Judith Chemla. « Une vie » est un roman de Maupassant d'une noirceur absolue, orchestré autour des malheurs de Jeanne, fille choyée de nobliaux fortunés de province. A sa sortie du couvent, elle rencontre un séduisant Julien de Lamare, dont la particule cache mal le dénuement financier.
Texte caché : cliquez sur le cadre pour l'afficher


Stéphane Brizé, ensuite, est l'auteur d'au moins trois films exemplaires, « Mademoiselle Chambon », « Quelques heures de printemps » et la « Loi du marché », qui a rencontré un immense succès populaire et permis à Vincent Lindon de cumuler césar et prix d'interprétation à Cannes.

Judith Chemla, enfin, est bien connue des amateurs de théâtre. Cette ancienne pensionnaire de la Comédie-Française a enchanté les Bouffes du Nord avec « Le Crocodile trompeur », adaptation foutraque du « Didon et Enée » de Purcell, et « La Traviata » de Verdi, actuellement en tournée.

[...] Brizé manie l'ellipse comme personne, effectue des retours au passé ou enjambe les décennies avec virtuosité, joue des silences, des regards, des gestes. Il ne surligne rien, il indique. Délicate, fragile, innocente ou bafouée, éperdue et perdue, Judith Chemla accompagne ses allers et retours dans le temps. Solaire et joyeuse dans les années de jeunesse ; vieillie et accablée, au bord de la folie à la fin de sa vie. Pourtant, malgré ces qualités, « Une vie », qui devrait nous bouleverser, nous tient à distance. [...]



La dernière phrase n'engage que son auteur (et n'est de toute façon pas un critère pour juger d'u film on l'a déjà dit)
Mais j'en ai vu des yeux rougis, ou par le récit, ou par tout simplement comme les miens, par un excès de beauté...

Alors, quand la Poésie, ou la Musique, la plus enivrante des formes poétiques, nous a fait fondre en larmes, nous pleurons, non, comme le suppose l’Abbé Gravina, par excès de plaisir, mais par suite d’un chagrin positif, impétueux, impatient, que nous ressentons de notre impuissance à saisir actuellement, pleinement sur cette terre, une fois et pour toujours, ces joies divines et enchanteresses, dont nous n’atteignons, à travers le poème, ou à travers la musique, que de courtes et vagues lueurs.

Et comme pour la contredire immédiatement, cette dernière phrase de la précédente critique, il y a le dernier paragraphe de ce qui suit:

D’emblée, le format de l’image saisit. L’œil s’est déshabitué du bon vieux 1:33, de cette image presque carrée pratiquement disparue aujourd’hui. Il faut s’accoutumer, mais l’impression d’étrangeté est créée ; elle ne s’estompera pas. Un choix de cinéma pour une adaptation littéraire, la voie est tracée : plus qu’à la ligne dramatique, l’histoire d’une femme flouée par son mari puis par son fils, c’est à la représentation que Stéphane Brizé s’attache. Et, tout au long du film, ce sont des partis pris de mise en scène qu’il impose, les seuls à atteindre la vérité des personnages. Laquelle conduit par instants à la tentation de l’abstraction, ainsi lorsque deux taches blanches s’éloignent dans le noir, chemise de nuit de la femme qui s’enfuit et celle du mari qui la poursuit.

Entre elle, qui vient d’apprendre que Rosalie, la domestique, est enceinte des œuvres de l’époux, et ce dernier, la confrontation a été violente, mais le film n’en a rien donné à voir. Le temps du roman n’est pas celui du film, et de cette évidence le film se nourrit. Il laisse les drames hors champ et n’en saisit que les conséquences (les cadavres, pas les meurtres). Il exprime le passage des années sans artifice : la lumière seule dit les saisons, et le froid, et la chaleur, et le visage de Jeanne, qui, en moins de deux heures, passe de l’état de jeune fille au sortir du pensionnat à celui de grand-mère, se transforme non par le maquillage, mais par le jeu de Judith Chemla, par ses attitudes, ses façons de se tenir, de se déplacer, bref par tout ce qu’une actrice peut donner, et que la jeune comédienne sert admirablement.

C’est ainsi que, peu à peu, l’émotion s’installe. Presque absente des premières séquences, elle s’empare du film à mesure que s’exprime cette réalité intangible selon laquelle les choix d’hier, effectués ou consentis, modèlent l’existence bien longtemps après qu’ils sont oubliés. Alors, toute une vie se trouve mise en perspective, avec ce qu’elle contient de caché, ce qui jamais ne se dit et qui parfois affleure, dans les lettres secrètes précieusement conservées et enfermées jadis, comme celles que Jeanne découvre, adressées à une mère dont à aucun moment elle n’avait pensé qu’elle fut femme, elle aussi.

Pascal Mérigeau


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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede sheon le 23 Nov 2016, 12:06

Hugues a écrit:
sheon a écrit:Le 4/3, c'est pour faire cinéma d'auteur ou ça a un réel intérêt ?


Déjà, si tu envisages le "pour faire" quand le cinéaste n'a que faire de faire ceci ou cela, de passer pour ceci, cela etc.. , mais ne se préoccupe que du film qu'il laisse, c'est un souci.

Je ne sais pas ce que ce cinéaste veut faire ou non. Je ne le connais pas. Alors je ne vois pas où est le souci.
Merci pour ta réponse complète, en tous cas.
Stéphane a écrit:Mais sérieusement il y a pas grand chose qui est diffusé avec des bandes noirs à gauche/droite.

Je ne sais pas comment c'est fait en Belgique, mais en France les films en 4/3 sont bien diffusés en 4/3 avec des bandes noires sur les côtés. Mais ce sont des films assez anciens, pré-années 60, donc cela arrive effectivement assez peu souvent.
Si j'avais souvent répété que je désirais mourir dans mon lit, ce que je voulais vraiment dire par là, c'est que je voulais me faire marcher dessus par un éléphant pendant que je ferais l'amour. Les Fusils d'Avalon, Roger Zelazny.
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Stéphane le 23 Nov 2016, 12:12

Sinon, j'ai suivi le conseil de



Bon, ok, presque un an après, mais ça valait le coup.
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Hugues le 23 Nov 2016, 13:46

"Une Vie" ou l'art délicat de l'adaptation
Par Laure Croiset
Publié le 23-11-2016 à 11h10

CRITIQUE Après avoir adapté "Mademoiselle Chambon" d'Eric Holder, Stéphane Brizé ose s'attaquer à Guy de Maupassant avec son délicat "Une Vie". Un film illuminé par la présence de l'admirable Judith Chemla.
Si le nom de Stéphane Brizé est sorti de l'ombre avec sa chronique sociale La Loi du marché, qui a valu à Vincent Lindon de décrocher le Prix d'interprétation masculine à Cannes, ce dernier s'était déjà illustré dans l'exercice de l'adaptation littéraire avec l'impeccable Mademoiselle Chambon. Mais transposer le roman homonyme d'Eric Holder était sans doute moins périlleux que de se frotter au classique de Guy de Maupassant, Une Vie. Pourtant, Stéphane Brizé s'en sort honorablement avec cette adaptation délicate, illuminée par la présence de son actrice Judith Chemla.

Le film commence en Normandie, en 1819. À peine sortie du couvent où elle a fait ses études, Jeanne Le Perthuis des Vauds, jeune femme trop protégée et encore pleine des rêves de l'enfance, se marie avec Julien de Lamare. Très vite, il se révèle pingre, brutal et volage. Les illusions de Jeanne commencent alors peu à peu à s'envoler.

L'admirable Judith Chemla

Pour s'attaquer à ce monument de la littérature française qu'est Une Vie de Maupassant, il fallait à la fois simplifier sa narration et accepter la trahison. Stéphane Brizé a ainsi fait le choix de raconter cette histoire en se plaçant uniquement du point de vue de Jeanne. Un parti pris risqué qui a nécessité quelques modifications majeures par rapport à l'oeuvre originale. Et afin de mieux prendre en compte les pulsations de cette jeune héroïne qu'il va filmer tout au long de sa vie, le réalisateur a choisi de la filmer caméra à l'épaule tout en l'enfermant dans un cadre resserré en prenant l'option du format 1.33. D'où cette sensation de mouvement dans un cadre aussi étroit qu'une prison. Ce choix de mise en scène crée une mise en danger permanente de ce personnage à peine sorti de l'enfance qui s'attendait certainement à autre chose pour sa vie d'adulte. Fébrile, elle peut vaciller d'un instant à l'autre. C'est la fragilité de ce personnage que Stéphane Brizé a choisi d'accompagner à chaque instant de sa vie, dans ses moments de ravissement, comme dans ses élans de solitude et de désespoir.

Pour l'accompagner dans ce cheminement, le réalisateur a choisi de filmer une actrice que l'on avait pu apercevoir chez Noémie Lvovsky (Camille redouble) et Mikhaël Hers (Ce sentiment de l'été), l'admirable Judith Chemla. Si cette dernière relève désormais tous les défis sur les planches, elle n'avait pas encore rencontré au cinéma le rôle à la hauteur de son immense talent. C'est désormais chose faite avec Une Vie, qui pourrait lui valoir au moins une nomination à la prochaine cérémonie des César. Intense, son jeu illumine cette adaptation du début à la fin. D'autant que le film bénéficie de la lumière exceptionnelle du chef opérateur Antoine Héberlé qui aurait néanmoins mérité un accompagnement musical plus discret pour que cette Vie-là soit totalement réussie.


Sur la dernière phrase, c'est étrange de lire cela quand la musique, des pièces de clavecin joués et réimaginées au piano forte, n'est dans le film que durant trois à quatre minutes peut-être à des instants singuliers et subtilement choisis.
Il faudra que son auteur revoie peut-être le film

Bon j'arrête là.. sinon j'espère comme je l'ai sous-entendu pour un texte un peu plus creusé que ce que j'ai écrit sur le film en septembre.. et dans les dernières pages et semaines.

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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Hugues le 23 Nov 2016, 20:55

E-mail aux projectionnistes:

"80 phrases de dialogue maximum sur 2 heures, le reste du temps, c'est le son du vent et de la pluie."

Image

:good

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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Run le 24 Nov 2016, 03:18

Sinon, Cars 3 va sortir.

Voila.
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Hugues le 24 Nov 2016, 03:27

:o



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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Aiello le 24 Nov 2016, 10:11

Le 2 était nul. On va voir.
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Aym le 24 Nov 2016, 10:35

Le 2 était nul ? J'en ai bouffé et j'en bouffe encore avec mes enfants, qui le préfèrent au premier :D

Le 3, les dessins me paraissent moins "cartoon" dans la bande annonce. C'est juste une impression ?
L'informatique n'est pas une science exacte, on n'est jamais à l'abri d'un succès
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Aiello le 24 Nov 2016, 11:16

Aym a écrit:Le 2 était nul ? J'en ai bouffé et j'en bouffe encore avec mes enfants, qui le préfèrent au premier :D

Ça part dans tous les sens, le second, à vouloir faire dans le spectaculaire. Les voitures sont trop humanisées.
Je trouve le premier bien plus homogène.
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Hugues le 25 Nov 2016, 16:56

Sophie Avon a écrit:Quand Maupassant publie en 1883 ce roman qui deviendra l'un de ses plus célèbres, imagine-t-il que Jeanne de Lassalle franchira plus d'un siècle sans prendre une ride ? La désillusion de la jeune femme, ce désenchantement qui la confine peu à peu à une réclusion, en a fait bel et bien une héroïne intemporelle. Un cœur simple que la réalité violente, une âme pure qui se condamne à l'épouvante alors qu'elle est une jeune aristocrate choyée par ses parents. Père et mère lui ont enseigné la vérité de la terre et celle des sentiments. Elle a cru que son avenir serait semblable à un jardin ou à un potager : semer, arroser, nourrir. Mais voilà, l'amour des hommes n'est pas du même ordre.

A Julien, le jeune garçon à qui elle se destine, Jeanne donne son cœur intact, plein de l'amour de sa famille et du paradis de l'enfance. La grossièreté de son mari, son infidélité et sa pingrerie la font vite déchanter. Ses yeux se décillent. Elle n'en est pas plus dure ou plus mauvaise, au contraire. Elle essaie même de pardonner, d'y croire encore avant de comprendre que Julien restera un homme indigne. Elle rêvait d'un amour éternel et tiède, elle traverse un désamour glacial. L'aurait-elle su plus tôt que, sans doute, elle n'aurait rien pu faire. Comment vivre sans perdre ?

Une vie, donc, comme un deuil. Non pas tant de soi ou de ce qu'on fut, que de ce qu'on chérissait le plus. Les prêtres ont beau s'affairer autour de Jeanne, ils ne soulagent pas sa peine, loin s'en faut. Vers qui se tourner, dès lors qu'on a abandonné jusqu'à l'espérance ?

Stéphane Brizé filme le roman tel qu'il lui est apparu à sa première lecture il y a plus de 20 ans. Un enfermement, une sidération lente. Cadre resserré, ellipses multiples pour rendre compte du passage du temps, éclatement de la chronologie au bénéfice de réminiscences et d'échos, de murmures intérieurs et de suspensions sonores, tout conspire à l'agonie d'un rêve. Son récit a la beauté d'un songe dont Judith Chemla est la somnambule extraordinaire. Délicate et poignante comme une mémoire qui vibre une dernière fois avant de s'éteindre.



Anne-Claire Cieutat a écrit:Une vie
Les jours, les mois, les années


Stéphane Brizé (Mademoiselle Chambon, La Loi du marché) adapte Une vie de Maupassant, en puise l’essence sensible et signe un film d’une grande modernité, doté d’un travail sonore, visuel, et d’une interprétation remarquables.

Il y a d’abord un parti pris stylistique judicieux : le choix du format 1.33 qui réduit le cadre dans sa largeur et enferme ses personnages dans leur environnement. Soit la campagne normande de la première moitié du XIXème siècle que retrouve Jeanne à sa sortie du couvent, en 1819. « Radieuse, pleine de sèves et d’appétits de bonheur », comme la décrit Maupassant, Jeanne est une jeune femme vive et délicate, qui aime immensément ses parents, et choisira d’épouser un homme qui ne saura la rendre heureuse. C’est ainsi le récit d’un parcours de vie, étendu sur 27 ans, où s’installent déceptions et vicissitudes. Mais où perlent aussi des instants de joie fugaces.

La force du travail de Stéphane Brizé est d’avoir su trahir judicieusement cette histoire, d’en modifier des éléments saillants, pour mieux faire jaillir la force du destin en cours et le sentiment de la vie qui s’écoule, du temps qui passe. Ainsi sa caméra portée à l’épaule offre-t-elle à voir et à sentir un léger frémissement du cadre, un déséquilibre constant qui rendent palpables les battements de cœur de ses personnages. Car Jeanne saura faire front au malheur et garder un amour intact pour la beauté de la nature et de l’existence, et c’est de cette force vitale que témoigne cette mise en scène sensible.

À l’image, chaque détail trouve sa juste place : une dentelle, une pièce de jeu en bois, une lettre manuscrite, rendent compte du sérieux de la reconstitution historique qui jamais ne se gonfle d’orgueil et ne leste l’ensemble du dispositif. La caméra, agile, se promène dans ce décor, caresse les visages et les corps. L’œuvre photographique d’Antoine Héberlé, doux et fin quand il s’agit de rendre compte du temps qui a passé et du vieillissement des personnages (beau travail raffiné, aussi, du maquillage) contribue à ce sentiment de légèreté. C’est un contrepoint essentiel à la noirceur de cette histoire qui n’épargne en rien ses protagonistes.

Le travail sur le son (que signent Pascal Jasmes et Alain Sironval) fait preuve d’une remarquable sensibilité. La pluie, le crépitement du feu, la toux de Jeanne quand elle est souffrante, le vent, le frottement des herbes entre elles, le grain des voix et leur relief, les notes du piano forte d’Olivier Baumont : tout jouit ici d’une grande présence. Et le travail de montage qui joue régulièrement la carte du décalage entre l’image et le son, tout comme l’alternance du passé et du présent, renforce ce sentiment. Quelle belle idée !

Au cœur de cet ensemble, les comédiens trouvent les gestes et le ton justes. Judith Chemla dans le rôle de Jeanne, est idéale : précise et délicate, elle donne à voir les subtiles circulations des sentiments de son personnage. Face à elle, Jean-Pierre Darroussin et Yolande Moreau apportent une légèreté en baron et baronne, Swann Arlaud dans le rôle de Julien, le mari volage, et Nina Meurisse dans le rôle de Rosalie, la sœur de lait, trouvent également le bon équilibre entre fraîcheur et gravité.

C’est un ensemble d’une infinie délicatesse et d’une réelle hardiesse ! Le scénario ose les ellipses et les transpositions Texte caché : cliquez sur le cadre pour l'afficher
: Brizé transcende le roman de Maupassant pour en extraire l’essence et cheminer vers cette idée, formulée par Rosalie à la toute fin du récit :

Texte caché : cliquez sur le cadre pour l'afficher
.


Oui, le cinéaste trahit le roman pour y poser son regard propre: au lieu de regarder ses personnages avec le dédain moqueur de son auteur, Brizé fait comme si Jeanne avait eu son existence propre, et qu'elle avait été victime d'un pamphlet (génial) de Maupassant.. Surtout, il lui offre une épaisseur, un arrière monde. Il nous laisse la juger par nous-même, plutôt que de nous imposer l'apparat du ridicule. Ca n'empêche point, même si le regard de Brizé est définitivement solidaire de Jeanne en laquelle il voit certainement un double de lui-même, selon son propre monde intérieur, de la juger sévèrement, comme Maupassant, ou au contraire, comme Brizé de la voir comme une semblable.

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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Rainier le 25 Nov 2016, 22:09

"Une adaptation atone", "succession de scènes moyennes, dans une étrange atonie, entre salon et jardin, hiver et été", "Judith Chemla éteinte avant même les trahisons, les deuils et les dettes. Montrée de profil sans que l'on comprenne pourquoi", "ne sourd, hélas, qu'une petite musique beaucoup trop répétitive", "...ce souffle romanesque qui manque tant au film".
Le critique de Télérama (Louis Guichard) n'a visiblement pas apprécié le film de Stéphane Brizé.

Mais au moins sa critique nous change un peu des diatribes anti Poutine, omni présentes dans le dernier numéro de Télérama (et les précédents) ! :roll:
Je crois que je ne vais pas renouveler mon abonnement ...
la démocratie et la souveraineté nationale sont comme l’avers et le revers d’une même médaille.
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Shoemaker le 25 Nov 2016, 22:26

(Télérama appartient maintenant au groupe l'Immonde. Y a pas de miracle, même si ce journal était dans le temps, d"obédience catholique, ce qui lui donnait à l'époque (jusqu'à 2003), un ton authentique et libre, paradoxalement ; nous vivons une époque où les vieilles valeurs, dites "réactionnaires", sont en passe de devenir révolutionnaires. Et le Monde lui-même, passé de référence journalistique quand l'esprit de Beuve-Méry y soufflait encore, en torchon néocon avec les Berger et autres Colombani . Ainsi va ... le monde).
"c'est quoi le blues". Toujours les mêmes histoires, celles qui font vaciller les mondes et les empires.
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Re: La séquence du spectateur - TOPIC CINEMA

Messagede Hugues le 26 Nov 2016, 02:12

Rainier a écrit:"Une adaptation atone", "succession de scènes moyennes, dans une étrange atonie, entre salon et jardin, hiver et été", "Judith Chemla éteinte avant même les trahisons, les deuils et les dettes. Montrée de profil sans que l'on comprenne pourquoi", "ne sourd, hélas, qu'une petite musique beaucoup trop répétitive", "...ce souffle romanesque qui manque tant au film".
Le critique de Télérama (Louis Guichard) n'a visiblement pas apprécié le film de Stéphane Brizé.

Mais au moins sa critique nous change un peu des diatribes anti Poutine, omni présentes dans le dernier numéro de Télérama (et les précédents) ! :roll:
Je crois que je ne vais pas renouveler mon abonnement ...


Quelle inconscience. :P :oops: :jesors:

Pour le reste, rien ne vous empêche évidemment de vous fier à telle ou telle critique (on en trouvera toujours une mauvaise pour tout chef d'oeuvre) pour justifier votre indolence à aller le voir en salle
MAIS..
Quant à parler du film ou d'un autre dans ce sujet, et de reproduire telle ou telle critique, il me semble raisonnable de ne le faire qu'après l'avoir vu soi-même, alors la reproduction (si jamais vous le désirez) sera déjà plus légitime: elle défendra votre point de vue, plutôt qu'un a priori.

Pour l'anecdote, même cette connaissance qui a (je ne sais pourquoi), une totale aversion pour le cinéma de Brizé sur l'ensemble de sa cinématographie jusque là (au point de démonter chaque film) a été obligée de saluer pour la première fois de son existence (avec des bémols, c'est que point trop n'en faut, on ne va pas se renier entièrement) le travail du cinéaste:
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